En 1939, il est mobilisé comme soldat de 2e classe au 52e bataillon de chars et rejoint le camp de Meucon (Morbihan). Fait prisonnier de guerre, il est « libéré par la gendarmerie » (?).
Militant actif du Parti communiste, il est à l’origine de la formation du Front national [1] sous la direction d’Esprit Jourdain, de Concarneau (déporté avec lui). Victor Louarn diffuse des tracts et journaux clandestins, participe à des collages d’affiches à la nuit tombée, ainsi qu’à des sabotages de matériel et d’entreprises utiles à l’armée d’occupation.
Le 2 mars 1941, il doit être embauché à la Société Concarnoise des Boites Métalliques, mais – le jour même -, l’entreprise est réquisitionnée par les « autorités allemandes », et lui-même est réfractaire à cette réquisition.
Le 11 juin suivant, à 19 h 30, Victor Louarn est arrêté arrêté par la police française, avec son frère et Louis Tudal (?), et emprisonné le lendemain à Saint-Charles, une école de Quimper transformée en prison.
Le 23 juin, un tribunal de Quimper le condamne à six mois d’emprisonnement.
Le 1er mai 1942, remis aux autorités d’occupation à leur demande, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Victor Louarn est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Victor Louarn est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45805 (ce matricule sera tatoué sur son bras gauche quelques mois plus tard).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Victor Louarn est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
Il y est témoin du martyre de Christophe Le Meur qui succombe après avoir été frappé à coups de manche de pioche par un kapo. Victor Louarn est notamment affecté au Kommando de déchargement des pommes de terres, travail qui se fait à un rythme épuisant. Pour ne pas mourir de faim, il tue et mange des mulots, ce qui lui vaut une sorte de réputation, y compris auprès des gardiens SS.Le 17 ou 18 mars 1943, Victor Louarn fait partie des dix-sept “45000” rescapés de Birkenau conduits à Auschwitz-I (en tout, 24 survivants sur 600 !).
Peut-être est-il affecté à la forge, avec Marceau Lannoy et Eugène Charles (à vérifier…).
En juillet 1943, comme les autres détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”), il reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis (l’a-t-il fait ?).
À la mi-août 1943, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.
Le 3 août 1944, Victor Louarn est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine”, au Block 10, en préalable à un transfert.
Le 29 août 1944, Victor Louarn est parmi les trente “45000” [2] intégrés dans un convoi disciplinaire de 807 détenus (incluant de nombreux “proeminenten”) transférés au KL Sachsenhausen, dans la ville d’Oranienbourg, au Nord-Ouest de Berlin. À leur arrivée, et jusqu’au 25 septembre, les trente sont affectés au Block 66.
Sachsenhausen est évacué le 21 avril 1945. Dirigée vers le nord-est, la colonne de détenus dans laquelle se trouve Victor Louarn est libérée à Glewitz (Mecklembourg-Poméranie-Occidentale) le 2 mai par l’avancée des troupes soviétiques.
Celui-ci est rapatrié en France le 20 ou 23 mai, en avion.
La nouvelle de la mort de son jeune frère Théophile – déporté le 22 janvier 1944 à Buchenwald et mort à Ellrich le 27 mars 1945 – l’affecte profondément. Après la guerre, la municipalité de Concarneau rappelle le sacrifice de celui-ci en donnant son nom à une rue de la ville close (la rue des Remparts, où la famille habitait ?).
C’est Victor Louarn qui prévient la famille de Joseph Le Meur de la mort de celui-ci à Auschwitz.
Avec l’appoint du “pécule du prisonnier”, Victor Louarn s’installe comme mareyeur (« gérant de marée »), assurant vente locale et expédition, employant des salariés. Il reprend même les activités sportives dans son club. Le 13 avril 1946 à Concarneau, il se marie avec Thérèse Le Floch. Ils auront deux filles.
En 1951, Victor Louarn complète et signe un formulaire du ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre (ACVG) pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant. Le 10 octobre 1952, il reçoit la carte DR n° 1004.12689.
Mais, en 1955, la tuberculose qu’il a contracté dans les camps s’aggrave. Il subit une grave intervention (thoraco ?) qui le contraint à arrêter le travail. Son épouse tient alors un petit commerce de poisson.
Il décède le 3 mars 1979, âgé de 60 ans.
Des obsèques solennelles lui rendent hommage.
Notes :
[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : large mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN”, jusqu’à son changement d’appellation le 1er juin 2018).
[2] Les trente d’Auschwitz vers Sachso : (ordre des matricules, noms de G à P) Georges Gourdon (45622), Henri Hannhart (45652), Germain Houard (45667), Louis Jouvin (45697), Jacques Jung (45699), Ben-Ali Lahousine (45715), Marceau Lannoy (45727), Louis Lecoq (45753), Guy Lecrux (45756), Maurice Le Gal (45767), Gabriel Lejard (45772), Charles Lelandais (45774), Pierre Lelogeais (45775), Charles Limousin (45796), Victor Louarn (45805), René Maquenhen (45826), Georges Marin (45834), Jean Henri Marti (45842), Maurice Martin (45845), Henri Mathiaud (45860), Lucien Matté (45863), Emmanuel Michel (45878), Auguste Monjauvis (45887), Louis Mougeot (45907), Daniel Nagliouk (45918), Émile Obel (45933), Maurice Ostorero (45941), Giobbe Pasini (45949), René Petijean (45976) et Germain Pierron (45985).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 142, 184, 187 et 188, 319, 348 à 350, listes p. 359, 364 et 412.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : Victor Louarn, lettres à Roger Arnould, documentaliste de la FNDIRP, 1972 – Témoignage de Roger Abada (45157), 1989 – Brochure : “Concarneau sous l’occupation”, p. 4, 6, 7 – Eugène Kerbaul,Cahiers d’Histoire de l’IRM, n° 22, 1985, page 100.
Témoignage de Madame Louarn, recueilli à une date inconnue par Jean Le Meur et Joseph Cotten.
Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 34, page 203.
“P.C.”, Auschwitz : antre du crime et du sadisme, d’après le récit d’Emmanuel Michel, janvier 1946.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel (21 P 566 392).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 14-11-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.