Jean, Alphonse, Manon, naît le 23 janvier 1921 à Saint-Jean-aux-Bois (Ardennes – 08), fils d’Élie François Manon, 37 ans, employé de la Compagnie des chemins de fer de l’Est [1], après avoir été ardoisier, et d’Odile Catherine Félicie Pécheux, 40 ans, son épouse.
Jean a trois sœurs, Marie Louise Lucie Odile née le 2 juillet 1909, Léa Clotilde, née le 19 août 1910, toutes deux à Fépin (08), Ida, née en 1913 à Hirson (Aisne), et un frère, Henri Jean, né en 1915 ou 1916 à Colombier (loin du front ?).
Au cours de la Première guerre mondiale, leur père a été mobilisé comme “affecté spécial”, maintenu à son emploi du temps de Paix.
En juillet 1927, la famille habite à Audun-le-Roman (Meurthe-et-Moselle – 54), où le père est surveillant de voie. Le 24 septembre 1929, à Audun, Marie Louise se marie avec Pierre Zanolin. Le 27 février 1932, à Audun, Léa Clotilde se marie avec Marcel Peiffer.
En 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Jean Manon habite chez ses parents au 78 rue (route) de Briey à Audun-le-Roman.
Jean Manon est cheminot à la Compagnie des Chemin de Fer de l’Est [1], comme Léon Toussaint, d’Audun-le-Roman, qu’il connaît probablement.
Dans la nuit du 4 au 5 février 1942, un groupe de résistance communiste mène une action de sabotage contre le transformateur électrique de l’usine sidérurgique d’Auboué qui alimente également dix-sept mines de fer du Pays de Briey. Visant une des sources d’acier de l’industrie de guerre allemande (Hitler lui-même s’en préoccupe), l’opération déclenche dans le département plusieurs vagues d’arrestations pour enquête et représailles qui concerneront des dizaines de futurs “45000”.
Le 19 février, les noms de Jean Manon et Léon Toussaint sont inscrits sur une liste de soixante suspects établie par la préfecture de Meurthe-et-Moselle pour être transmise à la Feldkommandantur de Briey.
Le 21 février 1942, Jean Manon est arrêté par la Feldgendarmerie, comme otage. Le 24 février, il est écroué à la Maison d’arrêt de Toul.
Le 27 février, son nom est inscrit sur un état nominatif des otages transmis par le préfet Jean Schmidt à Fernand (de) Brinon à Vichy ; 16e sur la liste.
Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Manon est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Jean Manon est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45825 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jean Manon est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp, si l’on considère le matricule hypothétiquement attribué (voir ci-dessus). Il serait alors admis pendant un temps au Block 20 de l’hôpital du camp souche.
Il meurt à Auschwitz le 12 décembre 1942, si l’on considère le matricule hypothétiquement attribué, lequel est inscrit à cette date sur copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée clandestinement par la résistance polonaise interne du camp [2] ; le local en question est situé au sous-sol du Block 28.
Le nom de Jean Manon est inscrit sur le monument aux Morts d’Audun-le-Roman, sur le parvis de l’église.
Le 25 avril 1947, il est déclaré “Mort pour la France”.
À une date restant à préciser, la municipalité donne son nom à une rue qui se termine en impasse ; à l’été 2023, il semble qu’aucun panneau n’indique le nom de cette voie…
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. 21-10-1994).
Notes :
[1] La Compagnie des chemins de fer de l’Est, dite parfois Compagnie de l’Est ou l’Est, société anonyme créée en 1845 sous le nom de Compagnie du chemin de fer de Paris à Strasbourg, est l’une des six grandes compagnies des chemins de fer français nationalisées le 1er janvier 1938 pour former la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
[2] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. S’agissant de Jean Manon, c’est le 1er août 1942 « sans autre renseignement » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74, 127 et 128, 367 et 412.
Cl. Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz, Le convoi du 6 juillet 1942 dit des “45000”, éditions Graphein, Paris nov. 2000, page 117.
Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, Nancy : cote W1304/23.
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, page 980, citant SHD DAVCC, Caen, dossier individuel (21 P 512075).
Jean-Claude et Yves Magrinelli, Antifascisme et parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1920-1945, Jarville, avril 1985, pages 247, 346.
Jean-Claude Magrinelli, Ouvriers de Lorraine (1936-1946), tome 2, Dans la résistance armée, éditions Kaïros / Histoire, Nancy, avril 2018, L’affaire d’Auboué, pages 199-227 (listes d’otages p. 205, 208-210).
Site Mémorial GenWeb : Audun-le-Roman, monument aux morts, relevé de Marc Ephritikhine (2005).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 7-09-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.