Albert, Eugène, Morel naît le 12 avril 1897 à Fougerolles (Haute-Saône – 70), chez ses parents, Jules Morel, 30 ans, boulanger, et Marie Stéphanie Duchêne, 27 ans, son épouse, boulangère. Les témoins pour la présentation à l’état civil de Fougerolles sont deux gardes-champêtres de la commune. Lors du recensement de population de 1911, la famille habite le quartier du Charton. Le père est alors devenu livreur chez Debray, la mère est devenue brodeuse, « patronne », certainement à domicile. Albert a alors deux sœurs plus âgées, Juliette, née en 1891, désignée aussi comme brodeuse, Henriette, née en 1893, deux sœurs plus jeunes, Jeanne, née en 1899, Yvonne, née en 1901, et deux frères, Hubert, né en 1904, et Charles, né en 1910.
Après avoir obtenu le certificat d’étude primaire, Albert Morel travaille successivement comme menuisier, vannier, puis livreur.
Le 8 janvier 1916, il est intégré comme 2e canonnier au 107e régiment d’artillerie lourde. Il part aux armées le 5 novembre suivant. Le 1er août 1917, il passe au 106e R.A.L. Le 11 mai 1919, il passe au 115e R.A.L. et, le 1er août, au 278e régiment d’artillerie de campagne. Le 25 septembre suivant, il est mis en congé illimité de démobilisation et se retire chez ses parents, rue du Charton, à Fougerolles, titulaire d’un certificat de bonne conduite. Le 5 août 1921, l’armée le classe dans l’affectation spéciale comme employé permanent de la Compagnie des chemins de fer de l’Est. Il est rayé de l’affectation spéciale le 1er janvier 1923.
En 1931, Albert Morel habite rue Pasteur, à Lure. En juillet 1937 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 70, rue des écoles à Lure (70). Cependant, fin mai 1940, il déclare habiter à Varennes-les-Nevers/Vauzelles, hôtel du Nivernais.
En novembre 1931, il obtient le permis de conduire automobile.
Il est chauffeur.
Le 29 septembre 1938, Albert Morel est rappelé à l’activité militaire (en application de l’article 40 de la loi du 31 mars 1928) et rejoint le 403e régiment DCA (via le centre de mobilisation d’artillerie n° 327). Il est renvoyé dans ses foyers le 8 octobre.
Le 26 août 1939, il est rappelé à l’activité militaire et de nouveau affecté au 403e DCA, 175e batterie (?). Il est renvoyé dans des foyers le 18 novembre suivant, en affectation réservée au dépôt d’artillerie n° 420.
Le 22 juin 1941, Albert Morel est arrêté à l’initiative des autorités d’occupation, parmi vingt-trois militants communistes et syndicalistes de la Haute-Saône [1] (dont les sept futurs “45000” du département et Georges Cogniot) ; n° 17 sur la liste. Il est finalement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Albert Morel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45895 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Albert Morel est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Il est assigné au Block 16A avec d’autres
En janvier 1943, il est transféré à Birkenau avec René Demerseman.
Le 17 ou 18 mars, ils reviennent au camp-souche avec les dix-sept “45000” rescapés de Birkenau (en tout, 24 survivants sur 600 !).
Affecté au Kommando du Jardin, qui permet au détenus de circuler, Albert Morel fait partie du petit groupe de “45000” qui – sous la direction d’Eugène Garnier – organisent la solidarité avec les “31000”.
En juillet, la plupart des détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement des “45000”) reçoivent l’autorisation d’écrire – en allemand et sous la censure – à leur famille et d’annoncer qu’ils peuvent recevoir des colis (à vérifier le concernant…).
À la mi-août, Albert Morel est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins indirects des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Le 12 décembre, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blocks et Kommandos d’origine.
Le 3 août 1944, Albert Morel est parmi les trois-quarts des “45000” présents à Auschwitz qui sont de nouveau placés en “quarantaine” en préalable à un transfert.
Le 28 août, il est dans le petit groupe de trente-et-un détenus dont vingt-neuf “45000” transférés au KL [2] Flossenbürg (Haut-Palatinat bavarois, proche de la frontière tchèque) et enregistrés dans ce camp le 31 août.
Le 14 septembre 1944, Albert Morel et Mario Ripa sont transférés au Kommando extérieur de Rochlitz. C’est là qu’ils sont libérés le 7 mai 1945.
Au retour (le 2 juillet 1945), il est un des rescapés qui indique le nombre de 1175 détenus au départ de Compiègne en écrivant à la veuve d’un de ses camarades disparus. Il est le seul rescapé des sept “45000” de Haute-Saône.
Albert Morel décède le 16 août 1955. Il a 58 ans.
Notes :
[1] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total (bilan au 31 juillet), 1300 hommes environ y seront internés à la suite de cette action. Effectuant un tri a posteriori, les Allemands en libéreront plusieurs dizaines. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 78 et 79, 210, 218, 223 et 224, 346 et 347, 359, 370 et 414.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, copie partielle d’un registre des détenus du Block 16, transmis par Sylvie Muller, petite-fille d’Alphonse Mérot, de Chalon-sur-Saône (71).
Archives départementales de Haute-Saône (AD70), site internet, archives en ligne : état civil de Fougerolles, année 1897, registre des naissances, acte n° 56 (vue 18/43) ; recensement de population à Fougerolles, année 1911 (vue 53/188) ; registres matricules du recrutement militaire, classe 1917 (RM 192), fiche 969.
Archives départementales de Côte-d’Or (AD 21), cote 1630 W, article 252 : « arrestations par les autorités allemandes-correspondances ».
Musée de la Résistance nationale (MRN) de Champigny-sur-Marne (94) : fonds Georges Varenne (photocopies).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 27-06-2016)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.