Alexis, Victor, Martin naît le 17 septembre 1892 au Havre (Seine-Inférieure / Seine-Maritime), chez sa grand-mère, au 5, rue Bonvoisin. Il est fils de Thérèse Martin, 19 ans.
Pendant un temps, Alexis Martin travaille comme journalier.
Le 9 octobre 1913, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 164e régiment d’infanterie afin d’accomplir son service militaire. Neuf mois plus tard, la guerre est déclarée. Le 25 décembre 1915, à Louvemont [1], Alexis Martin est blessé par des éclats d’obus qui lui occasionnent des plaies multiples. Évacué, il est hospitalisé jusqu’au 21 octobre 1916. Le 4 décembre suivant, la commission de réforme de Laval propose son changement d’arme avec affectation dans l’artillerie lourde à tracteur pour : « raideur tibio-tarsienne droite et cicatrice douloureuse ». Le 20 décembre, Alexis Martin passe au 81e régiment d’artillerie lourde. Le 28 novembre 1917, il passe au 49e régiment d’artillerie de campagne, où il est mitrailleur à la 1re batterie.
Le 10 mai 1918, à Grivesnes (Somme), il est intoxiqué par les gaz de combat et évacué. Le lendemain, il est cité à l’ordre de son régiment : « Mitrailleur remarquable, est resté à son poste de combat sous un bombardement prolongé jusqu’à ce qu’il soit blessé ». Alexis Martin reçoit la Croix de Guerre. En décembre 1934, il sera décoré de la Médaille militaire.
Le 15 mars 1919, l’armée le met à la disposition des Chemins de fer de l’État, titulaire d’un certificat de bonne conduite. Le 23 juin suivant, elle le classe « affecté spécial » dans la Réserve comme employé des Chemins de fer.
Le 30 mars 1920, à Sotteville-les-Rouen (76), Alexis Martin se marie avec Suzanne Roger. Ils auront un fils, Max.
Le 23 décembre 1920, la commission de réforme de Grand-Quevilly propose qu’il touche une pension temporaire de 40 % pour « bacillose pulmonaire imputable au service ». En juillet 1923 la commission de réforme de Rouen mentionne une « cicatrice scapulaire droite ».
En juillet 1931, il est domicilié au 198, avenue Édouard-Vaillant, à Boulogne-Billancourt [2] (Seine / Hauts-de-Seine). En décembre 1934, il demeure au 4 bis, rue du Hameau, dans cette commune.
Alexis Martin est ouvrier (manœuvre spécialisé) aux usines Renault de Billancourt. En avril 1933, l’armée le classe affecté spécial dans la Réserve sur son poste de travail : contrôleur technique.
Au moment de son arrestation, il habite au 65 bis boulevard de Saint-Cloud à Boulogne(-sur-Seine).
C’est un militant syndical. Il est membre du Parti communiste, selon la police.
Le 24 ou 25 juin 1941, Alexis Martin est arrêté (probablement) à son domicile par les services du commissariat de police de la circonscription, qui l’avaient déclaré comme un « communiste acharné, agitateur particulièrement actif ». Le préfet de police a signé l’arrêté ordonnant son internement administratif « en application du décret du 18 novembre 1939 ». Mais, en réalité, il est pris dans le cadre d’une vaste opération menée en concertation avec l’occupant [3]. En effet, pendant quelques jours, plusieurs dizaines de militants de Paris et de la “petite couronne” arrêtés dans les mêmes conditions sont aussitôt conduits dans la cour de l’Hôtel (de) Matignon [4], alors désigné comme siège de la Geheime Feldpolizei (GFP), pour y être “mis à la disposition des Autorités d’occupation”. Tous sont ensuite regroupés au Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément du Frontstalag 122 ; considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp. Le 1er juillet, ils sont conduits à la gare du Bourget et un train les transporte à Compiègne (Oise), où ils sont les premiers internés du camp allemand de Royallieu (Polizeihaftlager – extension du Frontstalag 122), administré et gardé par la Wehrmacht [5]. Enregistré sous le matricule n° 314, Alexis Martin est assigné pendant un temps au bâtiment A5.
Au cours de l’été suivant, Suzanne Martin écrit à une haute autorité française (à préciser…) afin de solliciter la libération de son mari, car celui-ci serait victime d’une erreur. Le 9 août, le secrétaire général pour la police écrit au service des affaires de Sûreté générale de la préfecture de police afin de lui demander de procéder à une enquête supplémentaire et de lui en communiquer les résultats. Le 12 septembre, la 1re brigade des Renseignements généraux de la préfecture de police donne son avis « au sujet de Martin Alexis, interné par les autorités allemande en tant que communiste », « les renseignements recueillis sur (son compte) confirment les motifs qui lui ont valu d’être arrêté en application du décret du 18 novembre 1939. Il ne semble pas, dans les circonstances actuelles, que la mesure d’internement dont il fait l’objet puissent être rapportés ». Le 29 septembre, le préfet de police, F. Brard, répond finalement : « Dans les circonstances actuelles, j’émets un avis défavorable à la libération de cet interné. »
Le 3 mars 1942, la Royal Air Force bombarde les usines Renault, mais de nombreux bâtiments d’habitation sont touchés, dont l’immeuble où habite toujours Madame Alexis. Dès lors, elle est hébergée par son fils, domicilié au 2, rue des Platanes, au Plessis-Robinson.
En juin 1942, Suzanne Martin écrit directement au préfet de police. Déniant que son mari ait « jamais fait de politique, ni communiste, ni socialiste », elle l’informe du changement de sa propre situation : « … sinistrée du 3 mars 1942, je suis partie demeurer chez mon fils qui habite à Plessis-Robinson, Seine, 2 rue des Platanes ». Elle sollicite la grâce de son mari « étant restée depuis un an sans ressources ».
Entre fin avril et fin juin 1942, Alexis Martin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Alexis Martin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45847 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Alexis Martin.
Le 17 juillet, en France, les R.G. rédigent une note précisant que Suzanne Martin a été victime du « bombardement effectué par la Royal Air Force (…), l’immeuble qu’elle occupait ayant été détruit (…). Le commissaire de police de Boulogne, consulté, n’est pas opposé à une mesure de clémence à l’égard du nommé Martin en raison des moments difficiles que son épouse traverse (…) Il semble qu’à titre exceptionnel la libération de Martin pourrait être sollicitée auprès des Autorités allemandes ». Le 27 juillet, le cabinet du préfet de police écrit à l’état-major d’administration du commandant allemand du Grand Paris afin de solliciter cette mesure de clémence. Le 3 août, un SS-Obersturmführer, chef de la Sureté et du Service de Sécurité auprès du Commandant militaire en France (Sicherheitspolizei und SD) répond à la préfecture dans une note très brève : « En réponse à votre lettre citée en référence, nous vous informons qu’il n’est pas possible de libérer M. » Le 14 août, le cabinet du préfet de police écrit au commissaire de la circonscription de Sceaux : « Je vous prie de faire connaître à la pétitionnaire que, dans les circonstances actuelles, aucune suite favorable ne peut être réservée à sa requête. »
Alexis Martin meurt à Auschwitz le 17 août 1942, d’après les registres du camp. Ce jour-là, 26 autres “45000” sont portés décédés ; probablement à la suite d’une séance de désinfection à Auschwitz-I (coups, manque de sommeil…).
Ce n’est que le 27 juillet 1942 que le préfet de police a sollicité de l’administration militaire allemande une mesure de clémence, « en raison de la situation pénible et difficile dans laquelle se trouve Madame Martin par suite du bombardement anglais ».
Au cours de l’été, la supplique de Suzanne Martin parvient à la Délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés, où officie l’ambassadeur de France (de) Brinon. Le 9 septembre, ce service interroge la préfecture de police. Une semaine plus tard, le directeur de cabinet du préfet répond : « Je crois devoir vous signaler que (…) les Autorités allemandes, à qui j’avais soumis le cas de l’intéressé, m’ont fait savoir qu’elles ne pouvaient libérer Martin actuellement. »
Alexis Martin est déclaré mort en déportation (J.O. du 11-01-95).
Notes :
[1] Louvemont : s’il n’y a pas erreur sur le toponyme, il s’agit d’un des neuf villages français détruits durant la Première Guerre mondiale qui n’a jamais été reconstruit. Déclaré « village mort pour la France » à la fin des hostilités, il fut décidé de conserver cette commune en mémoire des évènements qui s’y déroulèrent (source Wikipedia).
[2] Boulogne-Billancourt : créée sous le nom de Boulogne-sur-Seine en 1790, la commune prend le nom de Boulogne-Billancourt en 1926, le rattachement de Billancourt datant de 1859. Jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[3] L’hôtel Matignon, 57 rue de Varenne (Paris 7e) : le 8 septembre 1940, les Renseignements généraux de la préfecture de police constatent la réquisition de l’hôtel pour le bureau de cantonnement des hommes de la police militaire secrète : Geheime Feldpolizei – Dienstelle – Männer-Unterkunft (source : Cécile Desprairies, Paris dans la Collaboration, éditions du Seuil, mars 2009, page 268).
[4] L’ “Aktion Theoderich” : Le 22 juin 1941, l’attaque de l’Union soviétique se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.
En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés en zone occupée par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.
Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Les autorités d’occupation opéreront un tri et certains seront libérés. Mais, fin août, deux cents d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[5] Les arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :
Jean Lyraud (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du 11e arrondissement. Après un crochet à l’hôtel Matignon où les “internés administratifs” sont livrés à l’armée d’occupation, c’est le transport jusqu’au Fort de Romainville où ils passent la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »
Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »
Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention “communiste”, soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 147 et 148, 381 et 413.
Bulletin municipal de Boulogne-Billancourt, supplément au n° 335, avril 2005, page 26, Liste des déportés des usines Renault, document cité dans un fichier pdf d’Annie Lacroix-Riz et Michel Certano (juin 2011).
Archives départementales de la Seine-Maritime (AD 76), site internet du conseil départemental, archives en ligne : registre des naissances du Havre, année 1892 (4E 12484), acte n° 2909 (vue 214/544) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau du Havre, classe 1912 (1 R 3331), matricule 729.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais ; archives du cabinet du préfet, dossier individuel de Martin Alexis (1 W 723-26853).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 784 (21383/1942).
MÉMOIRE VIVE
(Dernière mise à jour, le 31-06-2022)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.