Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

André, Lucien, Moutard naît le 25 septembre 1903 au Raincy [1] (Seine-Saint-Denis – 93), fils de Joseph Moutard (décédé au moment de son arrestation) et d’Anaïse Parent. Il a, au moins un frère, Lucien.

À une date restant à préciser, André Moutard épouse Virginie M. Ils ont deux filles, Jeannine et Andrée, âgées de 12 et 8 ans au début 1941. Mais le couple divorce.

Au moment de son arrestation, André Moutard est domicilié au 8, rue des Amiraux à Paris 18e (75) et vit maritalement avec Émilie P., née le 22 mars 1902 à Saint-Denis, qui a trois enfants d’un premier lit (12 ans, 8 ans et 6 ans au début 1942). André Moutard héberge également sa propre mère, alors âgée de 70 ans.
André Moutard est régleur.

Pendant la guerre de 1939-1940, il est mobilisé comme « affecté spécial » aux usines Citroën (jusqu’au 22 mai 1940, date du repli). Il participe à l’exode, puis après la signature de l’armistice, revient travailler dans cette entreprise.

Le 21 juin 1940, il fait l’objet d’une lettre anonyme le dénonçant comme communiste, de laquelle il aura – ou sa famille – connaissance.

Sous l’occupation, la police française le considère comme un « meneur communiste très actif ».

Le 6 décembre 1940, André Moutard est appréhendé par des agents du commissariat de Clignancourt lors d’une vague d’arrestation collective visant 69 hommes dans tout le département de la Seine. Le préfet de police vient de signer leurs arrêtés d’internement, en application des décrets des 18 novembre 1939 et 3 septembre 1940, et ils sont conduits le jour même au “centre de séjour surveillé” d’Aincourt (Val-d’Oise – 95), créé en octobre dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt. La perquisition conduite chez André Moutard au moment de son arrestation n’a donné aucun résultat.

JPEG - 110.4 ko
Le sanatorium de la Bucaille à Aincourt dans les années 1930.
Le centre de séjour surveillé a été installé dans la longue bâtisse située au premier plan à gauche. Afin de pouvoir y entasser les détenus, il a fallu y transporter le mobilier des autres bâtiments.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 9 juillet 1941, son frère, Lucien Moutard, écrit au préfet de police, à Paris, pour solliciter l’autorisation de rendre visite à André lors d’un congé à venir, du 28 juillet au 3 août, afin notamment de lui donner des nouvelles de ses deux filles, que lui-même a prises en charge. Le 29 juillet, la préfecture de police transmet cette demande au préfet de Seine-et-Oise. Le 5 août, celui-ci répond à la préfecture de police pour inviter celle-ci à notifier à l’intéressé que les visites seront autorisées à partir du 25 août…

Le 6 septembre, André Moutard fait partie d’un groupe de 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne – 86), pour l’ouverture de celui-ci.

JPEG - 91.7 ko
Le camp de Rouillé, “centre de séjour surveillé”,
vu du haut d’un mirador. Date inconnue.
Au fond – de l’autre côté de la voie ferrée -, le village.
Musée de la Résistance nationale (Champigny-sur-Marne),
Fonds Amicale Voves-Rouillé-Châteaubriant. Droits réservés.

Le 2 février 1942, la mère d’André Moutard écrit au préfet de police pour solliciter la libération de son fils, en exposant les charges de famille de celui-ci.

Le 22 mai 1942, André Moutard fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduit au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).

Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

transportaquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, André Moutard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45913 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.

Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – André Moutard est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.

JPEG - 327.8 ko
Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.

À une date inconnue, il est admis au Block 21a (chirurgie) de l’hôpital [2].

Il meurt à Auschwitz le 16 août 1942, d’après les registres du camp  [3].

Fin 1963, début 1964, sa fille Jeannine, alors mariée, engage les démarches afin d’obtenir de titre de déporté politique pour son père.

La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 14-12-1997).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 373 et 415.
- Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : liste des déportés présents au Revier d’Auschwitz – Liste partielle du convoi, Musée d’Auschwitz.
- Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 136.
- Archives de la préfecture de police (de la Seine), site du Pré-Saint-Gervais ; cartons “occupation allemande” (BA 2397) liste des internés communistes ; dossiers individuels du cabinet du préfet (1w0031), n° 17052.
- Archives départementales des Yvelines et de l’ancien département de Seine-et-Oise (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; cotes 1w73, 1w143 (notice individuelle).
- Archives départementales de la Vienne, cote 109W75 (camp de Rouillé).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 1, cahier photos pages 92, 93 et 94, tome 3, page 834 (21376/1942).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 8–07-2015)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.

[1] Le Raincy : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] L’hôpital. En allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB) : hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”. Mais les « 31000 » et Charlotte Delbo ont connu et utilisé le terme « Revier » : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient « révir », car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.

[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France… Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ.

S’agissant d’André Moutard, c’est le 1er février 1943 qui a été retenu pour certifier son décès.

Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.