Raoul, Alexandre, Rupert naît le 8 octobre 1917 à Paris 13e, fils de Jeanne Rupert, 19 ans, couturière, domiciliée au 34, avenue Carnot à Paris 17e et qui accouche au 177, boulevard de la gare (bd Vincent-Auriol). La déclaration du nouveau-né à l’état-civil est faite par une sage-femme, les deux témoins étant une autre sage-femme et la concierge de l’immeuble. Le 20 octobre suivant, l’enfant est reconnu à la mairie du 17e arrondissement par sa mère et Paul Platiau – dont il prend le nom -, puis légitimé par ses deux parents le 25 avril 1918 à la mairie d’Asnières (Seine / Hauts-de-Seine – 92) ; mariage ?
Pendant un temps, travaillant comme employé de bureau, Raoul Platiau habite au 5, boulevard Aristide-Briand, à Suresnes [1] (92), probablement chez ses parents.
Le 25 avril 1936, à Suresnes, il se marie avec Françoise Marguerite Lamiral, née le 4 février 1915 à Choisy-le-Roi (Seine / Val-de-Marne), dactylo, domiciliée au 17, rue des Épinettes, à Paris 17e. Ils auront un fils, Claude, né le 4 mai 1937, à Paris 14e.
À partir du 1er mars 1938, la famille est domiciliée au 27, avenue Jean-Jaurès, dans la cité-jardin de Suresnes.
En juin 1937, Raoul Platiau a adhéré au Parti communiste. La police le considère comme un « militant révolutionnaire très actif ».
Entre septembre 1939 et juin 1940, il est mobilisé au 101e régiment d’infanterie. Fait prisonnier en juin 1940 à Nemours (Seine-et-Marne), il s’évade – probablement avant le transfert en Allemagne – et revient à Suresnes.
Pendant un temps, il travaille comme chauffeur-livreur aux Établissements Philippe et Meunier, sis au 23, rue Tronchet à Paris (quartier de la Madeleine).
Entré en contact avec le Parti communiste clandestin, il distribue des tracts, colle des affiches et des “papillons”.
Le 2 octobre 1940, vers 18 heures, Raoul Platiau est arrêté chez lui par deux policiers en civil du commissariat de la circonscription de Puteaux pour une distribution de tracts effectuée sur le marché de Suresnes le 25 août précédent – « suite à l’affaire Dubrullé, Cazaud, Pages, Ott, Giraus, Quinton, Birand, Bécue… » (probablement dénoncé). La perquisition effectuée simultanément à son domicile n’amène la découverte d’aucune preuve de son activité. Raoul Platiau est conduit au commissariat avec ses camarades Émile Bouchacourt, René Jodon (qui seront déportés avec lui) et trois autres militants dont Paul Couprie [2]. Selon des déclarations faites ultérieurement à son épouse, Raoul Platiau est alors violemment frappé lors de son interrogatoire par un inspecteur, le commissaire et deux autres policiers du commissariat de Puteaux, au point de s’évanouir. Le 5 octobre, les six hommes sont conduits au dépôt de la préfecture de police. Trois jours plus tard, inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939, ils sont écroués à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
Le 14 janvier 1941, la 12e chambre du tribunal correctionnel de la Seine condamne à six mois d’emprisonnement Platiau, Bouchacourt, Couprie et Jodon, qui font appel de la sentence.
À l’expiration de sa peine, le 19 février, Raoul Platiau n’est pas libéré, mais ramené dans les bureaux de la préfecture de police où il reste une journée avant d’être conduit au dépôt. Le lendemain, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif, en application du décret du 18 novembre 1939.
Le 27 février, Raoul Platiau fait partie d’un groupe de 48 internés administratifs – dont Guy Môquet, Maurice Ténine et seize futurs “45000” – transférés à la Maison centrale de Clairvaux (Aube) où ils en rejoignent d’autres : 187 détenus politiques s’y trouvent alors rassemblés.
Le même jour, son épouse écrit au préfet de police pour lui demander où se trouve son mari, sachant qu’il était encore détenu au Dépôt la veille. Dans ce courrier, elle s’étonne « qu’un honnête homme soit condamné à la détention administrative pour une durée illimitée ».
Le 3 mars, le maire de Suresnes écrit au préfet de police : « Le jeune Platiau […] a accompli sa peine le 19 février dernier. Or, conformément à une règle qui est devenue générale dans vos services, à l’emprisonnement réglementaire on ajoute l’internement administratif dans un camp de concentration. Cette mesure est appliquée, semble-t-il, sans examen des cas d’espèces, avec un automatisme dont l’iniquité est parfois certaine. C’est le cas en l’espèce. Je connais très bien le jeune Plateau et sa famille. Je ne veux pas insister sur les conditions dans lesquelles il a été arrêté et condamné, mais je considère que son maintien en liberté n’est à aucun degré contraire à l’intérêt public. » Le 10 mars, les Renseignements généraux rendent leur avis : « … la libération de Platiau ne semble pas opportune dans les circonstances actuelles ».
Le 17 avril, Raoul Platiau écrit au préfet de police pour protester contre les conditions de sa détention. « Après un emprisonnement de 4 mois 1/2 à la prison de la Santé pour infraction au décret du 26/9/39 ; j’en suis sorti le 19 février 41 et dirigé sur un camp de concentration aménagé à la prison centrale de Clairvaux. Dans ce camp et comme interné administratif, je jouissais d’une liberté relative et étais autorisé à circuler continuellement dans un endroit réservé exclusivement aux internés administratifs politiques. Après 1 mois de cette vie en commun, je suis de nouveau à la prison de la Santé et soumis au régime cellulaire, au même titre qu’un condamné. Ce régime, appliqué à un homme ayant terminé sa peine, est totalement illégal et, en conséquence, je me permets […] de solliciter […] une intervention auprès des services intéressés et de Monsieur le Directeur de la Santé pour le transfert des internés administratifs au quartier politique ou, si ce quartier est occupé, de nous grouper dans un endroit où il sera possible de laisser nos cellules ouvertes afin de communiquer entre nous et de nous accorder également, en plus de notre promenade du matin, une autre l’après-midi. Sachant en outre, que nous sommes enfermés dans des cellules totalement dépourvues d’hygiène, j’espère, Monsieur le préfet, que vous voudrez bien étudier favorablement ces justes revendications… »
Le 21 mai, il écrit de nouveau au préfet de police : « … je me permets […] de vous adresser une demande de mise en liberté. Je suis marié et j’ai un enfant de 4 ans. J’ai été mobilisé et fait la guerre, et quelques temps après mon retour à mon foyer, j’ai été mis en état d’arrestation. Cela fait donc 20 mois que je n’ai pas subvenu aux besoins de ma famille, et depuis ce temps ma femme doit vivre et élever mon enfant avec une allocation de chômage. »
Le 16 septembre suivant, il est remis à la police judiciaire et ramené à Clairvaux le lendemain.
Le 26 septembre 1941, il fait partie d’un groupe de détenus transférés au “centre d’internement administratif” (CIA) de Gaillon (Eure), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle.
Le 3 février 1942, Marguerite Platiau écrit au préfet de l’Eure pour lui demander de bien vouloir réviser le cas de son mari et d’y apporter une solution favorable, sachant que « cela fait presque un an qu’il devrait être rentré dans son foyer où l’attend un petit garçon de quatre ans ». Quatre jours plus tard, l’administration lui répond au nom du préfet qu’il est impossible, « dans les circonstance actuelles », de réserver un accueil favorable à sa requête.
Selon une note de la police (RG ?) datée du 18 février 1942, Raoul Platiau figure avec Bouchacourt et Jodon sur une liste de 43 « militants particulièrement convaincus, susceptibles de jouer un rôle important dans l’éventualité d’un mouvement insurrectionnel et pour lesquels le Parti semble décidé à tout mettre en œuvre afin de faciliter leur évasion », et qui sont pour la plupart internés au camp de Gaillon.
Le 4 mai 1942, Raoul Platiau fait partie d’un groupe de détenus transférés au camp français de Voves (Eure). Enregistré sous le matricule 311, il n’y reste que deux semaines.
Le 20 mai, il est parmi les 28 détenus que viennent chercher des gendarmes français. Pensant qu’on les emmène pour être fusillés, les partants chantent La Marseillaise. En fait, remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci, ils sont conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Raoul Platiau est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Raoul Platiau est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 45991, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Raoul Platiau. Cependant, Albert Rossé le présumera disparu à Birkenau
Raoul Platiau meurt à Auschwitz le 5 janvier 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) [3].
Le 3 juillet 1945, déjà informé du décès de son mari, Marguerite Platiau témoigne dans une procédure d’épuration visant un policier du commissariat de Puteaux qui a frappé son mari lors de son interrogatoires.
Le 8 novembre 1945, deux “45000” de Suresnes rescapés, Émile Bouchacourt (arrêté dans la même affaire) et Clément Pellerin, signent chacun une attestation certifiant qu’ils ont fait savoir à Madame Platiau que son mari « est décédé en septembre 1942 au camp d’Auschwitz où il a été exterminé comme typhique » (malade du typhus exanthématique). Albert Rossé propose le même mois ; l’imprécision de la date indique qu’il ne s’agit pas d’un témoignage direct.
Le 13 mai 1945, Marguerite Platiau est élue conseillère municipale de Suresnes sous l’étiquette de l’Union des Femmes Françaises (UFF).
Le 15 avril 1946, à la mairie de Suresnes, Marguerite Platiau dépose une demande de régularisation de l’état civil d’un non-rentré auprès du Ministère des Anciens combattants et victimes de la guerre (ACVG).
Le 11 mai suivant, un officier d’état civil au Ministère des ACVG dresse l’acte officiel de décès de Raoul Platiau, en fixant la date au 1er septembre 1942 « sur la base des éléments d’information figurant au dossier ».
Le 6 juillet 1949, la commission nationale d’homologation du secrétariat aux forces armées-guerre certifie l’appartenance de Raoul Platiau à la Résistance intérieure française au titre de l’organisation Front national en lui attribuant le grade fictif de sergent.
Le 18 décembre 1951, Marguerite Platiau, en qualité de conjointe, remplit et signe un formulaire du Ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son mari. Le 3 juin 1954, la commission départementale de la Seine émet un avis défavorable. « S’il est démontré, en effet, que Monsieur Platiau, arrêté pour infraction au décret du 26 septembre 1939, relève du statut des Déportés et Internés politiques, par contre, la relation de cause à effet qui, aux termes de l’article n° 286 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, doit exister entre son appartenance à une organisation de Résistance et sa déportation n’est pas établie ». Le 30 juillet suivant, sa demande fait l’objet d’une double décision du ministère, refusant le titre sollicité, mais accordant celui de Déporté Politique. Entre le 19 août et le 7 octobre, Marguerite Platiau reçoit la carte de déporté politique n° 1101 12339.
En 1967, Marguerite Platiau, non remariée, est domiciliée au 4, avenue de l’abbé-Saint-Pierre, à Suresnes. En 1984, elle habite à Conflans-Sainte-Honorine (78).
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Raoul Platiau (J.O. du 27-01-1998).
Notes :
[1] Suresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes industrielles de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Paul Couprie semble être le seul a avoir été ramené à Clairvaux à la suite du procès en appel. Le 26 septembre 1941, il est parmi la centaine d’internés de Clairvaux transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne). Il ne semble pas être parmi les détenus transférés à Compiègne le 22 mai 1942… Il ne semble pas avoir été déporté (ne figure pas dans Livre-Mémorial de la FMD).
[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Raul Platiau, c’est le 1er septembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 384 et 417.
Claudine Cardon-Hamet, notice consacrée à Émile Bouchacourt, pour Mémoire Vive.
Archives départementale de Paris, archives judiciaires, registre du greffe du tribunal correctionnel de la Seine, 14 janvier-12 février 1941.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2373 et 2374) ; liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1577-53734) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 629-19198).
Archives départementales de l’Eure (AD 27) ; camp de Gaillon, dossier individuel de Raoul Platiau, cote 89 w 6, recherches de Ginette Petiot (message 10-2014) Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
Témoignage de Dominique Ghelfi (daté 1946), Contre l’oubli, brochure éditée par la mairie de Villejuif en février 1996, page 61. D. Ghelfi, n’ayant pas été sélectionné pour le convoi du 6 juillet, a assisté au départ de ses camarades. Lui-même a été déporté à Buchenwald en janvier 1944 (rescapé).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 940 (580/1943).
Musée de la Résistance nationale (MRN) Champigny-sur-Marne (94), carton “Association nationale de des familles de fusillés et massacrés”, fichier des victimes (4299).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier de Raoul Platiau, cote 21 P 526 385, recherches de Ginette Petiot (message 10-2014).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, 7-10-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.