À partir d’août 1933 et jusqu’à son arrestation, Marcel Mougin est domicilié dans le groupe d’HBM (habitations à bon marché) de la commune d’Alfortville, au 101, rue Édouard-Vaillant, où il est concierge.
Il adhère au Syndicat unitaire des employés et ouvriers des communes de la Seine, proche du Parti communiste.
Le 20 octobre 1935, il est délégué aux élections sénatoriales.
En 1937, son fils René (17 ans) entre en qualité de commis à la Recette municipale d’Alfortville. Il est membre de la section locale des Jeunesses communistes.
Au sein du rayon d’Alfortville du Parti communiste, les Mougin militent aux côtés de la famille Hanriot-Dupuis, qui habite dans le même groupe HBM : le père, André [à compléter…].
Le 13 septembre 1939, Marcel Mougin est rappelé à l’activité militaire et affecté au CM.Cie 21-223e régiment de Travailleurs.
Le 4 octobre suivant, le Président de la République – Albert Lebrun -, par décret et « sur la proposition du ministre de l’intérieur, suspend jusqu’à cessation des hostilités les Conseils municipaux » de 27 communes de la banlieue parisienne à majorité communiste, dont celui d’Alfortville, et les remplace par des Délégations spéciales composées de notables désignés.
Le 29 février 1940, le conseil de préfecture de la Seine déchoit Marcel Mougin de son mandat électoral pour n’avoir pas « répudié catégoriquement toute adhésion au parti communiste… », comme 17 autres élus municipaux d’Alforville (dont Henri Hannhart et Gaston Ruan) – avec effet rétroactif au 21 janvier. À la suite de cette décision, Marcel Mougin adresse au préfet de la Seine une lettre dans laquelle il déclare « désavouer la politique du parti communiste et signifie sa décision de s’en désolidariser ». Selon la 1re brigade des Renseignements généraux de la préfecture de police, il donne la preuve qu’il a abandonné toute relation avec les organisations dissoutes, « tant par son attitude anti-révolutionnaire que par ses déclarations publiques ».
Le 9 juin, alors « aux armées », il adresse simultanément au préfet de police et à la direction des HBM d’Alfortville une lettre attestant qu’il n’appartient plus au Parti communiste. Il signera une circulaire de la préfecture en ce sens.
Le même jour (9 juin), son fils René est mobilisé au Chantier de Jeunesse n° 27.
Le 30 août, Marcel Mougin est démobilisé. Il ne reprend ensuite aucun contact « avec quiconque s’occupant d’une politique ou d’une autre ».
Les 12 et 13 décembre 1940, des agents du commissariat de la circonscription de Charenton-le-Pont (accompagnés d’inspecteurs de police judiciaire et des RG) procèdent à des perquisitions chez trois personnes « suspectes » d’Alfortville – dont Marcel Mougin – qui se révèlent infructueuses.
Le 1er février 1941, son fils René est démobilisé des Chantiers de Jeunesse et retrouve son emploi sous l’autorité de la Délégation spéciale nommée à la mairie d’Alfortville.
En mars 1941, les RG notent que « les derniers renseignements obtenus auprès de la Délégation spéciale siégeant à la mairie d’Alfortville confirment la sincérité de [Marcel] Mougin dans ses résolutions politiques », ce qui lui vaut d’être « en butte aux sarcasmes sournois de certains éléments de la localité ayant conservé leurs sympathies pour les organisations extrémistes et de faire l’objet de dénonciations calomnieuses et anonymes adressées à la mairie ».
Le 15 juillet, Marcel Mougin est arrêté « par les soins du commissaire de police de Charenton » qui rédige le rapport suivant : « communiste notoire, cet individu a hier protégé la fuite d’une militante que nous recherchions pour complicité de distribution de tracts ». Les RG le désignent alors comme un « meneur particulièrement actif » et le conduisent comme « détenu communiste » à la caserne désaffectée des Tourelles, boulevard Mortier, Paris 20e, “centre surveillé” dépendant de la préfecture de police, où il est assigné au bâtiment A, chambre 17. Le même jour, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939.
Le 20 juillet, Marcel Mougin adresse au préfet de police un argumentaire en trois points pour solliciter un supplément d’enquête sur son cas. Concernant le motif précis de son arrestation, il joue sur les mots : « Accusé d’avoir favorisé la fuite d’une militante, ou soi-disant telle, j’affirme que cette personne n’a jamais rentrée chez moi, donc elle ne pouvait s’y cacher en attendant de pouvoir fuir. »
Le 9 février 1942, Marcel Mougin est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Marcel Mougin y est enregistré sous le matricule 3544 et assigné au bâtiment A1.
Le 18 mai, il écrit à son épouse sur un feuillet à trois volets fourni par l’administration postale du camp. Mais celui-ci n’est pas envoyé, la censure allemande estimant qu’il « dépasse le nombre autorisé du courrier » ; peut-être parce qu’il a écrit trop petit au goût du censeur…
Entre fin avril et fin juin 1942, Marcel Mougin est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Marcel Mougin est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45908, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marcel Mougin.
Il contracte le typhus, selon le témoignage ultérieur d’un rescapé (?).
Il meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942 [3], d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement tués d’une piqûre intracardiaque de phénol ou gazés [4]). Cette date est inscrite sur les registres d’état civil de la mairie d’Alfortville le 14 octobre 1946.
Le 20 juillet 1944, quand Simone Hanriot – la compagne de son fils René – donne naissance à un garçon, le couple décide de le prénommer Marcel, par affection pour ce grand-père paternel dont la famille espère le retour. Restant sans nouvelles, le couple décidera cependant de se marier en novembre 1944.
Au printemps 1945, un rescapé du convoi – dont l’identité reste à préciser – informe la famille que Marcel Mougin ne reviendra pas.
Le 29 décembre 1945, Ona Mahitta Rounds, une érudite californienne habitant à San José (USA), écrit à la famille Mougin qu’elle parrainera l’enfant Marcel, en solidarité avec les proches de Marcel, son grand-père disparu. Cette marraine d’outre-Atlantique enverra ainsi régulièrement de nombreux colis (jouets, vêtements, oranges…). La marraine et sont filleul communiqueront pendant vingt ans.
Le 24 octobre 1946, le décès de Marcel Mougin est inscrit à l’état civil français, reprenant la date figurant sur le registre d’Auschwitz [4].
La mention “Mort pour la France” est apposée sur cet acte de décès le 13 octobre 1948, puis la mention “Mort en déportation” (J.O. du 14-12-1997).
Le nom de Marcel Mougin est inscrit sur une plaque apposée devant le monument aux morts dans le square de la Mairie, « Hommage aux habitants d’Alfortville fusillés ou morts en déportation » (70 noms).
Notes :
[1] Charenton-le-Pont et Alfortville : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Marcel Capron : peu après la signature du pacte germano-soviétique, le député-maire prend ses distances avec la direction du PCF et finit par s’associer avec Marcel Gitton dans une tentative pour rallier le milieu ouvrier à la collaboration, notamment auprès des internés des camps.
[3] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
[4] L’acte d’état civil dressé par le Ministère des anciens combattants et victimes de guerre le 8 octobre 1946 indique pour son décès un horaire précis – « quinze heures dix minutes » : une telle précision indique que l’information vient directement d’une copie de l’acte de décès du camp d’Auschwitz parvenue en France.
Sources :
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 1990-1997 CD-Rom (citant : Arch. dép. Seine, D M3, versements 10451/76/1 et 10441/64/2 – État civil).
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 356, 387 et 415.
Archives de Paris, site internet, archives en ligne : extrait du registre des naissances du 12e arrondissement à la date du 20-11-1899 (registre V4E 9421, acte n° 3482, vue 2/31).
Archives de Paris : registres matricules du recrutement militaire, classe 1919, 4e bureau de recrutement de la Seine (D4R1 2138), matricule 3523.
Archives municipales d’Alfortville, recherches menées par Corinne Nortier (divers documents…).
Le nazisme à Alfortville (1940-1944), les victimes, document élaboré par la section FNDIRP d’Alfortville (après 1987…).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397), internés dans différents camps… (BA 1837) ; registre des mains courantes du commissariat de police de la circonscription de Charenton-le-Pont, 12-12-1940, n° 2424, et 15-07-1941, n° 1828 RG (C B 94.11), 26-10-1941 (C B 94.12) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 1724-100124).
Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 834 (31665/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 30-11-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.