Lucien Pairière naît le 14 décembre 1897 à Bourges (Cher), chez ses parents, Alexandre Pairière, 25 ans, ébéniste, et Madeleine Jolivet, 20 ans, son épouse, domiciliés au 41, rue Saint-Amand.
Pendant un temps, Lucien Pairière travaille comme ébéniste.
De la classe 1917, il est incorporé le 11 janvier au 85e régiment d’infanterie afin d’y accomplir son service militaire alors que la Première Guerre mondiale est en cours. Passé au 95e R.I. le 17 juillet suivant, il part « aux armées » (sur le front) le 26 juillet. À une date restant à préciser, il passe au 414e R.I. Le 20 mars 1917, son régiment se rend par étapes dans la région de Fismes où il doit participer à une attaque de la position du Chemin des Dames. Cette attaque a lieu le 16 avril, puis le 5 mai, sans que le régiment soit engagé. Dans la nuit du 6 au 7, en fin de combat, il relève des unités du 18e corps d’armée sur les plateaux de Craonne et de Californie. Les trois bataillons du 414e R.I. sont en ligne sur une position constituée simplement par des trous d’obus et bombardée avec une violence inouïe.
Le 7 mai, Lucien Pairière est blessé à l’avant-bras droit par un éclat d’obus qui lui fracture le radius. Évacué, il est soigné jusqu’au 3 décembre. Le 27 avril 1918, la commission de réforme du Rhône sud le propose pour la réforme temporaire n° 1 avec gratification de 7e catégorie et 20 % d’incapacité pour fracture du radius droit. Démobilisé, il se retire au 36, rue Molière, à Bourges, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 2 septembre 1919, à Bourges, Lucien Pairière épouse Marie Louise Auclère, née le 18 août 1897 à Meillant (Cher). Ils auront une fille, Lucienne, née vers 1930.
En octobre 1932, déclaré comme menuisier et domicilié au 38 bis, rue Auguste-Blanqui à Puteaux [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92), Lucien Pairière est secrétaire administratif adjoint de la Jeunesse Sportive ouvrière de Puteaux, club affilié à la Fédération sportive du travail. Selon la police, tous les dirigeants du club sont membres du 15e rayon de la région parisienne du Parti communiste.
En 1935, Lucien Pairière est candidat sur la liste du Parti communiste à Puteaux.
Il est possible qu’il s’installe un temps comme artisan ébéniste (« entrepreneur »).
Il est également employé comme menuisier par la maison Bertaux, rue Anatole-France, à Puteaux.
Du 20 mai 1936 au 1er septembre 1939, il est menuisier à la maison Charles Mochet [2], 68 rue Roque-de-Fillol, à Puteaux, où il est considéré comme un bon ouvrier bien que son engagement syndical soit connu.
En juillet 1938 (peut-être depuis le début des années 1930) et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié dans un logement au 2, rue Collin à Puteaux.
Le 2 décembre 1939, Lucien Pairière est classé dans l’affectation spéciale au titre de l’arsenal aéronautique de Vélizy à Villacoublay (Seine-et-Oise) comme menuisier d’études.
Le 7 octobre suivant, la direction militaire de l’Arsenal demande au préfet de police de lui renvoyer complété un formulaire d’enquête sur Lucien Pairière, qui rejoint ses ateliers deux jours plus tard. Le 4 novembre suivant, le commissaire de police de la circonscription de Puteaux rapporte, à partir de renseignements recueillis dans le voisinage, que Lucien Pairière « ne s’occuperait pas de politique. » La réponse retournée au ministère de l’Air le 28 février 1940, indique : « Avant les hostilités, il a mené une active propagande en faveur de l’ex-Parti communiste et fait de nombreux adeptes, notamment parmi la jeunes de son quartier. Actuellement […], il se tient sur une grande réserve mais doit être considéré comme suspect au point de vue national. » Le préfet conclue : « À ne pas employer. »
Rayé de l’affectation spéciale le 16 avril 1940, Lucien Pairière rejoint trois jours plus tard le dépôt d’infanterie n° 212, à Fontainebleau. Il est démobilisé le 14 juillet suivant à Aix-sur-Vienne (Haute-Vienne).
Au retour, il trouve un emploi à la Maison Mesnard, sise 10, rue de la Pierre-Levée à Paris 11e.
Le 6 février 1941, Lucien Pairière est arrêté à son domicile par les services du commissariat de police de la circonscription de Puteaux.
Le 13 février, les services de la préfecture de police rendent compte qu’ « au terme d’une série d’enquêtes et de multiples surveillances », ils ont appréhendé 26 militants pour « recrutement d’éléments susceptibles de participer d’une manière particulièrement active à l’organisation de la propagande communiste clandestine à Puteaux » et confection, répartition et diffusion du « matériel de propagande (tracts, papillons, placards) », parmi lesquels Lucien Pairière et André Arsène Bisillon, Louis Leroy, Émile Poupleau, qui seront déportés avec lui. À l’exception de deux d’entre eux, laissés en liberté provisoire, tous sont inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939 et passent par le dépôt de la préfecture de police où ils sont mis à la disposition du procureur de la République.
Lucien Pairière est peut-être jugé, condamné et incarcéré, parallèlement à un pourvoi en appel (à vérifier…).
Le 13 octobre, il fait l’objet d’un ordre de mise en liberté provisoire par la Justice, mais il n’est pas libéré pour autant…
Le 19 octobre, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 19 octobre 1939. Il reste détenu au Dépôt en attendant son transfert dans un “centre de séjour surveillé” (CSS).
Le 10 novembre, Lucien Pairière fait partie d’un groupe de 58 militants communistes transféré au camp français de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne).
Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942, la Section spéciale de la cour d’appel de Paris chargée de la répression des menées communistes commence l’examen de son affaire, mais disjoint son cas et celui d’Émile Poupleau au motif de leur absence ; et pour cause…
Le même jour à l’aube, les détenus sélectionnés à Royallieu sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises.
Le 8 juillet, Lucien Pairière est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45944 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Lucien Pairière se déclare alors sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Lucien Pairière est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
À une date restant à préciser, il est admis au Block 21 de l’hôpital des détenus d’Auschwitz-I. Le 16 août, il est transféré au Block 20 de l’hôpitaloù il succombe deux jours plus tard.
Lucien Pairière meurt à Auschwitz le 18 août 1942, selon plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp. La cause mentionnée pour son décès – tout en pouvant être mensongère – est crédible : typhus exanthématique (Fleckfieber).
(aucun “45000” de Puteaux n’a survécu)
Les 10 et 15 mars 1945, Marie Louise Pairière est entendue comme témoin par la Justice au sujet de l’arrestation de son mari dans le cadre de procédures d’épuration de la police.
Lors du scrutin municipal du 26 avril 1953, elle est présentée à Puteaux sur la liste du PCF. Le 14 mars 1965, elle est déléguée de liste aux municipales.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Lucien Pairière (J.O. du 4-01-1994).
Notes :
[1] Puteaux : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Charles Mochet (1880-1934) est l’inventeur en 1925 du Vélocar, un quadricycle biplace sans moteur caréné avec un contreplaqué aéronautique léger, puis, en 1933, du premier vélo couché, très performant, disqualifié pour la compétition par l’Union cycliste internationale. Son fils, Georges Mochet, prendra la direction de l’entreprise après le décès de son père. Après-guerre, il construira des voiturettes motorisées sans permis.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 383 et 416.
Archives départementales du Cher (AD 18), site internet du Conseil général, archives en ligne ; registre des naissances de Bourges, année 1897 (cote 3E 5408), acte n° 736 (vue 369/421) ; registre des matricules militaires, bureau de Bourges, classe 1917 (cote 2R 747), matricule n° 1874 (vues 658-659/827).
Jean-Luc Dron et Paul Chagnoux, ficher PDF Ancestramil 2011, transcription de l’historique 1914-1918 du 414e régiment d’infanterie.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : camps d’internement… (BA 2374) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 303-32258) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1748-104177).
Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris ; liste XLI-42, n° 140.
Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 898.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Office for information on former prisoners) : acte de décès à Auschwitz (21992/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 7-10-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.