René, François, Pignet naît le 18 mai 1922 à Carvin (Pas-de-Calais), cité minière, fils d’Ernest René Pignet, 24 ans, mécanicien ajusteur, et Flora Célina Mercier, 24 ans, son épouse. Son père travaille ensuite quelque temps comme “houilleur” (mineur de charbon). Le 10 août 1926, Ernest et Flora ont une fille, Marie-Louise, sœur de René, mais celle-ci décède prématurément l’année suivante, le 7 octobre 1927, chez ses parents, au 6, rue Séraphin-Cordier à Carvin.
Fin septembre 1929, Ernest, Flora, et René Pignet habitent au 63, rue Danjou à Boulogne-Billancourt (Seine / Hauts-de-Seine). En 1931, Ernest s’y déclare comme coiffeur.
Fin février 1932, ils habitent au 2, place Carnot à Beaune (Côte-d’Or), et ils y sont encore au printemps 1936, Ernest se déclarant alors comme artisan coiffeur (patron).
À une date restant à préciser, Ernest Pignet s’installe avec sa famille au 1, rue Lamarck à Albert (Somme), à l’étage du salon de coiffure où il exerce son métier. Plus tard, son fils René commence à y travailler.
Le 20 mai 1942 – deux jours après ses vingt ans -, René Pignet est arrêté avec son père, dans leur salon de coiffure, par des Feldgendarmes d’Albert, à la suite d’une dénonciation (selon la mémoire familiale) ; leur maison est perquisitionnée. Sa mère, emmenée avec eux, sera relâchée un peu plus tard.
Après la guerre, trois motifs différents – mais non contradictoires – ont été avancés pour expliquer cette arrestation.
Le premier serait une expression trop publique de leurs sentiments anti-allemand. En 1943, parlant du père, le maire d’Albert déclarera : « très bavard ; la population n’a pas été très surprise de son arrestation ». Cet argument sera repris par le préfet de la Somme en juillet 1952.
D’après la mémoire familiale, la dénonciation pourrait résulter d’un conflit sur un “coup de pêche” après que père et fils aient jeté une grenade dans un étang. Ils seraient alors arrêtés par l’armée d’occupation parce que suspectés de détention d’armes. Cette deuxième explication sera partiellement reprise par le préfet en 1952 : « Monsieur René Pignet aurait détenu chez lui des grenades » et s’en serait débarrassé avant la perquisition du 20 mai 1942.
Enfin, après-guerre (1949-1950), quatre témoignages au moins indiquent qu’ils auraient aidé des prisonniers de guerre à s’évader, notamment du camp d’Amiens (Frontstalag 204), en les hébergeant, puis en les adressant à une cousine habitant Moulins, sur la ligne de démarcation, dans la perspective de leur passage en zone libre (l’année 1941 est citée).
Selon Marcel Tomeno – qui n’était pas témoin direct -, Jean Fletcher, domicilié à Carvin et gardien à l’usine aéronautique de Méaulte, commune voisine, était impliqué « dans la même affaire », sans davantage de précision.
Les trois hommes restent enfermés à la prison de l’Hôtel de Ville d’Albert jusqu’au 22 mai à 9 heures, date à laquelle ils sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Ils sont dans la même chambrée, avec également Georges Hanse, de Beauvais (45653 – rescapé). Ernest Pignet est enregistré sous le matricule n° 5819 et René sous le n° 5820.
Avant la juin 1942, René Pignet est sélectionné avec son père parmi plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Depuis le train, René Pignet jette un message transmis à sa mère. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, René Pignet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45989 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, René Pignet et son père Ernest sont dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
Selon Marius Sanzi (rescapé), René Pignet « travaille longtemps de son métier » (coiffeur), puis est atteint du typhus.
Le 17 novembre 1942, dans la chambrée (Stube) n° 5 du “Revier” de Birkenau (Block n° 8 – en brique – du secteur BIb) – où se trouvent également Henri Peiffer et Alexandre Varoteau -, il reçoit quarante gouttes de valériane (antispasmodique et calmant) et un comprimé de Pyramidon (antinévralgique et antifébrile). Le 24 novembre, il reçoit 6 comprimés de charbon (Kohle) et 15 grains de « Bol blanc » (Bolus alba, du kaolin) pouvant soulager de la dysenterie. Dans ce dispensaire, le SS-Rottenführer Franz Schulz exécute certains détenus avec une injection mortelle dans le cœur…
René Pignet meurt à Birkenau à une date inconnue.
En France, l’acte de décès établi après-guerre par l’état-civil indique le 15 décembre 1942 [1]. Toutefois, celle-ci n’est confirmée par aucun survivant (André Faudry, Henri Peiffer, Georges Hanse, Marius Zanzi). Leurs témoignages – non convergents – situent sa mort entre la fin octobre 1942 et le début de l’année 1943.
Selon André Faudry, malade du typhus, René Pignet est enfermé au Block 7, une prétendue infirmerie où personne n’est soigné et où sont rassemblés ceux qui seront gazés.
Ce qui est certain, c’est que les disparitions respectives de René et d’Ernest Pignet surviennent avant la mi-mars 1943, puisqu’ils ne font pas partie des dix-sept survivants de Birkenau qui réintègrent le camp principal à cette date.
Déclaré “Mort pour la France” (10-6-1946), René Pignet est homologué comme “Déporté politique”. La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (14-12-1997).
UNE MÉMOIRE VIVE
Françoise Tomeno
1er juillet 2012
C’était il y a quelques années. J’étais allée, suite à des recherches familiales, dans la ville où avaient habité et travaillé un oncle et un cousin de mon père, arrêtés le 20 mai 1942, emmenés au camp d’internement de Royallieu à Compiègne, puis déportés le 6 juillet de la même année à Auschwitz Birkenau, d’où ils n’étaient jamais revenus.
Je prenais des photos du lieu où ils avaient été arrêtés, leur lieu de travail, un salon de coiffure. J’avais été surprise en constatant qu’à cette adresse il y avait toujours le salon de coiffure. Après avoir pris quelques photos depuis l’autre côté de la rue, voyant que cela intriguait les personnes qui se trouvaient dans le salon, je suis entrée pour expliquer ce que je faisais là. La patronne me dit alors : « J’ai coiffé votre grand-tante il y a quelques jours ». Surprise pour moi, ma grand-tante était décédée depuis bien longtemps, et aurait dépassé très largement la centaine d’années. Je lui explique que c’est impossible. Elle me dit que, pourtant, la très vieille dame à laquelle elle pense s’est présentée, avec beaucoup d’émotion, comme la femme d’un coiffeur qui travaillait dans ce salon, qui avait été arrêté, déporté à Auschwitz, et qui n’en était jamais revenu. Cette dame avait précisé qu’elle-même travaillait à l’étage.
Très intriguée, je fais un rapide calcul, et je fais l’hypothèse que cette vieille dame d’environ 80 ans était peut-être la fiancée du cousin de mon père, fiancée dont l’histoire familiale mentionnait l’existence. Le cousin de mon père avait été arrêté deux jours après avoir fêté ses vingt ans.
Je demande alors à la patronne si je peux lui laisser mes coordonnées, afin qu’elle puisse, lorsque cette vieille dame reviendrait, lui faire part du fait que je souhaitais, si elle le voulait bien, la rencontrer. J’avais dans l’idée que je pourrais lui transmettre le fruit de mes recherches. Que savait-elle du motif de la déportation de son amoureux ? Que savait-elle de son décès ? Ma famille elle-même avait été, jusqu’il y a peu, dans l’ignorance, et c’est ce qui m’avait conduite à prendre contact avec les Archives en Allemagne, et à aller consulter les dossiers de mon grand – oncle et de son fils aux Archives de Caen.
La patronne me dit qu’elle ne sait pas si elle reverra cette dame, qui n’était venue que deux fois, qui n’avait parlé de la disparition de son homme que la deuxième fois. Et puis cette dame était très âgée.
Je repars avec l’espoir que je pourrai tout de même la rencontrer. Je sens monter en moi, pour cette femme, un immense respect, et beaucoup d’émotion. Quelle belle rencontre elle avait dû avoir avec mon grand – cousin pour venir ainsi, plus de soixante années après, évoquer son souvenir auprès de celle qui avait repris le salon récemment.
Je n’ai jamais eu de nouvelles de cette vieille dame. Elle n’est jamais revenue dans le salon de coiffure. Avait-elle accompli ce qu’elle devait à la mémoire de son homme ? Était-elle venue, par ce geste, témoigner de son attachement à cet homme, et d’une émotion toujours présente à l’évocation de son souvenir ?
Je n’ai jamais pu lui dire que son homme, et le père de celui-ci, avaient aidé des Français, faits prisonniers par les nazis, à s’échapper d’un camp d’internement, et à passer en zone libre. Je n’ai jamais pu lui dire qu’ils étaient tous deux morts très peu de temps après leur arrivée au camp de Birkenau, malades l’un et l’autre. Je n’ai jamais pu lui faire part des témoignages de leurs compagnons de déportation rentrés du camp. Je n’ai jamais pu….
Mais quel hasard l’avait fait venir au salon de coiffure quelques jours avant mon passage, rendant possible que j’apprenne son existence, sa fidélité à la mémoire de celui qui avait été son amoureux ?
Madame, j’ai pour vous un profond respect. Je remercie le hasard de m’avoir offert cette luciole de votre vie, et je suis heureuse de la publier ici.
Notes :
[1] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 379 et 417.
Cl. Cardon-Hamet, notice biographique envoyée à Françoise Tomeno (30-01-2006), citant : M. Aubert, adjoint au Maire Délégué, mairie d’Albert (80) – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier national). – Acte de décès. M. Lallou, ADIRP d’Amiens (lettre du 26 mars 1991).
Divers services départementaux d’archives, sites internet, archives en ligne.
Courriels de Françoise Tomeno, sa petite-nièce (01-2006, 05-2008, 2-2021, 03-2021), documents numérisés, notes au Bureau des archives des conflits contemporains (BACC), Caen.
André Faudry, lettre du 12 juin 1945.
Henri Peiffer, lettre du 3 juillet 1945.
Georges Hanse, lettre du 4 mars 1946.
Marius Zanzi, lettre du 12 mars 1946.
Registre de délivrance de médicaments de l’infirmerie de Birkenau, Archives du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau (Archiwum Państwowego Muzeum Auschwitz-Birkenau – APMAB), Oświęcim, Pologne ; Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; page complémentaire transmise par André Nouvian.
Irena Strzelecka, Les hôpitaux dans le camp de concentration d’Auschwitz, in Auschwitz 1940-1945, tome 2, Les détenus – La vie et le travail, chap. 9, p. 364-365, éditions du Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, 2011.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 22-03-2021)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.