Albert Morin naît le 14 août 1897 à Paris 12e, probablement à la maternité de l’hôpital Saint-Antoine, fils de Marie Juliette Morin, 23 ans, domestique, domiciliée au 2, rue de Cotte, proche de l’hôpital, et d’un « père non dénommé ».
“Enfant assisté” du département de la Seine, Albert Morin vient habiter à Lépine (Pas-de-Calais – 62), et commence à travailler comme charretier. Pas trouvé au recensement de 1911, 8 vues utiles
Le 9 août 1916, Albert Morin est incorporé comme soldat de 2e classe au 43e régiment d’infanterie. Il est « aux armées » le 16 février 1917. Le 8 août 1917, il passe au D.D. du 344e R.I. Le 5 septembre 1918, affecté sur le front de la Somme avec son unité, il est brûlé par les gaz de combat et évacué. Le 10 septembre, il est admis à l’hôpital complémentaire de Tours. Le 20 octobre, il est de retour « aux armées ». Le 23 mars 1919, il est dirigé sur le dépôt, après avoir été dans une unité combattante pendant 1 an, 11 mois et 24 jours.
Son régiment ayant participé à certaines opérations, Albert Morin a droit au port de la fourragère aux couleurs de la Croix de guerre.
Le 15 septembre 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation, titulaire d’un certificat de bonne conduite, et se retire à Lépine. Dans la réserve, il est affecté au Génie du chemin de fer.
Le 10 novembre 1919, Albert Morin est embauché comme chauffeur de route par la Compagnie des chemins de fer du Nord, qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [1].
Le 14 février 1920 à Amiens (Somme – 80), il épouse Françoise Virginie Labitte, née le 16 novembre 1898 à Nempont-Saint-Firmin (62). Ils ont un fils, Jean, né en 1920 à Amiens.
Fin août 1927, il habite au 191 rue de la Voirie.
Au moment de son arrestation, Albert Morin habite une maison cheminote avec jardin au 22, rue Lapostolle à Amiens, proche des ateliers de la gare d’Amiens longés par la rue Dejean.
Il est alors mécanicien de route au dépôt SNCF d’Amiens.
Il est délégué syndical CGTU de 1933 à 1935.
Le 30 novembre 1938 (jour d’une tentative de grève générale mise en échec par le gouvernement et le patronat), il commet « une infraction grave contre la discipline » (?).
Il est également membre du Parti communiste.
Le 10 mai 1942, Albert Morin est arrêté comme otage par la police allemande, parmi quatorze cheminots du dépôt d’Amiens dans la même période, à la suite du sabotage de la grue de relevage du dépôt SNCF d’Amiens dans la nuit du 30 avril au 1er mai. Il est écroué à la Maison d’arrêt d’Amiens « à la disposition des autorités allemandes ».
Dans une notice individuelle réalisée après coup par la police française, il est dit de lui : « N’a jamais manifesté de sentiments politiques depuis 1939 ».
Le 10 juin, ils sont dix cheminots du dépôt d’Amiens (dont neuf futurs “45000”) [2] à être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Albert Morin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Albert Morin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45898 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Albert Morin se déclare alors comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Albert Morin.
Il meurt à Auschwitz le 7 octobre 1942, d’après l’acte de décès du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « insuffisance (du muscle) cardiaque » (Herzmuskelinsuffizienz) ; l’état civil français a enregistré la date du 30 décembre 1942.
Notes :
[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
[2] Les neuf cheminots, futurs “45000” : Roger Allou et Clovis Dehorter, de Camon ; Émile Poyen, de Longeau ; Paul Baheu, Fernand Boulanger, Fernand Charlot, Albert Morin, Georges Poiret et François Viaud, d’Amiens (ce dernier étant le seul rescapé des “45000” d’Amiens, Camon et Longueau).
Le dixième cheminot interné à Compiègne est Joseph Bourrel, mécanicien de manœuvre, domicilié au 102 rue Richard-de-Fournival à Amiens. Son sort en détention reste à préciser (il n’est pas déporté, selon le mémorial FMD)…
Un onzième cheminot reste à la prison d’Amiens, Jean Mayer, ouvrier au dépôt, domicilié au 36 rue Capperonnier à Amiens, arrêté la nuit même de l’attentat. Il est probablement condamné par un tribunal militaire allemand. Le 26 avril 1943, il est transféré dans une prison du Reich à Fribourg-en-Brisgau. Il est libéré à Creussen le 11 mai 1945.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 369 et 414.
Archives de Paris, site internet, archives en ligne : extrait du registre des naissances du 12e arrondissement à la date du 15-08-1897 (registre V4E 9390), acte n° 2207 (vue 20/31).
Archives départementales de la Somme, Amiens : correspondance de la préfecture sous l’occupation (26w592).
Base de données des archives historiques SNCF : service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1070-1071
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 829 (34713/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copie de l’acte de décès du camp.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 14-12-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.