Raphaël Manello naît le 2 février 1914 à Tabarka, ville portuaire du nord-ouest de la Tunisie, à quelques kilomètres de la frontière algéro-tunisienne, fils de Vincent Manello et de Francesca Tascano, son épouse, immigrés italiens.
La famille arrive en France dans les années 1930. Raphaël Manello est de nationalité française par filiation.
Pendant un temps, il habite à Puteaux [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92). Dans cette période, il est membre des Jeunesses communistes, puis adhérent à la cellule de Puteaux du Parti communiste.
Le 24 juillet 1937, à Suresnes (92), Raphaël Manello se marie avec Jacqueline Denerf, née le 21 juin 1917 à Vierzon (Cher). Ils auront une fille, Françoise, née le 1er janvier 1938 à Saint-Cloud (Seine-et-Oise / Hauts-de-Seine).
Au début de l’année 1940, la famille est domiciliée au 19, rue Victor-Hugo, à Puteaux.
Le 20 mars 1940, Raphaël Manello est arrêté par les services du commissariat de police de la circonscription de Boulogne « pour distribution de tracts communistes ». Dans le cadre de la répression visant la diffusion de propagande communiste sur la commune de Puteaux, une aide-comptable de 38 ans, chez qui (au 38, rue Parmentier) a été opérée une perquisition amenant la découverte de différents tracts, a mis en cause lors de son interrogatoire sa voisine de palier, ouvrière en parfumerie de 33 ans, militante qui lui a remis ces tracts lors de conversations. Celle-ci déclare à son tour avoir reçu ces tracts « d’un sieur Manello », fait que celui-ci reconnaît lorsque les policiers se présentent chez lui. La perquisition de son domicile n’amène la découverte d’aucun document ou matériel compromettant. Arrêté également, Albert, Auguste, Henri Lefebvre, 43 ans, ponsonnier (?), demeurant à la même adresse que Manello, reconnait qu’il lui a remis un seul tract, lequel lui a été remis par un certain « Lemoine ».
Le 24 mars, Raphaël Manello est conduit avec les autres suspects au dépôt de la préfecture de police, à la disposition du Parquet.
Le 25 mars, François Le Moal, né le 15 février 1912 à Lambezellec (Côtes-du-Nord / Côtes-d’Armor), est arrêté. Interrogé, il déclare qu’il avait reçu des tracts en vue de les diffuser de la part d’un nommé « Souvenaud », qu’il reconnaîtra sur une photo à lui présentée ; en fait, Edmond, Victor, Savenaud, né le 16 mai 1905 à Chamberand (Creuse), dont le « domicile actuel est inconnu ».
Le lundi 10 juin, devant l’avancée allemande, Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, ordonne l’évacuation de la prison militaire de Paris, originellement celle du Cherche-Midi, dont la Santé, réquisitionnée, est considérée comme une annexe. En début de soirée, Raphaël Manello fait partie des 1559 détenus – prévenus et condamnés – « sortis ce jour » de la Maison d’arrêt et entassés dans un convoi formé d’autobus réquisitionnés de la STCRP (future RATP) dont les stores sont baissés et les vitres fermées et opacifiées par de la peinture. Ce cortège rejoint celui des 297 prisonniers du Cherche-Midi transportés dans des camions militaires bâchés.
Le 11 juin, la “procession” arrive devant les portes de la prison d’Orléans (Loiret), qui, déjà surpeuplée, ne peut accueillir aucun des prisonniers repliés. Dès lors, deux convois se forment. L’un, de 825 détenus, se dirige vers le camp d’aviation des Groües, proche de la gare orléanaise des Aubrais. L’autre poursuit sa route jusqu’à Vésines, à proximité de Montargis. De là, deux groupes de prisonniers, 904 d’abord, 136 ensuite, rejoignent à pied le camp de Cepoy, dans les bâtiments de l’ancienne verrerie de Montenon. Le samedi 15 juin, ils repartent – devant rejoindre l’autre groupe au camp d’Abord, à l’Est de Bourges (Cher) – à pied, en colonne, suivant le chemin de halage des canaux du Loing puis de Briare ; première étape, longue de dix-huit kilomètres, Cepoy-Montcresson ; deuxième étape, Montcresson-Briare. Ils sont escortés par un détachement de soldats du 51e régiment régional, de tirailleurs marocains et de deux compagnies de gardes mobiles sous la conduite d’un capitaine qui applique à la lettre les ordres reçus : ne laisser personne derrière, le refus de marcher étant considéré comme tentative d’évasion, les soldats peuvent tirer sans faire de sommation (treize exécutions de marcheurs trop épuisés sont répertoriées, mettant en cause les gardes mobiles de Vendôme). Néanmoins, des évasions se produisent déjà sur le trajet. Quand la longue colonne de prisonniers arrive finalement aux environs de Neuvy-sur-Loire, c’est la confusion : les troupes allemandes atteignent le secteur et les ponts permettant de traverser le fleuve ont été détruits. Des gardes désertent et de nombreux prisonniers, livrés à eux-mêmes, s’égaillent dans la nature. Quelques-uns réussissent à passer la Loire. Ceux qui se présentent spontanément dans les gendarmeries sont arrêtés, puis à nouveau internés. Le 21 juin, à l’arrivée finale des évacués au camp de Gurs (Basses-Pyrénées / Pyrénées-Atlantiques), via Bordeaux, l’effectif total est de 1020 détenus sur les 1865 au départ de Paris.
Raphaël Manello fait partie de ceux qui se sont échappés (une note de police ultérieure – avril 1964 – indique : « Il s’était, lors de l’exode, replié en province »).
Le 28 janvier 1941, le Tribunal militaire de Périgueux le condamne par défaut à un an d’emprisonnement et à 100 francs d’amende et délivre un mandat d’arrêt à son encontre.
Repris le 18 avril suivant (à Briare ?) « après avoir réussi à de dissimuler un certain temps », Raphaël Manello purge sa peine dans les Maisons d’arrêt de Sens (Yonne), puis de Montargis (Loiret).
Libéré le 12 janvier 1942, Raphaël Manello trouve un emploi d’électricien à l’entreprise de travaux publics Deydé, sur un chantier de réfection des usines Renault.
En décembre 1941, son épouse a emménagé au 17, rue des Thermopyles (Paris 14e), qui est son adresse officielle. Mais, fin février 1942, Raphaël s’installe avec son frère Joseph dans une chambre d’hôtel au 3, place du Marché-Sainte-Catherine (Paris 4e), son épouse et leur fille restant dans l’appartement de la rue des Thermopyles.
Le 28 avril 1942, Raphaël Manello est arrêté à son domicile, comme otage, lors d’une grande vague d’arrestations (397 personnes) organisée par « les autorités d’occupation » dans le département de la Seine – avec le concours de la police française – et visant majoritairement des militants du Parti communiste clandestin ayant été précédemment l’objet de poursuites judiciaires puis relaxés, sans avoir subi de condamnation ou après avoir purgé leur peine. Les hommes arrêtés sont d’abord rassemblés au camp allemand du fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), puis rapidement conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Raphaël Manello est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. C’est à son frère Joseph que Raphaël Manello adresse un message jeté du train et qui lui sera transmis par un cheminot (son épouse ne recevant aucune nouvelle de lui après sa seconde arrestation).
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Raphaël Manello est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45823 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Raphaël Manello.
Il meurt à Auschwitz le 30 janvier 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
À la mi-juillet 1942, c’est son frère Joseph qui a reçu la carte formulaire imprimée en allemand envoyée aux familles par l’administration militaire du camp de Royallieu pour prévenir du départ des déportés : « Sur ordre de l’autorité compétente, le détenu susmentionné a été transporté dans un autre camp pour y travailler. Nous ne connaissons pas son lieu de destination, aussi vous devez attendre qu’il donne lui-même de ses nouvelles ».
Le 4 décembre 1944, Jacqueline Manello – toujours domiciliée rue des Thermopyles – se présente à la préfecture de police pour obtenir un « certificat attestant que son mari a été arrêté le 28 février 1942, transféré à Compiègne et déporté en Allemagne le 7 juillet 1942 ». Le dit document est établi le 7 mars 1945 et Madame Manello en accuse réception au commissariat du quartier de Plaisance trois jours plus tard.
Le 10 octobre 1946, Jacqueline Manello dépose une demande d’inscription de la mention « Mort pour la France » sur l’acte de décès de son mari.
Le 15 octobre, Georges Gourdon, de Creil, rempli un formulaire à en-tête de l’Amicale d’Auschwitz/FNDIRP par lequel il certifie sur l’honneur que Raphaël Manello est décédé au camp d’Auschwitz en janvier 1943.
La mention « Mort pour la France » est portée sur le registre d’état civil de Tabarka le 14 janvier 1947 et sur celui de la mairie du 14e le 7 octobre.
Jacqueline Manello se remarie avant février 1950.
Le 22 janvier 1962, c’est sa fille Françoise, 24 ans, alors domiciliée au 3, rue Édouard-Naud, à Issy-les-Moulineaux qui dépose une demande d’attribution du titre de déporté politique à Raphaël Manello à titre posthume. Le ministère des Anciens combattants et victimes de guerre lui envoie la carte n° 1175 18119 le 25 juin 1964.
À une date restant à définir, le Conseil municipal de Puteaux fait inscrire le nom de Raphaël Manello sur le monument « Aux martyrs de la Résistance » (situé ?).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 383 et 412.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier individuel de Raphaël Manello (21 P 472 672).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande” (BA ?) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 1797-88939) ; registre de main courante du commissariat de Boulogne (C B 83 22).
Jacky Tronel, site internet Criminocorpus, plusieurs articles dont Le repli de la prison militaire de Paris à Mauzac. Un exode pénitentiaire méconnu, 2012.
Thomas Renault, son arrière-petit-neveu, messages 12-2009.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 773 (23535/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 3-04-2019)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Puteaux : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).