- Collection Marie Ayrault. Droits réservés.
Georges Niquet naît le 6 avril 1903 à Saint-Ouen-de-Sècherouvre, près de Mortagne-au-Perche (Orne), fils de Louise Amandine Chandebois, 26 ans, domestique, et d’un « père non dénommé » ; c’est sa grand-mère qui le présente à la mairie. Le 26 novembre 1926, à Maisons-Alfort [1] (Seine / Val-de-Marne – 94), quand Amandine épouse Eugène Niquet, blessé sur le front en 1914-1918 et amputé d’une jambe, maraîcher. Celui-ci adopte Georges (23 ans) et lui donne son nom.
Georges Niquet se marie une première fois à Créteil (94) en avril 1930. Le couple a deux fils, dont André (né Chandebois avant le changement de nom de son père ?), puis divorce.
Le 9 juin 1934 à Maisons-Alfort, Georges Niquet épouse Madeleine, Renée, Soulier, née en 1912, sténo-dactylo rencontrée lors du bal des pompiers.
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Ils ont neuf ans de différence et les parents de Madeleine sont d’abord opposés à cette union.
Au moment de son arrestation, Georges Niquet est domicilié au 11, rue de Brest à Maisons-Alfort, dans le petit pavillon construit par le père de son épouse.
Employé communal, il est chauffeur à la mairie de Maisons-Alfort, conduisant le maire.
Passionné d’automobile, Georges Niquet possède une “traction” qui sera réquisitionnée quelques jours après son arrestation.
- Une Traction Avant Citroën 7.
Pendant ses loisirs, il est également chasseur.
Il est adhérent du Parti communiste (ses propres parents étant hostiles à ses idées politiques).
Toujours titulaire de son emploi après la déclaration de guerre, Georges Niquet est actif dans la clandestinité : distribution de tracts et collage d’affiches après le couvre-feu. D’ailleurs, la police le considère comme un « militant actif, meneur de la propagande clandestine ». Dans ces actions, Madeleine, qui ne partage pas ses convictions, l’assiste pour rester à ses côtés, dissimulant des tracts dans un soutien-gorge surdimensionné (alors qu’elle est très menue).
Le 4 octobre 1940 au soir ou le 5 octobre à l’aube, Georges Niquet est arrêté à son domicile par deux inspecteurs français et emmené au commissariat de la circonscription de Charenton-le-Pont, en même temps que Lucien Frichot, un ami du voisinage. Comme les policiers lui ont dit qu’il s’agissait d’une simple vérification d’identité, Georges Niquet pense revenir deux heures plus tard et n’emporte rien avec lui. C’est Madame Frichot qui, après s’être renseignée, viendra dans la nuit prévenir Madeleine Niquet qu’il s’agit d’une véritable arrestation. Georges Niquet aurait été dénoncé par Albert Vassart [2], maire de Maisons-Alfort et son employeur, lequel avait publiquement rompu avec le Parti communiste en décembre 1939, mais fut néanmoins arrêté quelques jours plus tard, condamné à cinq ans de prison en mai 1940 et libéré en septembre 1941 à la suite de démarches de Gitton et Barbé. Cependant, c’est peut-être sa situation ultérieure de “renégat” politique – auquel on peut prêter toutes les trahisons – qui lui a valu cette accusation de délateur.
Georges Niquet est pris dans la grande vague d’arrestations organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain contre des hommes connus avant guerre pour être des responsables communistes (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant. Après avoir été regroupés en différents lieux, 182 militants de la Seine sont conduits le jour-même en internement administratif au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.
Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.
Le 6 mars 1941, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Georges Niquet, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « est resté communiste, son internement n’a modifié en rien ses opinions » et bien qu’il lui reconnaisse une « attitude correcte ».
À la différence d’un autre Maisonnais rencontré fortuitement par son épouse, après la guerre, Georges Niquet refuse de signer un document déclarant qu’il renie le Parti communiste ; démarche qui lui aurait peut-être permis d’être libéré…
Bien qu’elle n’ait jamais été adhérente du Parti communiste, Madeleine Niquet craint d’être arrêtée à son tour et quitte son domicile sur le conseil d’une voisine pour se réfugier chez son père, dans la Creuse, entre Guéret et La Souterraine (Puy-de-Vautry ?) ; le pavillon de Maisons-Alfort sera pillé durant son absence.
Le 6 septembre 1941, Georges Niquet fait partie des 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.
Le 9 février 1942, il est parmi les 52 « communistes » (dont 36 seront déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits par des Feldgendarmes à la gare de Poitiers. Enfermés dans deux wagons à bestiaux, ils sont transférés – via Paris – au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Lors de son internement, Georges Niquet sculpte une paire de sabots miniatures « gros comme le pouce » (disparus depuis). Comme il souffre d’un ulcère d’estomac, son épouse vend différents biens – dont ses propres instruments de musique (violon, piano) – pour lui procurer des médicaments.
Entre fin avril et fin juin, Georges Niquet est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Georges Niquet parvient à jeter sur la voie un message qui parviendra à son épouse.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Georges Niquet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45927 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Georges Niquet est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Là, il est assigné au Block 23 A.
Le 21 juillet, il est admis à l’hôpital des détenus d’Auschwitz, dans le Block 20, celui des maladies contagieuses, avec Jean Coltey, de Langres, et François Juvin, d’Orvault. Il en sort le 3 août.
Georges Niquet meurt à Auschwitz le 13 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [3] ; le même jour que Marcel Nevraumont, de Maisons-Alfort. Selon le témoignage d’un déporté rescapé [4], Georges Niquet tombe inanimé lors d’un appel, est emporté et n’est plus revu par ses camarades.
Après la guerre (années 1955-1960), le PCF local donne son nom à une cellule du parti sans l’accord de son épouse, Madeleine. Celle-ci, travaillant comme secrétaire dans les bureaux des moutardes Vert Pré à Maisons-Alfort, est licenciée par son patron auquel a été transmis un tract signé de la cellule Georges Niquet. N’arrivant pas à obtenir la reconnaissance officielle du décès de son mari, Madeleine Niquet ne reçoit aucune pension.
Bien qu’inconsolable de sa disparition, elle se met en ménage avec un homme de 45 ans, divorcé ayant obtenu la garde des trois enfants nés de son premier mariage ; ceci afin de mettre au monde son propre enfant, une fille, Marie, née en 1946, refusant que son compagnon en reconnaisse la paternité.
Madeleine meurt à 62 ans, alors qu’elle est encore employée à la préfecture du Val-de-Marne. Resté dans le pavillon de Maison-Alfort, son compagnon détruira par jalousie tous les souvenirs de Georges Niquet conservés jusque-là (lettres, photos, objets…).
Après la guerre, le nom de Georges Niquet a figuré sur une plaque installée dans le cimetière et rendant hommage aux déportés Maisonnais (aujourd’hui disparue).
La mention “Mort pour la France” lui est attribuée par décision ministérielle le 11 février 1946.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 28-07-1995).
Notes :
[1] Maisons-Alfort : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Albert Vassart (1898-1958), militant chevronné du Parti communiste et de la CGTU à partir de 1923, est “parachuté” avec succès à Maisons-Alfort, dont il devient le premier maire communiste. À la suite de la signature du pacte germano-soviétique, il prend ses distances avec le PC (novembre 1940). Il est néanmoins arrêté et condamné à cinq ans de prison en tant que communiste. Mais il est libéré en septembre 1941 à la suite de démarches de Marcel Gitton et Henri Barbé (dirigeant du PC exclu en 1932). Albert Vassart adhère au Parti ouvrier et paysan français (POPF) – collaborationniste – de Gitton et y accepte des responsabilités aux côtés d’une vingtaine d’autres anciens parlementaires et élus communistes. Il fait ensuite équipe avec Barbé et Capron pour obtenir la libération de militants communistes emprisonnés bien qu’en rupture avec leur parti. Le 27 juin 1942, Albert Vassart échappe à une tentative d’élimination devant son domicile.
[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Georges Niquet, c’est le mois de septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
[4] Le rescapé non-identifié pourrait être Pierre Monjault, de Maisons-Alfort, rentré le 13 juin 1945.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 389 et 415.
Témoignage de Marie Ayrault, fille de Madeleine (01-2007, 09-2009) ; lecture du site et correction (04-2011).
Archives municipales de Maisons-Alfort.
Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : BA 2214 (communistes fonctionnaires internés…) : Le préfet de police au préfet de la Seine, courrier et liste du 7 octobre 1940.
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, relevé trimestriel (1w74), dossier individuel (1w144).
Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), documents d’archives : liste du Block n° 20, hôpital d’Auschwitz-I ; registre d’appel, liste des détenus décédés le 13 août.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 864 (20391/1942)orthographié « Niguet ».
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 18-01-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.