Pierre, Henri, Monjault naît le 24 juillet 1902 à Civray, au nord de Ruffec (Vienne), de Jean-Baptiste Monjault, 31 ans, jardinier, et de Camille Cailleau, 27 ans, son épouse. Il est le deuxième de quatre enfants (sa sœur aînée, Marcelle, naît en 1897). En 1901, la famille habite au 7, rue du Moulin Neuf.
Dès 9 ans, il est placé tout l’été comme garçon de courses et plongeur dans un restaurant voisin. À 10 ans, il doit quitter la maison familiale pour entrer comme domestique dans une ferme. Il ne va à l’école qu’en hiver. Réputé fort et courageux, il loue son travail au fermier le plus offrant. À 18 ans, il s’engage dans la Marine. Il débute comme élève infirmier, mais contracte une pneumonie qui dure six mois. Reprenant son service à Rochefort, il est breveté Maître d’hôtel.
Après son service militaire, il retourne à Civray et épouse Amandine, une jeune fille de la région (plus tard, manutentionnaire). Ils ont deux fils : Guy et Pierre (également !), né en 1927, qui deviendra imprimeur.
Sur les conseils d’un oncle, Pierre Monjault vient s’installer en région parisienne pour travailler comme maçon. Là aussi, très apprécié, il enchaîne les chantiers.
Le 15 avril 1924, il est embauché par la Ville de Paris. En suivant des cours, il devient chauffeur de machine à haute tension. Cette année-là, il adhère au Parti communiste.
Le 5 mars 1926, Pierre Monjault est révoqué pour son activité contre la guerre coloniale du Rif, au Maroc.
Dans la période 1926-1930, il est successivement maçon, chauffeur de chaudière, aide-ajusteur et receveur de tramway.
Pierre Monjault est réintégré à la Ville de Paris le 4 février 1930. Il travaille à l’usine de la Compagnie des eaux à Ivry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne – 94).
Au moment de son arrestation, il est domicilié au 288, rue Jean-Jaurès à Maisons-Alfort [1] (94), square Dufourmantelle, au 5e étage. Sur les listes électorales de février 1945, il est déclaré comme chauffeur.
Travailleur manuel et sportif, il se décrit « très musclé » à l’époque de son arrestation, malgré ses quarante ans.
Le 2 septembre 1939, à 14 h 30, en face du n° 4 avenue de la République à Maisons-Alfort, il traite de « salaud » un gardien de la paix qui emploie la force pour maitriser un individu et tente d’ameuter le public. Il présente ensuite des excuses.
Quand le Parti communiste est interdit, il reste actif dans la clandestinité. De 1940 à 1941, il est responsable de la diffusion de la propagande pour un secteur qui couvre Charenton, Maisons-Alfort et Créteil (94). Il distribue des tracts dans sa cité, dans le quartier du Vert de Maisons et sur son lieu de travail. Sous l’occupation, il est avec Marguerite Blangeot, Rosental (?), Rousseau et Victor Jardin, de Créteil (déporté avec lui), lors d’une action nocturne réussie consistant à accrocher, sur des fils électriques traversant la place Galliéni, une banderole avec l’inscription « Nous vaincrons ». Il est surveillé par la police française et l’objet d’au moins une perquisition à son domicile.
Au début du mois de février 1941, vers 15 heures, il est arrêté une première fois par la police française sur son lieu de travail, à l’usine des eaux d’Ivry-sur-Seine (94). Deux inspecteurs l’emmènent au commissariat de Charenton (94) où il est durement interrogé sur ses activités. Il ne cède rien et est finalement renvoyé chez lui, le visage tuméfié et plusieurs dents cassées. Son épouse est brutalisée au cours d’une deuxième perquisition à son domicile. Il pensera plus tard avoir été – à un moment ou à un autre – dénoncé par Marcel Capron, ancien député-maire communiste d’Alfortville rallié à Marcel Gitton, puis par un ouvrier charbonnier de l’usine des eaux d’Ivry.
Le 9 juillet, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif ; il est considéré comme « meneur communiste actif ». Le même jour, à 9 heures, il est de nouveau arrêté sur son lieu de travail par des inspecteurs en civil (« Gestapo »), avec trois camarades de son usine. Ils sont conduits au commissariat d’Ivry, à la prison de la Santé jusqu’au soir, puis internés administrativement comme « détenus communistes » à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier à Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police de Paris. Pierre Monjault y occupe bientôt une fonction d’aide-infirmier. Il y reçoit des visites de sa femme.
Le 5 mai 1942, Pierre Monjault fait partie des 24 internés des Tourelles, pour la plupart anciens Brigadistes, que vient chercher une escorte de Feldgendarmes afin de les conduire à la gare de l’Est prendre un train à destination du camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin, Pierre Monjault est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Pierre Monjault est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45909 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied à Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20.
Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après les cinq premiers jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Pierre Monjault est dans la moitié des membres du convoi qui reste dans ce camp en construction choisi pour mettre en œuvre la “solution finale” (contexte plus meurtrier). Une fois, il est affecté dans un Kommandoqui creuse des tranchées pour la pose de canalisations. C’est au cours de ce travail qu’Antoine Corgiatti, de Meurthe-et-Moselle, parvient à s’évader avant d’être repris au bout de quelques jours et exécuté un peu plus tard.
Au Revier de Birkenau, Pierre Monjault survit à des piqûres intracardiaques de benzol : « Par deux fois, ils me firent des piqûres en dessous du sein gauche. Je ne sais pas à quoi ça servait, mais je gardais un sale goût de pétrole dans la bouche pendant longtemps. »
Il trouve une méthode pour se protéger des coups qui pleuvent de manière systématique : « Je mettais ma gamelle dessous ma veste ou sous ma capote, suivant la saison, afin de me protéger un peu. Elle était toute cabossée ! »
Le 17 ou 18 mars 1943, il fait partie des dix-sept “45000” rescapés de Birkenau conduits à Auschwitz-I (en tout, 24 survivants sur 600 !).
En juillet 1943, comme les autres détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”), il reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.
À la mi-août, il est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Le 12 décembre, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.
Pendant un temps, Pierre Monjault est envoyé dans un petit Kommando, le TWL (Truppenwirschaftslager), magasins de ravitaillement des troupes recelant des marchandises volées par l’occupant nazi dans les pays occupés. Il reprend un peu de forces, mais ayant été dénoncé par un détenu polonais pour avoir volé de la nourriture au cours du déchargement d’un wagon dans la perspective de la redistribuer, il en est renvoyé.
Affecté au Kommando des couvreurs (Dachdeckerkommando), avec Louis Jouvin, grâce à l’appui de camarades, il circule dans la grande enceinte du camp et transporte – à la demande de son kapo polonais – des messages dissimulés dans le double fond d’un seau en fer vers le camp des femmes de Birkenau.
Il est également témoin de l’arrivée des familles juives, ainsi que du tri des vêtements au “Canada” : « Mon regard s’était arrêté longuement sur un monticule de petites chaussures d’enfants. ». Dans ceKommando, il se livre également à du sabotage, en mettant le feu à des chaudrons de goudron utilisé pour étanchéifier le toit des maisons des SS du camp.
À la fin de l’été 1944, Pierre Monjault est parmi les trente-six “45000” qui restent à Auschwitz, alors que les autres sont transférés vers d’autres camps.
Vers la fin de l’année, il est témoin des préparatifs d’évacuation menés par les SS : déménagement de grosses machines, mise au point de lance-flammes, incinération d’archives du camp…
Le 16 janvier 1945, il n’est plus appelé à son travail.
Il est bientôt parmi les douze “45000” incorporés dans des colonnes de détenus évacués vers le camp de Gross-Rosen, dans la région de Wroclaw.
« C’est le 18 janvier 1945. Quel vacarme ! Les SS hurlent, ainsi que les chiens. C’est le départ du camp d’Auschwitz. Les SS rassemblent les hommes valides, les malades restent au camp avec quelques gardiens. Ce départ soulève l’euphorie. Nous chantons La Madelon, La Marseillaise. Plus les SS hurlent, plus nous chantons. Nous déambulons sur les routes en rangs par quatre ou cinq, les kapos et les SS se tiennent à nos côtés, avec des chiens, des chevaux et tout le tremblement. L’exode commence, mais nous pensons que c’est peut-être le salut. Nous marchons, nous marchons sans aucun arrêt. Pendant deux jours, nous n’avons pu ni manger ni boire. Nous comprenons que cette marche est celle de la mort, alors nous ne chantons plus, nous marchons comme des bêtes traquées. Tout recommence à mal aller. Les SS abattent à bout portant les camarades qui ne peuvent suivre et ils sont nombreux. Nous n’étions qu’un troupeau de squelettes. Même ceux qui semblaient valides étaient malades. (…) Nous nous soutenons moralement et physiquement, mais nous arrivons à l’ultime stade de l’épuisement. La soif commence à provoquer des hallucinations. (…) À la fin du deuxième jour, nous arrivons dans une grange immense, remplie de paille et de foin où nous passons la nuit. Durant cette nuit, les Alliés commencent à lancer des fusées éclairantes pour bombarder. Dès le lendemain matin, nous repartons sans prendre aucun aliment. Il fait un froid terrible ! Quand je repense à ces jours-là, j’en ai encore la chair de poule. Malgré la couverture que j’avais sur la tête, j’ai eu une joue gelée, et encore maintenant, par grand froid, une plaque blanche apparaît sur ma joue. » (Pierre Monjault, cahier, p. 51-52).
Quelques semaines plus tard, à la mi-février 1945, ce camp est à son tour évacué. Pierre Monjault est parmi les quinze “45000” dirigés vers le complexe de Dora-Mittelbau. Après plusieurs départs manqués par le train, la colonne dans laquelle il se trouve rejoint à pieds le sous-camp de Nordhausen, au terme d’une nouvelle marche de la mort.
Là, Pierre Monjault retrouve le jeune René Besse, de Créteil, dont il partage la paillasse. Avec un jeune déporté polonais avec lequel ils font équipe, ils partagent également la nourriture qu’ils peuvent trouver, en nettoyant les Blocks des SS par exemple. Au printemps 1945, René Besse, affamé, échange avec un travailleur civil allemand une boule de pain contre les bonnes chaussures qu’il s’était procurées au moment du départ d’Auschwitz. Pierre Monjault l’aide à en trouver d’autres, du même pied mais suffisamment larges.
Le 3 avril, les deux camarades profitent d’un bombardement allié (bombes incendiaires au phosphore) pour aller se nourrir dans les cuisines du camp, dévastées ; ils y trouvent notamment du lait chaud. Une deuxième vague de bombardement produit une désorganisation absolue qui leur permet à tous deux de s’échapper, mais ils se perdent aussitôt de vue. Pierre Monjault, ne sachant où aller, rejoint Rotteblerode en pleine évacuation. Les concentrationnaires de ce camp sont dirigés à pieds vers Lübeck, via le camp de Sachsenhausen (évacué le 21 avril).
Pierre Monjault est libéré au cours de cette marche et parvient le 9 mai au KL [2] Schwerin où sont regroupés 18 000 déportés évacués de Sachsenhausen, Neuengamme et Ravensbrück. Là, il est hospitalisé.
Il est un des “45000” qui aura parcouru le plus long trajet à pied au cours de cette période d’évacuation (janvier-mai 1945).
Dans un état de santé très précaire, Pierre Monjault est rapatrié en France en avion (plutôt qu’en train) avec deux autres Français. Il est hébergé un temps à l’hôtel Lutétia à Paris.
Entretemps, son fils Guy, engagé dans l’armée du général de Lattre de Tassigny, a découvert la réalité du camp de Dachau et s’est enfui, angoissé pour son père.
Rentré à Maisons-Alfort, Pierre Monjault y bénéficie de l’aide médicale aux prisonniers aux déportés.
« Durant ma déportation, en plus des coups qui tombaient sans aucune raison, j’ai reçu 80 coups de matraque [punitifs]. À mon retour en France, j’ai porté des corsets pendant plus de vingt ans et j’ai encore les fesses sensibles. Ma colonne vertébrale, d’après les radios, n’a plus de forme. »
Pierre Monjault décède le 4 août 1990.
Notes :
[1] Maisons-Alfort : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Lucie Kerjolon, Pierre Monjault, Quatre années de souffrance pour rester français, cahier dactylographié, 70 pages, Maisons-Alfort, 1984.
Archives municipales de Maisons-Alfort.
Archives départementales de la Vienne, site internet : recensement de 1901 à Civray, page 56 (vue 30).
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 350-352, 359, 389, 414 et nombreuses citations de l’ouvrage cité ci-dessous.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “Occupation allemande”, dossiers divers et les Tourelles, 4 registres d’internés…, militants communistes internés aux Tourelles (BA 1836), liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; registre des mains courantes du commissariat de police de la circonscription de Charenton 8/11/1937 / 26-11-1940 (C B 94.10), n° 990.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 24-02-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.