Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.  Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Charles, Eugène, Lépine naît le 30 janvier 1922 à Sannois [1] (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), fils d’Eugène Lépine, chef de train à la Compagnie des Chemins de Fer du Nord, et d’Eugénie Lefèvre. Charles a – au moins – un frère, Edmond.

Leur père décède le 29 mars 1931. À une date restant à préciser, leur mère trouve un emploi à la raffinerie de Tergnier (Aisne – 02).

Charles Lépine fait partie de la promotion 1936-1939 des apprentis cheminots du centre de formation de Tergnier, en même temps que Jean Toussaint.

Au moment de son arrestation, il est domicilié chez sa mère, au 35,rue des Écroyères à Fargniers [2], dans une maison en bois de quatre pièces dont elle est propriétaire.

Charles Lépine est célibataire, sans enfant (il a alors vingt ans).

Cheminot, il est ajusteur auxiliaire à la SNCF.

Tergnier. Les ateliers SNCF après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Tergnier. Les ateliers SNCF après-guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

En septembre 1940, au retour de l’exode, trois militants de Tergnier – Paul Caille, Marcel Gouillard et Anselme Arsa – réorganisent le PCF clandestin en créant un “triangle” de direction. En décembre, Anselme Arsa et Fernand Bouyssou recrutent Roger Debarre – qui n’est pas communiste – afin que celui-ci constitue des groupes de jeunes à Quessy-centre et, plus largement, dans le secteur de Tergnier.

À une date inconnue, Charles Lépine rejoint un de ces groupe de jeunes, placé sous les ordres de Fernand Bouyssou.

Peu avant le 1er mai 1942, le groupe ternois, alors dirigé par Anselme Arsa, décide d’organiser une journée d’action en pavoisant les rues avec des oriflammes accrochés dans les lignes téléphoniques. Fernand Bouyssou et Roger Debarre seront simultanément chargés de diffuser des tracts.

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, vers 23 heures, la brigade de gendarmerie de Tergnier est « alertée sur une distribution de tracts ». « Connaissant l’itinéraire habituel », une patrouille surprend Charles Lépine et Jean Toussaint, « porteurs de banderoles rouges ornées de la faucille et du marteau [ainsi que] de pots de peinture rouge. Les gendarmes récupèrent des tracts sur la voie publique et sept banderoles à Quessy et Fargniers. »

Interrogés le matin, Lépine et Toussaint refusent de « dénoncer d’autres coauteurs ».

En accord avec l’adjudant de gendarmerie, le commissaire de police décide alors de perquisitionner au domicile de Toussaint. Il recueille de nouveaux renseignements de la bouche de la concubine de celui-ci. Si bien qu’après un troisième interrogatoire, Toussaint et Lépine passent des aveux.

Roger Debarre, rescapé, relatera une autre version :  au cours de la nuit de son arrestation, de minuit à 6 heures du matin, Charles Lépine est frappé par les gendarmes en présence de Robert Fraisse, commissaire de la police d’État à Tergnier, pour lui faire avouer les noms de ses complices.

Cette nuit-là ou le lendemain, Fernand Bouyssou et Roger Debarre sont également arrêtés et leurs domiciles perquisitionnés. Chez Debarre ne sont trouvés que deux numéros de La Vie Ouvrière interdite datés de septembre 1940..

Ainsi qu’en rend compte le commissaire de la ville, l’effort de propagande n’est pas resté sans effet : « Soirée animations inaccoutumées à Tergnier : vers 18 heures, de nombreuses personnes sont passées devant la mairie […] répondant ainsi à l’initiative de la radio anglaise et de tracts : 800 personnes en une heure de temps. Une délégation d’employés SNCF est reçue en mairie. À 18h30, un rassemblement d’une trentaine d’hommes est dispersé place de la mairie », « les “durs” de la cité de Quessy »

Le 2 mai, Charles Lépine est écroué avec ses camarades à la Maison d’arrêt de Laon (02) et présenté au procureur de la République de la ville. Ils sont rapidement transférés à la Maison d’Arrêt d’Amiens, route d’Albert.

Le 6 mai, la Cour spéciale d’Amiens prononce un jugement condamnant Fernand Bouyssou à trois ans d’emprisonnement et à 1200 francs d’amende, et Charles Lépine, Roger Debarre et Jean Toussaint chacun à un an d’emprisonnement et à 1200 francs d’amende.

Le 21 mai, remis aux autorités d’occupation à leur demande, Charles Lépine – comme probablement ses trois camarades – est transféré au quartier allemand de la prison.

Il est rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule n° 5817, il est assigné pendant un temps au bâtiment C5, chambrée 8.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C. Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942. Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, alignés transversalement, les six grands bâtiments du quartier C.
Isolés par une clôture de barbelés, ils ont constitué le “camp juif” du 13 décembre 1941 au 6 juillet 1942.
Ensuite, ils ont servi au regroupement des détenus pour le prochain convoi en partance.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas). Carte postale. Coll. Mémoire Vive.

Entre le 6 mai et la fin juin 1942, Charles Lépine est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne, installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation. Cliché Mémoire Vive 2011.

Les deux wagons à bestiaux du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise d’où sont partis les convois de déportation.
Cliché Mémoire Vive 2011.

Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Charles Lépine est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46248 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Charles Lépine est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 4, affecté aux ateliers du camp comme serrurier (Schlosser).On ignore la date de sa mort à Auschwitz ; probablement avant la mi-mars 1943 [3]. Il a vingt ans.

À une date restant à préciser, sa mère, Eugénie Lépine, remplit en son nom une demande d’attribution du titre de Déporté Résistant. Celui-ci lui est accordé en 1953.

À Fargniers, le nom de Charles Lépine est inscrit sur le monument aux morts (« A nos morts »), situé devant le cimetière communal.

À Tergnier, son nom est inscrit sur la plaque commémorative des ateliers SNCF « A la mémoire des agents des ateliers tués par faits de guerre » et sur une des grandes plaques « A la mémoire des agents de la région Ternoise tués par faits de guerre 1914-1918 1939-1945 » apposées sur la gare du côté de la cour Pierre Sémard.

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Gare de Tergnier, cour Pierre Sémard. © Mémoire Vive.
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Onzième nom… © Mémoire Vive.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 29-09-1994).

Notes :

[1] Sannois : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine-et-Oise (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Fargniers : depuis le 1er janvier 1974, cette commune est intégrée à celle de Tergnier.

[3] La date de décès inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Charles Lépine, c’est le mois de juin 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 360 et 411.
- Gérard Parramon, site Les apprentis du rail…
- Alain Nice, La guerre des partisans, Histoire des Francs-tireurs partisans français, Histoire de la Résistance ouvrière et populaire du département de l’Aisne, édition à compte d’auteur, janvier 2012, pages 18-19, 25, 48. (commande à adresser à Alain NICE – 9 rue de la Tour du Pin – 02250 BOSMONT-SERRE).
- Archives départementales de l’Aisne (AD 02), Laon, dossier Surveillance des communistes (SC11276).
- Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Charles Lépine (21 P 476 314), recherches de Thomas Fontaine (message 01-2014).
- Archives du personnel de la SNCF, Béziers, dossier de retraite, recherches de Th. Fontaine (message 02-2014).
- Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 922-923.
- Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copie de la page 69 du registre du Block 4.
- Site Mémorial GenWeb, 02-Tergnier, relevés de Didier Mahu et Stéphane Protois (10-2007, 07-2009).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 15-02-2024)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous dispose (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.