Jacques, Raymond, Moron naît le 1er décembre 1920 à Châtellerault (Vienne – 86), au 25 rue de Villevert, fils de Julien Moron, mercier, 28 ans, et de Désirée Raymonde Ernest, 27 ans, son épouse. Jacques a un frère, Michel, né en 1918, et une sœur, Simone, née en 1929, tous deux à Châtellerault.
Au printemps 1936, Jacques habite chez ses parents, au 3 rue des Scieurs à Châtellerault. Àgé de 15 ans, il travaille comme distillateur chez Lafoy (?). Son père et son frère sont employés de commerce.
En 1936-1937, il serait membre de la cellule communiste de Cénon-sur-Vienne.
Au moment de son arrestation, il est domicilié à Chézelles, commune de Naintré (86).
Jacques Moron est tourneur sur métaux à la Manufacture nationale d’armes de la Vienne, à Châtellerault. « Travailleur sérieux, sobre et honnête », il est bien considéré par ses chefs de service.
Avant-guerre, il est secrétaire du “rayon” des Jeunesses communistes de Châtellerault.
Le 22 février 1941, à Châtellerault, il se marie avec Suzanne, Désirée, Joffrette, Destouches. Ils n’auront pas d’enfant.
De 1940 à 1941, il fait partie du triangle de direction clandestin des J.C. avec Paul Bailly et Marcel Pillorget. Avec d’autres communistes, il participe aux inscriptions sur le pont Henri IV, à l’occasion du 1er mai 1941.
Le 23 juin 1941, dans la matinée, un agent subalterne du commissaire de police spéciale de la Sûreté nationale à Châtellerault reçoit du capitaine de la Kommandantur dans cette ville l’ordre de lui communiquer une liste de membres connus du parti communiste local. Il refuse et en informe le sous-préfet de Châtellerault. Au début de l’après-midi, le commissaire spécial lui-même reçoit cet ordre par écrit. Il en réfère alors au sous-préfet, qui se met lui-même immédiatement en communication avec le préfet de la Vienne, auquel il indique les noms figurant sur une liste de dirigeants du PC avant l’interdiction, établie par un inspecteur de la Sûreté le 28 mai. Le préfet autorise finalement communication de ces noms aux autorités occupantes. Le commandant de la section de gendarmerie de Châtellerault est alors impliqué dans les opérations : « … à 15 h 30, les autorités allemandes, par l’intermédiaire du commissaire de police, donnent l’ordre de mettre à leur disposition, et pour 16 h 15, sept gendarmes. La mission donnée était d’inviter (sic) des personnes dont les autorités d’occupation avaient la liste à se présenter à la Feldgendarmerie. »
Dans la soirée, Jacques Moron est arrêté par des Feldgendarmes et des policiers et gendarmes français. Le commandant de gendarmerie rendra compte : « À 22 h 30, une quinzaine de personnes retenues parmi celles qui s’étaient présentées (re-sic) à la Feldgendarmerie étaient transportées dans deux voitures cellulaires vers un destination inconnue. » Ils sont conduits au camp de la Chauvinerie, à Poitiers, caserne réquisitionnée par l’occupant (selon Maurice Rideau, 33 communistes sont arrêtés ce jour-là dans la Vienne [1] ; 28 sont conduits à la Chauvinerie, 14 seront des “45000”).
Le 12 juillet, Jacques Moron fait partie d’un groupe de détenus embarqués à la gare de Poitiers pour être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; matricule 1201.
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Jacques Moron est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45901 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Jacques Moron est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Là, il est affecté au Block 15 avec Louis Cerceau, de Domines (86).
Jacques Moron meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à l’intérieur du camp au cours de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [2]).
Le 29 janvier 1947, un jugement du Tribunal civil de Châtellerault le déclare « décédé le 1er juillet 1942 en Allemagne ».
Son nom est inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie de Châtellerault en « Hommage aux victimes de la guerre 1939-1945 de la commune ».
Son nom est également inscrit sur un plaque dédiée aux « victimes de la guerre 1939-1945 » et apposée sur le Monument aux morts de Naintré.
Notes :
[1] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), créé à cette occasion pour la détention des “ennemis actifs du Reich” sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui partiront dans le convoi du 6 juillet 1942.
[2] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 379 et 414.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” des Deux-Sèvres et de la Vienne (2001), citant : Témoignages de Maurice Rideau, de Raymond Montégut, de Raymond Jamain (FNDIRP) et d’Émile Lecointre – Correspondance avec Michel Bloch, historien.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 829 (31451/1942).
Site Mémorial GenWeb, 86-Châtellerault, relevé de Monique Ingé (2006).
Site Les plaques commémoratives, sources de mémoire (aujourd’hui désactivé – nov. 2013), photographie de Jean-Jacques Guilloteau.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 21-01-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.