- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Pierre, Hippolyte, André, Orsatti naît le 26 avril 1892 à Feins (Ille-et-Vilaine – 35), fils de Paul Orsatti, 40 ans, garde particulier à Champbellé, et de Anna Marie Truet, son épouse, 27 ans.
Pendant un temps, Pierre Orsatti est mécanicien à bord du Pistolet, basé à Saïgon, alors en « Cochinchine » (Vietnam).
Le 7 avril 1909, il entre comme apprenti-marin au 3e dépôt de la Flotte (Marine nationale). Le 1er mai suivant, à la mairie de Lorient (Morbihan), il s’engage dans la marine comme matelot de 2e classe selon les conditions de la loi du 28 juillet 1886 [?]. Le 1er juin 1912, il est nommé quartier-maître mécanicien.
Il est mobilisé dans les campagne contre l’Allemagne du 2 août 1914 au 14 juin 1919. Le 15 juin 1919, il est mis en congé illimité de démobilisation et se retire au 1, rue de Nemours à Rennes, titulaire d’un certificat d’assez bonne conduite [sic].
En avril 1922, Pierre Orsatti habite au 41, rue Voltaire, au Havre (Seine-Maritime). En février 1923, il demeure au 7, rue de la Smala, à Paris 15e.
Le 28 juillet 1923 à Paris 15e, il se marie avec Reine, Armandine, Augustine, Dessez, née le 8 janvier 1901 à Puteaux. Ils n’auront pas d’enfant.
En janvier 1928, le couple se trouve au clos Marie, rue Voltaire, à La Seyne(-sur-Mer), à l’ouest de la rade de Toulon (Var). En juillet 1932, ils demeurent au 80, rue des Chênes, à Suresnes [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92).
Pendant un temps, Pierre Orsatti est ouvrier aux usines Citroën.
Début novembre, 1934, ils habitent un logement de trois pièces dans les HBM du 29, rue Cartault à Puteaux [1] (92) ; escalier 2, bâtiment F, sur cour, porte à gauche, n° 15 bis, rez-de-chaussée. Dans la même cité vit la famille Bourneix.
Son épouse tient un commerce de mercerie communiquant avec leur appartement et ouvrant de l’autre côté de l’immeuble, au 2 bis, rue Bernard-Palissy.
En octobre 1935, l’armée classe Pierre Orsatti dans l’affectation spéciale au titre du tableau III à la société française Hispano-Suiza, rue du capitaine-Guynemer, à Bois-Colombes, en qualité d’ajusteur (au service du montage des moteurs).
Le 16 février 1940, le chef d’état-major du gouverneur militaire de Paris transmet une fiche de renseignements à la direction des R.G. de la préfecture de police pour enquête complémentaire et renseignements. Le document décrit Pierre Orsatti ainsi : « communiste notoire et propagandiste très actif, serait encore en relations suivies avec certains membres de l’ex-parti moscoutaire. Très mal considéré dans le quartier qu’il habite par suite de ses idées extrémistes de gauche. Très mauvais esprit ».
Le 12 mars suivant, le rapport des R.G. va dans le même sens : « Les époux Orsatti manifestent, dit-on, une hostilité très marquée envers le Gouvernement actuel et haïssent ceux qui l’approuvent. » Cependant, « les membres de l’ex-parti moscoutaire avec qui les époux Orsatti seraient en relation n’ont pu être identifiés. »
Le 15 novembre suivant, Pierre Orsatti est arrêté pour « violences à agents, rébellion et propagande communiste », mais bénéficie d’un non-lieu dix jours plus tard.
Il est finalement désigné par le commissaire de police de la circonscription de Puteaux comme un « meneur particulièrement actif ».
Le 26 juin 1941, Pierre Orsatti est arrêté (probablement à son domicile, en même temps que le père de Pierre Bourneix) par le commissaire de police de la circonscription de Puteaux, qui le désigne comme un « meneur particulièrement actif ». Le préfet de police a signé l’arrêté ordonnant son internement administratif « en application du décret du 18 novembre 1939 ». Mais, en réalité, il est pris dans le cadre d’une vaste opération menée en concertation avec l’occupant [2]. En effet, pendant quelques jours, plusieurs dizaines de militants de Paris et de la “petite couronne” arrêtés dans les mêmes conditions sont aussitôt conduits dans la cour de l’Hôtel (de) Matignon [3] – alors désigné comme siège de la Geheime Feldpolizei (GFP) – pour y être “mis à la disposition des Autorités d’occupation”. Tous sont ensuite regroupés au Fort de Romainville, sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément du Frontstalag 122 ; considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp. De là, ils sont conduits à la gare du Bourget et un train les transporte à Compiègne (Oise), où ils sont les premiers internés du camp allemand de Royallieu (Polizeihaftlager – extension du Frontstalag 122), administré et gardé par la Wehrmacht [4].
Le 31 mars 1942, une autorité allemande (Reiser ?) écrit à la préfecture de police : « La propriétaire d’un magasin de mode à Puteaux, Madame Orsatti (…), est une communiste connue et est toujours en relation avec d’autres membres du P.C. français. Dans son logement des tracts seraient dissimulés. Il y a quelques temps, elle a distribué elle-même de ces tracts. On est prié de procéder à des recherches précises, de faire des vérifications et de transmettre à notre service un rapport détaillé… ». Le 8 avril, un inspecteur de la 1re section des R.G. rend son rapport : « Militante trop avertie et désireuse de ne pas être poursuivie ou internée, elle s’entoure du maximum de précaution pour accentuer sa propagande clandestine et ne se manifeste plus en public. Récemment, une distribution de tracts communistes a été faite rue des Chênes à Puteaux. Madame Orsatti est indiquée comme étant l’auteur de cette distribution, attendu que ce jour-là elle a quitté son domicile à 5 heures à bicyclette et a emprunté la dite rue. Dans son entourage, elle est considérée comme plus dangereuse au point de vue national que son mari, actuellement interné pour propagande communiste clandestine au stalag 122 à Compiègne… » Une lettre de dénonciation anonyme non datée en rajoute : « Puteaux. Rue Bernard Palissy, il y a une mercerie – c’est la seule, à côté du lavoir municipal et d’une bijouterie. Le mari est interné, mais la femme, dénommée Reine de son prénom, va tous les samedis et dimanches, en compagnie de plusieurs femmes d’internés, porter des mots d’ordre ou des tracts. »
Lors de surveillances, la police française constate la venue chez Reine Orsatti de Roger et Simone Choury, demeurant au 11 rue Denis Papin à Puteaux.
Entre fin avril et fin juin 1942, Pierre Orsatti est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Pierre Orsatti est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45939 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Pierre Orsatti est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I ; l’état civil français y a situé son décès (en septembre 1942).
Il meurt à Auschwitz le 23 août 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
(aucun “45000” de Puteaux n’a survécu)
Le 5 septembre 1942, Reine Orsatti quitte son domicile pour les Petits Andélys (Eure), peut-être de façon provisoire. Mais, à la suite de l’arrestation de plusieurs militants communistes clandestins, elle évite de rentrer chez elle. Le 5 novembre, une note des R.G. prévoit son internement…
Notes :
[1] Suresnes et Puteaux : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.
En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré par la Wehrmacht, réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich” et qui ouvre en tant que camp de police.
Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[3] L’hôtel Matignon, 57 rue de Varenne (Paris 7e) : le 8 septembre 1940, les Renseignements généraux de la préfecture de police constatent la réquisition de l’hôtel pour le bureau de cantonnement des hommes de la police militaire secrète : Geheime Feldpolizei – Dienstelle – Männer-Unterkunft (source : Cécile Desprairies, Paris dans la Collaboration, éditions du Seuil, mars 2009, page 268).
[4] Les arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :
Jean Lyraud (déporté au KL Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du 11e arrondissement. Après un crochet à l’hôtel Matignon où les “internés administratifs” sont livrés à l’armée d’occupation, c’est le transport jusqu’au Fort de Romainville où ils passent la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »
Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »
Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention “communiste”, soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 383 et 415.
Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (AD 35), site internet du conseil général, archives en ligne ; état civil de Feins, registre des naissances de l’année 1892 (10 NUM 35110 492), acte n°8 (vue 3/6) ; registre des matricules militaires, bureau de Rennes, classe 1912, vol. 5, matricules de 2001 à 2500 (1 R 2115), matricule 2456 (vue 865/950).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, liste des internés communistes (BA 2397) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1585-57798).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 889 (24322/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 25-06-2022)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.