Alphonse, Jules, Auguste, Marie naît le 24 novembre 1889 à Maisy (Calvados – 14), chez ses parents, Jules Gustave Marie, 26 ans, maçon, et Eugénie Vallery, 20 ans, son épouse, journalière. Le 4 février 1892, naît son frère Albert. En 1896, tous quatre sont réunis au Hameau Poix, à Grandcamp-les-Bains (14).
Le 7 août 1899, à sept heures du soir, Eugénie Marie, la mère de famille, décède prématurément au domicile familial, à Grandcamp-les-Bains, âgée de 29 ans (parmi les témoins déclarant le décès à l’état civil, le beau-frère de la défunte, Jacques Marie, 29 ans). Alphonse n’a que 10 ans.
Le 24 juillet 1903 à Trévières (14), son père se remarie avec Adolphine Souflant, 35 ans, elle-même veuve. Ce couple recomposé a bientôt un enfant : Marcel Alfred Désiré, né le 8 février 1904 à Trévières, demi-frère d’Alphonse et Albert. En 1906, ils habiteront au quartier du Haut-Bosc et de la Vacquerie ; sans Albert ni Alphonse (âgé de 17 ans).
Pendant un temps, Alphonse Marie habite à La Cambe (14) et travaille comme jardinier.
Le 9 mai 1910, à la mairie de Caen, il contracte un engagement militaire pour trois ans et rejoint le 1er régiment de marche de zouaves à Alger. Du 30 avril 1911 au 4 avril 1913, il est en opérations au Maroc. Le 9 octobre 1911, il est nommé clairon. Par le décret du 15 mai 1912, il obtient la médaille du Maroc. Le 9 mai 1913, il passe dans la réserve de l’armée active, au 11e bataillon de zouaves, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
En octobre 1913, il est domicilié à Littry (14), chez Monsieur Venest (?). En mars 1914, il est domicilié à Campigny (14), chez Monsieur Guilbert (?).
Le 3 août 1914, rappelé à l’activité militaire par le décret de mobilisation générale, Alphonse Marie rejoint son régiment de réserve, le 11e zouaves. Le 10 août, suivant, le 1er zouave est formé à Saint-Denis avec le 4e bataillon venu d’Alger, le 5e bataillon de Saint-Denis et le 11e bataillon des réservistes des régions du Nord et de Paris.
Le 15 septembre suivant, au Godat [1], une balle ennemie le blesse à l’épaule droite.
Il est évacué, puis soigné à l’hôpital d’Angoulême (Charente) jusqu’au 17 septembre, date à laquelle il est dirigé sur son dépôt. À sa demande, il revient au front le 1er novembre. Le 17 décembre 1916, il est cité à l’ordre de son régiment : « A rempli à la satisfaction de ses chefs les fonctions de brancardier auxiliaire et s’est particulièrement distingué aux attaques du bois de … ».
Le 5 novembre 1917, à Grandcamp-les-Bains (14), âgé de 28 ans, Alphonse Marie – « domestique, mobilisé comme clairon au 1er zouaves, aux armées, actuellement en permission régulière à Grancamp-les-Bains (…) domicilié à Trévières » – épouse Maria Armandine Madelaine, née le 15 septembre 1897 à Grancamp, « occupée au ménage (…) fille mineure… ». Ils auront cinq enfants.
Le 18 juillet 1918, lors d’une offensive du régiment vers Longpont (Aisne), un éclat d’obus blesse Alphonse Marie au côté droit de l’aine. il est évacué. Il revient au front le 6 octobre, y restant jusqu’à l’armistice. Il reçoit la Croix de guerre avec étoile de bronze, puis la Médaille militaire.
Le premier fils d’Alphonse et Maria, Alexandre, naît le 25 décembre 1918 à Grandcamp.
Le 31 janvier 1919, l’armée détache Alphonse Marie au « réseau de l’État », à la gare de Sainte-Gauburge (Orne). Le 31 juin suivant, il est classé “affecté spécial” en qualité de poseur à Le Merlerault (Orne).
En 1920, Alphonse Marie est définitivement embauché par la Compagnie des chemins de fer de l’État, qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [2].
Leurs trois enfants suivants naissent à Saint-Côme-du-Mont (Manche – 50) : Maurice naît en 1921, Albertine en 1924, et Paulette en 1925.
En octobre 1926, l’armée classe Alphonse Marie “affecté spécial” dans la réserve comme sémaphoriste à Carentan (50).
En mars 1929, et au moins jusqu’au 25 mars 1931, Alphonse et Maria Marie sont domiciliés à Nonant (14), au hameau de Neuville. Leur cinquième et dernier enfant, Marcelle Andrée, y naît 7 novembre 1930.
En juin 1935, la famille est domiciliée à Boisset-les-Prévanches (Eure), près de Pacy.
En novembre 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Alphonse Marie est domicilié rue du Point-du-Jour à Saint-Jacques(-de-Lisieux – 14).
Il est alors sous-chef de canton SNCF à Lisieux, arrondissement de la voie de Caen.
Lors des élections cantonales d’octobre 1937, le Parti communiste présente Alphonse Marie comme candidat au Conseil général du Calvados dans la circonscription de Cambremer.
Dans la nuit du 1er au 2 mai 1942, il est arrêté à son domicile par la police française. Figurant comme “communiste” sur une liste d’arrestations exigées par la Feldkommandantur 723 de Caen à la suite du déraillement de Moult-Argences (Airan) [2], il est conduit à la gendarmerie de Lisieux.
Le 4 mai, remis aux autorités d’occupation, il est emmené au “petit lycée” de Caen où sont rassemblés les otages du Calvados.
Le soir même, il fait partie du groupe de détenus conduits à la gare de marchandise de Caen et embarqués dans deux wagons de marchandise. Selon Emmanuel Michel, des complicités parmi les cheminots font arrêter brièvement le train en gare de Lisieux, où Alphonse Marie peut dire au revoir à ses proches.
Le lendemain, 5 mai, en soirée, ils arrivent au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Alphonse Marie est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Alphonse Marie est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45831, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Alphonse Marie se déclare alors comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Alphonse Marie.
Il meurt à Auschwitz le 17 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp [4], qui indique pour cause mensongère de sa mort « affaiblissement par l’âge/viellissement » ? (Altersschwache) ; il a 52 ans !
Après leur retour de déportation, les rescapés du convoi qui attestent de son décès sont Lucien Matté, de Paris 12e, et Raymond Saint-Lary, de Fresnes (94).
Alphonse Marie est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 9-12-1994).
Notes :
[1] Le Godat : ferme disparue, située entre Cormicy et Loivre, sur le canal de l’Aisne à la Marne (aujourd’hui à quelques mètres de l’A26), près de l’écluse du même nom. Fin septembre 1914, les derniers combats, acharnés, de la contre-offensive française après la Marne, à la fin de ce que l’on appelle « la poursuite », délimite le front, plongeant ce secteur au centre des combats ; la ferme de Godat est sur la ligne de combat, côté français. Anéantis, les bâtiments ne sont pas reconstruits après la guerre (le pont sur le canal non plus).
[2] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
[3] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.
L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.
Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.
Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.
Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).
Au total, plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.
Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe de Caen, alors siège de la Feldkommandantur 723 (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.
Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).
Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés au Mont-Valérien, sur la commune de Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine), pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.
La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).
[4] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.
Concernant Alphonse Marie, c’est le 6 juillet 1942 « en déportation en Allemagne » qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’associationMémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice pare Claudine Cardon-Hamet page 128.
Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 127 et 128, 362 et 412.
Auschwitz : antre du crime et du sadisme, d’après le récit d’Emmanuel Michel, parue sous la signature de “P.C.”, page 16.
Jean Quellien, Résistance et sabotages en Normandie, Le Maastricht-Chebourg déraille à Airan, éditions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, réédition 2004, pages 131 (n° 43) et 138.
Claude Doktor, Le Calvados et Dives-sur-Mer sous l’Occupation, 1940-1944, La répression, éditions Charles Corlet, novembre 2000, Condé-sur-Noireau, page 206.
Archives départementales du Calvados, archives en ligne : état civil de Maisy (Grandcamp-Maisy) N.M.D. 1880-1896 (2 MI-EC 458), registre des naissances de l’année 1895, acte n° 23 (vue 199/321).
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLIII-91.
Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France, L’Humanité n° 14153 du 18 septembre 1937, page 4, “vingtième liste…”.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 780 (31150/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copie de l’acte de décès du camp.
Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 12-08-2020)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.