Pierre, Eugène, Théophile, Lejop naît le 26 avril 1920 à Bain-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine), fils de Pierre, Marie, Lejop, 36 ans (né le 5 mai 1883), magasinier, et de Marie Basile, son épouse, qui ont un autre enfant, une fille.
Au moment de son arrestation, Pierre Lejop fils loge « en garni » (l’hôtel de Madame Dubreuil) au 41, rue Perceval à Paris 14e, entre la place Denfert-Rochereau et le cimetière du Montparnasse ; un immeuble aujourd’hui détruit. Il prend habituellement son repas du soir chez ses parents, au 4, rue Schoelcher. Il est célibataire.
Pierre Lejop est postier ambulant (rattaché à quel bureau ?), sans travail à partir de septembre 1940 (son père est alors au chômage depuis trois ou quatre ans).
Sportif, il participe à des meetings d’athlétisme comme adhérent de l’Union Sportive du 14e arrondissement.
En 1936, Pierre Lejop adhère aux Jeunesses Communistes (JC). Il est le secrétaire de l’union des JC du 14e arrondissement et secrétaire de la commission d’organisation de la région Paris-Ville de 1938 à 1940.
En novembre 1940, « Petit-Louis », un cadre clandestin qu’il connaît, prend contact avec lui. Après lui avoir demandé s’il a conservé ses opinions politiques, il lui remet des tracts et lui demande d’effectuer une enquête permanente sur les jeunes chômeurs des 6e, 12e, 13e, 14e et 15e arrondissements. Pierre Lejop lui remet un certain nombre de rapports sur l’état d’esprit des jeunes chômeurs. En décembre, « Petit-Louis » lui demande s’il accepte de servir de « boîte aux lettres », c’est-à-dire d’entreposer chez lui du matériel mis à la disposition d’autres militants. Par ce contact, chez lui ou lors de rendez-vous fixés dans la rue, Pierre Lejop reçoit « une certaine quantité de tracts, stencils, papillons gommés, bons pour café gratuits, etc. », au rythme d’un paquet par semaine environ. Un militant qu’il ne connaît que sous le nom d’Edmond prend en charge ce matériel, soit en venant chez lui, soit lors de rendez-vous dans la rue. Quand des paquets restent trop longtemps dans sa chambre d’hôtel, Pierre Lejop va « par crainte d’une perquisition » les déposer chez ses parents, rassurant son père en disant qu’il s’agit de « documentation concernant les jeunes chômeurs ».
Selon sa sœur, Pierre Lejop participe aux actions menées par la famille Deslandes.
À la suite de l’arrestation de Joseph L., qui a fréquenté avant-guerre la permanence des JC de la rue d’Enghien, trois inspecteurs de la brigade spéciale anticommuniste des Renseignements généraux (BS1) apprennent « qu’un individu âgé de 20 ans environ, responsable de la section du 14e arrondissement de l’ex-groupement des Jeunesses communistes ne serait pas étranger » à la diffusion de propagande clandestine. Ils acquièrent la certitude qu’il s’agirait de Pierre Lejop.
Le 24 mars 1941, dans la soirée, « ayant tout lieu de supposer que du matériel clandestin se [trouve] au domicile de ses parents », les policiers s’y présentent afin d’effectuer une perquisition. Sur un buffet, ils aperçoivent effectivement « une certaine quantité de tracts de divers modèles ». Le père remet alors « spontanément » plusieurs centaines de tracts se trouvant dans une armoire, « ainsi que divers documents relatifs à l’activité clandestine de son fils et apportés par lui ». Vers 19 h 30, alors que les inspecteurs sont encore dans les lieux, Pierre Lejop arrive chez ses parents pour y dîner. Fouillé, il est trouvé porteur de cinq stencils recto-verso utilisés (bulletin « Vivre »), d’un exemplaire ronéotypé de L’Avant-Garde, journal des JC, n° 37, daté du 1er mars 1941, de deux projets manuscrits de tracts à ronéotyper (« Du pain ! du pain ! » et « Jeunes chômeurs, alerte ! »), d’une feuille de projet de papillons intitulés « À bas la guerre impérialiste » avec la mention « Modèle pour le stencil – 60 000 – recto et verso », ainsi qu’un questionnaire biographique complété que lui a demandé « Petit-Louis ».
Les policiers l’accompagnent alors à sa chambre d’hôtel « aux fins de vérification de domicile ». Le garçon leur remet encore spontanément, tirés de l’armoire, « deux brochures communistes [Le Capital, Histoire du PC], six paquets de bons donnant droit à des consommations gratuites pour les adhérents aux Comités de chômeurs, un couteau à cran d’arrêt [un Laguiole] et un morceau de craie [rouge “indélébile”] destiné aux inscriptions murales ». La perquisition achevant cette visite n’amène la découverte d’aucun autre document. Interrogé, Pierre Lejop fils admet rapidement participer depuis plusieurs mois à la propagande communiste clandestine.
Père et fils sont conduits dans les locaux de la brigade spéciale, à la préfecture de police, pour y être interrogés.
Le 25 mars, après interrogatoires et au vu du rapport des inspecteurs, considérant que l’activité de Pierre Lejop fils « avait pour but la diffusion des mots d’ordre de la IIIe Internationale communiste ou d’organismes s’y rattachant, par la détention à son domicile et sur lui de documents destinés à cette propagande », le commissaire André Cougoule, chef de la brigade spéciale, officier de police judiciaire, l’inculpe d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939.
En ce qui concerne son père, « attendu qu’il a sciemment conservé à son domicile des documents appartenant à son fils et dont il connaissait la nature », il l’inculpe de complicité par aide et assistance. Le policier les envoie tous les deux au Dépôt, à disposition du procureur de la République.
Le 21 mai 1941, dans son rapport hebdomadaire sur le communisme en France, transmit à l’Office central de sécurité du Reich (Reichssicherheithauptamt – RSHA) à Berlin, le service (Amt) IV A 1 du SD de Paris rendra compte : « Parmi les affaires que nous avons eu à connaître, certaines méritent une mention particulière : 27.3.41 : Arrestation de deux communistes particulièrement actifs qui cherchaient à ameuter les chômeurs de la Région Parisienne. L’un d’eux, Lejop Pierre, est un ancien secrétaire de la Jeunesse communiste de la région Paris-ville. Chez la personne arrêtée, on a saisi de nombreuses publications, des tracts, de la craie pour écrire sur les murs, etc. »
Le 2 avril 1941, les deux hommes comparaissent devant la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine. Pierre Lejop fils est condamné à dix mois d’emprisonnement. Il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Le 15 avril, il est conduit à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne). Le 18 juin, il est transféré à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines).
- Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
À l’expiration de sa peine, il n’est pas libéré. Le 13 février 1942, il est parmi les 24 « militants communistes » – pour moitié de futurs “45000” – transférés au dépôt de la préfecture de police de Paris (au sous-sol de la Conciergerie, île de la Cité).
Le 26 mars 1942, la préfecture de police de Paris ordonne son internement administratif et, le 16 avril, il fait partie d’un groupe de détenus transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir), où il est enregistré sous le matricule n° 88 ; baraques 3 et 8.
Le 10 mai 1942, Pierre Lejop fait partie des 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; il y est enregistré sous le matricule 5743.
Entre fin avril et fin juin 1942, Pierre Lejop est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Pierre Lejop est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45773, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Pierre Lejop.Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [1]). Il a 22 ans.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 16-07-1994).
Notes :
[1] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme « inaptes au travail » (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 372 et 411.
Cl Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : – Témoignage de sa sœur, Madame Grenet (25/1-7/2/1972) ; elle le décrit : 1m70, mince, brun) – Témoignage enregistré d’André Deslandes – Témoignage (téléphone) de Madame Dubreuil, qui a un temps logé P. Le Jop – Article de M. Cottard, Revue d’Histoire du 14e, n° 29, p.71 (2/1989) – Liste partielle du convoi établie par le Musée d’Auschwitz.
La Gestapo contre le Parti communiste, rapport sur l’activité du PCF, décembre 1940-juin 1941, messidor-éditions sociales, collection problèmes-histoire, Paris, novembre 1984, p. 128.
Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 28 mars au 5 juin 1941 (D1u6-5855).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : carton Occupation allemande – camps d’internement… (BA 2374) ; dossiers de la BS1 (GB 54), n° 194, « affaire Lejop », 26 mars 1941.
Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 708 (31922/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 12-12-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.