Robert Adrien Gérard naît le 10 mai 1906 à la maternité de l’hôpital Cochin, 123, boulevard de Port-Royal à Paris 14e, fils de Marie-Josèphe Gérard, vingt-cinq ans, vendeuse en modes, domiciliée au 29, rue de Turin (Paris 8e), et de père non dénommé.
Le 1er octobre 1937, il est muté à Poitiers (Vienne) ; il a une adresse postale au 15, rue des Écossais. Il enseigne dans une classe de terminale littéraire (“Philosophie”) et dans une classe de terminale scientifique (“Mathématiques élémentaires”). Dans cette ville, il marque la mémoire de ses élèves, mais ce n’est pas là qu’il sera arrêté.
Le 1er mars 1940, la 2e commission de réforme de Poitiers le maintien réformé définitivement.
Sous l’occupation, pendant ses cours, Robert Lévilion tient des propos hostiles aux théories nazies.
En octobre 1941, il est “muté” au lycée Montaigne de Bordeaux (Gironde – 33), où il retrouve le même service d’enseignement.
Trois mois plus tard, le 16 décembre 1941, Robert Lévilion est arrêté à son domicile pour « attitude anti-allemande et propagande gaulliste » et interné au camp français d’internement de Beaudésert sur la commune de Mérignac (33), puis au fort du Hâ, alors Maison d’arrêt de Bordeaux, réquisitionné en grande partie par l’armée d’occupation.
Dans la nuit du 26 au 27 mai 1942, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Enregistré sous le matricule 5968. Il est affecté au quartier C – le camp des otages juifs – bâtiment 2, chambre 6.
Dans son carnet de notes quotidien sur le camp, François Montel mentionne à la date du 1er juin : « Lévillion giflé par Gueule d’Ange [un gardien allemand] devient maboul. Il a dû arracher de l’herbe en compagnie du CCM. “Comment pourrais-je continuer à mépriser les ouvriers !” clame-t-il ». François Montel considère ce propos comme « faribole » et ajoute avec condescendance à propos de Lévilion : « La Société française lui paraît procéder de deux ou trois douairières de Poitiers, véritables comtesses d’Escarbagnas (ceux qui sont partisans de modifications de l’ordre social sont mal élevés ou mal habitués – et il a une cravate impossible – c’est un infirme). » La référence à Poitiers et à un handicap physique amène à considérer qu’il s’agit bien de Robert Lévilion.
Entre fin avril et fin juin 1942, celui-ci est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Robert Lévilion est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 456294 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Mais le destin de Robert Lévilion s’est peut-être déjà joué. Il semble en effet que le récit d’un rescapé du convoi, David Badache, puisse se rapporter aux circonstances de sa mort : « Le 9 juillet 1942 – le lendemain de notre arrivée – nous sommes transférés du camp principal à Birkenau. Pendant le trajet, les SS séparent les déportés de notre convoi qui parlent allemand, environ 200, et les interrogent sur leurs professions dont ils se moquent. Un professeur crie “Vive de Gaulle”. Il est aussitôt abattu d’un coup de pistolet par un SS ». S’il s’agit bien de lui, il est possible que Robert Lévilion ait été emmené au Revier (l’infirmerie) où il aurait succombé plus tard des suites de sa blessure.
Dix jours après l’arrivée de son convoi et parmi les premiers “45000”, il meurt à Auschwitz le 18 juillet 1942, d’après la liste des morts inscrits sur le registre d’appel (Stärkebuch) du camp – où il figure sous la mention « Juif français » (Frz. Jude) – et l’acte de décès établi par l’administration SS (Sterbebücher).
En France, sa date de décès est modifiée deux fois en fonction des informations obtenues : d’abord enregistrée à la date du 6 juillet 1942, avec pour lieu Compiègne, elle est modifiée au 11 janvier 1942 (décalage normatif de cinq jours) avec pour lieu Auschwitz, et enfin rectifiée au 18 juillet.
Un décret du 29 novembre 1946 attribue à Robert Lévilion la Médaille de la Résistance française à titre posthume.
Son père, Marcel Lévilion, alors veuf, toujours domicilié au 12, rue Erlanger, décède le 22 décembre 1948 dans une clinique au 10, rue Boileau, Paris 16e.
Le nom de Robert Lévilion figure sur les plaques commémoratives du personnel du lycée Montaigne de Bordeaux, “Mort pour la France”.
- Inscrit sur le Mur des noms…
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 364 et 411.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour une exposition sur les “45000” et “31000” de Poitou-Charente (2001), citant : Geoffroy de Clecq, ancien élève de Robert Lévilion, résistant, déporté à Wansleben – David Badache, entretien.
François Montel, Journal de Compiègne, 29 avril 1942 – 23 juin 1942, présenté et annoté par Serge Klarsfeld, édition FFDJF (Fils et filles des déportés juifs de France), 1999, page 56.
Archives de Paris : registre des naissances du 16e arrondissement, année 1906 (14N 388), acte n° 4180 (vue 31/31) ; registre des naissances du 9e arrondissement, année 1872 (V4E 3486), acte n° 2074 (vue 11/31) ; registre des mariages du 18e arrondissement, année 1917 (18M 474), acte n° 778 (vue 9/22) ; registres matricules du recrutement militaire, classe 1926, 2e bureau de la Seine (D4R1 2627), n° 2601 ; registre des décès du 16e arrondissement, année 1948 (16D 181), acte n° 2405 (vue 13/22).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 716 (15586/1942), orthographié « Levilion ».
Pôle des archives des victimes des conflits contemporains (PAVCC), ministère de la Défense, Caen : seul document conservé sur Levilion Robert, une fiche “de Brinon” de personne arrêtée, recherches de Ginette Petiot (message 03-2017).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 14-11-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.