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Antoine, Albert, Paul, Molinié nait le 19 janvier 1894 à Chartres (Eure-et-Loir – 28), chez ses parents, Alexis Molinié, 32 ans, agent de police, et Léontine Martin, 27 ans, sage-femme, son épouse, domiciliés au 8, rue de la Mairie. Antoine a une sœur, Denise, né le 29 mars 1900 à Chartres.
Pendant un temps, Antoine Molinié travaille comme journalier.
De la classe 1914, il est d’abord exempté définitivement pour tuberculose pulmonaire, cachexie. Mais, le 4 octobre 1914, le conseil de révision le classe pour le service armé. Le 5 novembre, Antoine Molinié est incorporé au 129e régiment d’infanterie. Le 17 février 1915, il part aux armées. Le 22 juin suivant, lors d’une tentative de prise du village de Souchez, situé entre les collines de Lorette et de Vimy (Pas-de-Calais), et tenu par les Allemands, il est blessé au visage par un éclat d’obus. Il est évacué.
Le 11 décembre 1915, Antoine Molinié est cité à l’ordre de son régiment : « Très bon soldat, donnant toujours le bon exemple ». Il est décoré de la Croix de guerre avec palme et de la Médaille militaire.
Le 15 février 1916, la commission de réforme de Chartres propose qu’il reçoive une pension de 5e classe pour perte définitive de la vision de l’œil gauche par atrophie papillaire. Le même jour, il est réformé n° 1 par décret ministériel.
Après la guerre, il devient membre de l’Association républicaines des anciens combattants (ARAC), et adhère aussi à l’Association des Mutilés des yeux.
Le 17 septembre 1918, à Rauzan (Gironde), Antoine Molinié épouse Charlotte Andrieux, née en 1896 à Compiègne (Oise). Ils ont une fille, Évelyne, née en 1927 à Nantes (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique [1] – 44).
En 1925 et jusqu’au moment de son arrestation, Antoine Molinié est domicilié au 115, boulevard Saint-Aignan à Nantes.
Antoine Molinié travaille comme architecte expert auprès des compagnies d’assurance incendie (L’Urbaine, entre autres). C’est un ami de l’architecte Le Corbusier.
Il milite dans la cellule communiste du quartier de Chantenay (commune annexée à Nantes en 1908). Il s’occupe notamment de l’accueil des réfugiés espagnols pendant et après la guerre d’Espagne.
Sous l’occupation, il poursuit ses activités au Parti communiste, rédigeant et distribuant des tracts et des journaux clandestins.
Le 17 décembre 1940, Antoine Molinié est arrêté une première fois, à la suite d’une lettre de dénonciation anonyme. Après une perquisition à son domicile, il est détenu à Nantes à la prison Lafayette, puis au centre de séjour surveillé du Croisic (44). Il est mis en liberté provisoire le 1er mai 1941, pour raisons de santé.
Le 23 juin 1941 [2], il est de nouveau arrêté, figurant en vingt-sixième place sur une liste de trente « Funktionaere » (“permanents” ou “cadres”) communistes établie par la police allemande (profession « Baumeister »). Avec une vingtaine d’hommes arrêtés dans l’agglomération de Nantes, il est conduit au « camp du Champ de Mars » (la salle des fêtes, également dénommée « Palais du Champ de Mars » ? à vérifier…).
Le 12 juillet, Antoine Molinié est parmi les vingt-quatre communistes (dont les dix futurs “45000” de Loire-Atlantique) transférés, avec sept Russes (juifs), au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Le lendemain, il y est enregistré sous le n° 1242 (bâtiment A2, chambre 13). Dans ce camp, les communistes mettent en place un Comité des loisirs qui sert également à organiser la solidarité et la Résistance parmi les internés. Antoine Molinié y donne des leçons d’architecture et suit les cours de littérature, d’allemand (donnés par Georges Cogniot) et de breton.
Entre fin avril et fin juin 1942, Antoine Molinié est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Antoine Molinié est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45883 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Antoine Molinié.
Il meurt à Auschwitz le 24 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [3].
Sur les dix “45000” de Loire-Atlantique, il n’y eut que deux rescapés : Eugène Charles, de Nantes, et Gustave Raballand, de Rezé.
Antoine Molinié est déclaré “Mort pour la France” et homologué comme “Déporté politique”, malgré son certificat d’appartenance à la Résistance Française Intérieure.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-08-1995).
Notes :
[1] Loire-Atlantique : département dénommé “Loire-Inférieure” jusqu’en mars 1957.
[2] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre.
Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.
Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Antoine Molinié, c’est le 5 septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 85 et 86, 127 et 128, 365 et 414.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Bretagne (2002), citant : témoignages de Gustave Raballand et d’Eugène Charles, de Nantes – Questionnaire rempli par sa fille Evelyne, épouse Pécot (19/11/1990) et documents : notification “Mort pour la France” du 10 janvier 1950 ; attestation d’appartenance au Front National pour la libération et l’indépendance de la France 2/10/1946 ; certificat d’appartenance à la Résistance Française Intérieure 20/4/1949.
Archives départementales d’Eure-et-Loir (AD 28), site internet du conseil général, archives en ligne ; registre des naissances de Chartres pour l’année 1894 (cote 3 E 085/309), acte n° 18 (vue 6/126) ; registre des matricules militaires, bureau de Chartres, classe 1914 (cote 1 R 536), matricule 586.
Archives municipales de Nantes, site internet : listes électorales 1934-1945 (Med-Oliveau, v. 71), recensement de 1936, canton 6 (v. 133).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 825 (24412/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 10-09-2014)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.