- Collection Roger Arnould. Droits réservés.
Charles, Henri, Passot naît le 14 mai 1896 à Fourchambault (Nièvre), qui constitue avec la commune voisine de Garchisy un des plus vieux sites sidérurgiques du centre de la France, fondé sous le Second Empire. Dans cette famille ouvrière, on est sympathisant socialiste.
Avant la première guerre mondiale, Charles Passot est ouvrier en tôlerie automobile chez Renault à Boulogne-Billancourt (Seine / Hauts-de-Seine). Sur la butte du Chapeau Rouge [1], il assiste à un meeting avec Jean Jaurès accompagné de sa jeune sœur Marie-Louise, alors âgée de 12 ans. En août 1915, son frère Jean-Baptiste est arrêté et écroué pour avoir manifesté contre la guerre.
En 1920, lors de la scission du Congrès de Tours, Charles Passot choisit le Parti communiste. Sa sœur y adhère en 1923.
Dans l’entre-deux-guerres (?, à vérifier…), Charles et Jean-Baptiste Passot sont conseillers municipaux à Boulogne-Billancourt.
Militant communiste, Charles Passot est sur la ”liste rouge” du patronat : ouvrier hors pair en carrosserie, il peut trouver facilement du travail, mais dès que son nouvel employeur apprend son engagement, il est licencié.
Dans les années 1920 (?, à vérifier…), Charles Passot part s’établir à Granville (Manche – 50). Dans les années 1930, il ouvre un petit atelier de tôlerie-carrosserie, se mettant à son compte comme artisan.
- Charles Passot au volant de son As de Trèfle.
Il semble que ce soit une voiture de course (Alfa-Romeo ?).
Collection Roger Arnould. Droits réservés.
Au moment de son arrestation, il est domicilié boulevard Louis-Dior à Granville. Marié, il a un enfant.
À Granville, Charles Passot poursuit son activité militante, avec son ami L. Blouet, Léon Lamort [2] et René Longle, notamment dans la période du Front populaire.
Lors des élections cantonales d’octobre 1937, le Parti communiste présente Charles Passot comme candidat au Conseil général dans la circonscription de Mortin.
À l’automne 1939, quand le Parti communiste est dissout et interdit, les quatre camarades de Grandville sont interdits de séjour et « envoyés loin en résidence surveillée ».
À l’été 1940, après le début de l’occupation, ils reviennent à Granville et commencent à reconstituer le Parti communiste dans la clandestinité.
Pendant cette période, un autre frère Passot, Émile, est arrêté, jugé et condamné à sept mois de détention pour son activité communiste. Écroué à la Maison centrale de Poissy, il est libéré juste avant la mise en œuvre de la politique des otages.
Le 22 juin 1941, Charles Passot est arrêté à son domicile [3]. D’abord détenu à la prison de Granville, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule 1327. Pendant cette détention, il correspond avec ses proches par l’intermédiaire de sa sœur Marie-Louise, alors infirmière assistante sociale au dispensaire municipal de Vitry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne).
Le 28 octobre, son nom figure sur une liste de dix-huit otages établie par la Felkommandantur 722 de Saint-Lô.
Entre fin avril et fin juin 1942, Charles Passot est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Charles Passot est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45951 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Charles Passot est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
Il meurt à Birkenau le 29 décembre 1942, selon plusieurs registres tenus par l’administration SS du camp.
Sa nièce Madeleine, fille de son frère Jean-Baptiste (alias Lucienne Langlois, dite “Betty”), engagée dans l’activité du Parti communiste clandestin (agent de liaison au plus haut niveau), est arrêtée dans sa planque à Paris le 3 mars 1942, à la suite des filatures de l’affaire Pican-Cadras-Politzer. Après sa détention au secret dans le quartier allemand de la prison de la Santé, elle est transférée au fort de Romainville, Haftlager 122, le 20 août. Là, elle apprend que son oncle Charles a été déporté. Dans une lettre sortie clandestinement et adressée à sa mère, elle écrit : « [l’ami de Normandie] doit travailler de force, car tout le camp de Compiègne a été vidé et les prisonniers envoyés là-bas [en Allemagne] ». Dans un message ultérieur, elle demande à ses parents s’ils ont reçu des nouvelles de lui. Dans un de ses derniers mots clandestins avant son propre départ, Madeleine évoque qu’il a pu être déporté vers la Galicie, en Pologne. Enfin, dans un ultime message avant le passage par Compiègne, elle écrit : « Je retrouverai, peut-être l’ami de la Manche. »
Le 26 janvier 1943, lorsqu’elle arrive arrive à Auschwitz dans le convoi des “31000“, il ne lui sera pas donné de retrouver son oncle : Charles Passot a disparu depuis deux mois. Mais Madeleine ignore le sort de celui-ci. Quand les déporté(e)s politiques français rescapé(e)s obtiennent le droit d’écrire – sous la censure et en allemand -, c’est elle qui interroge ses parents, en septembre, puis un peu avant Noël 1943 : « …je voudrais aussi savoir quelque chose de l’oncle Charles ». En février 1944, elle écrit suivant un langage codé : « Charles est probablement chez grand-mère [décédée !], ce qui n’est pas du tout étonnant. »
Après la guerre, une photographie de Charles Passot est exposée pendant un temps dans la vitrine de la permanence du Parti communiste à Granville, ce qui n’est pas « du goût » de sa veuve (selon le témoignage de sa sœur Marie-Louise).
Parmi les ”45000” rescapés, Georges Gourdon notamment se souvient de lui.
Grâce aux démarches de L. Blouet, résistant de Granville, Charles Passot est reconnu comme “Déporté Résistant” (il avait d’abord été homologué comme “Déporté politique” en 1953). La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 28-02-1996).
En avril 2009, grâce à l’obstination de Génia Oboeuf, présidente de la FNDIRP de la Nièvre, sa nièce Madeleine (veuve de Mathurin Jégouzo) obtient qu’une plaque commémorative à la mémoire de Charles Passot soit apposée sur le Monument aux morts de Fourchambault, sa ville natale ; dévoilée le jour du souvenir national de la déportation.
Madeleine Jégouzo décède le 19 septembre 2009.
Notes :
[1] La butte du Chapeau Rouge, de l’autre côté des fortifications, animée d’une guinguette qui lui a laissé son nom, était située sur la commune du Pré-Saint-Gervais, dirigée par une municipalité socialiste SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière). Au début des années 1910, la fédération socialiste de la Seine loue ce terrain privé qui lui permet contourner l’interdiction des réunions sur la loi publique, tout en rassemblant des foules qu’aucune salle parisienne ne pourrait contenir. Au printemps 1913, alors que la guerre devient imminente, le rassemblement en souvenir des communards qui doit se tenir le 25 mai, comme chaque année, au Mur de Fédérés du Père-Lachaise est annulé par la préfecture de police de Paris : le gouvernement de Louis Barthou redoute que la manifestation ne se retourne contre lui. Cent cinquante mille personnes répondent alors à l’appel des élus socialistes et des syndicats à manifester au Pré-Saint-Gervais. Sur la butte du Chapeau Rouge, parmi d’autres orateurs et au milieu d’une véritable marée humaine, Jean Jaurès prononce un discours contre la loi des Trois ans tendant à allonger d’une année le service militaire (un préalable à la mobilisation). Les premiers journalistes photographes immortalisent sur le vif son charisme. Malgré l’ampleur de la mobilisation, l’Assemblée nationale vote la loi. On connait la suite… Jean Jaurès prend encore la parole au Pré-Saint-Gervais, le 13 juillet suivant, au cours d’une nouvelle manifestation (depuis le balcon de l’Hôtel de Ville ?).
[2] Léon Lamort, né le 3 mai 1905 à Granville, déporté le 24 janvier 1943 de Compiègne, enregistré le 25 janvier au KL Sachsenhausen, matricule n° 59152, transféré au KL Neuengamme, affecté au KommandoBlohm & Vos à Hambourg, créé en octobre 1944, dans lequel plus de 400 détenus sont utilisés à des travaux de déblaiement et de constructions navales. Léon Lamort y succombe le 2 février 1945.
[3] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht. Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 366 et 416.
Yves Jégouzo, in Madeleine dite Betty, Déportée résistante à Auschwitz-Birkenau, L’Harmattan, collection Graveurs de mémoire, Paris juin 2001, pages 9, 42, 134, 151, 162, 185, 194, 195, 196.
Roger Arnould, Le convoi des “45000” d’Auschwitz, état des lieux en mars 1980, cité par Yves Jégouzo, op. cit., pages 52 à 53. Roger Arnould s’appuie notamment sur le témoignage de Marie-Louise Passot, épouse Lemonnier, sœur cadette de Charles Passot, qui lui confie également la seule photographie connue de son frère, au volant de sa voiture.
De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Évrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Cl. Caron-Hamet page 130.
Site Gallica, Bibliothèque Nationale de France, L’Humanité n° 14152 du vendredi 17 septembre 1937, page 4, “dix-huitième liste (suite)…”.
Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; doc. XLIII-22.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué).
Site Paris quartiers d’été.
Philippe Vehrung, in Socialistes à Paris : 1905-2005, textes réunis par Laurent Villate, éditions CREAPHIS, 2005.
Livre-Mémorial de la FMD, tome 1, 10 mai 2004, page 625, convoi I.74.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 1-08-2013)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.