André, Eugène, Joachim, Poirier naît le 6 février 1897 à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1] – 76), au domicile de ses parents, Eugène Poirier, 28 ans, chaudronnier, et Alexandrine Anglar, son épouse, 22 ans, tisseuse, demeurant au 87, rue Jean-Cécille. En 1900, la famille habite au 56, rue Bouvier à Sotteville, où Madeleine Alexandrine Victoire, sœur d’André, naît le 29 août.
Pendant un temps, André Poirier, qui habite chez ses parents, commence à travailler comme mouleur. En 1906, son père est chaudronnier à la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest.
La Première Guerre mondiale est déclenchée début août 1914. Le 10 janvier 1916, André Poirier est incorporé au 103e régiment d’artillerie lourde. Le 24 novembre, il part « aux armées ». Le 1er mars 1918, il passe au 303e R.A.L. Le 8 août suivant, il est cité à l’ordre du régiment. Le 10 août, il réintègre le 103e R.A.L. Le 17 août, il est blessé au-dessus de la tempe droite, mais n’est pas évacué de la zone de combat. Le 14 septembre, il est cité à l’ordre du corps d’armée. Il reçoit la Croix de guerre.
Le 16 juillet 1919, l’armée le classe “affecté spécial” dans la réserve comme employé de la Compagnie des Chemins de fer de l’État (qui fusionnera au sein de la SNCF en 1938 [2]). Sa présence aux armées est comptabilisée jusqu’au 19 juillet, date à laquelle il est peut-être renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 24 avril 1920 à Sotteville, André Poirier se marie avec Renée Linot, née le 4 janvier 1899 à Rouen (76), fille d’un « employé au chemin de fer ».
En 1926, le couple habite au 18, rue Lecuyer, à Sotteville. Renée est alors employée à la Solidarité (?).
Le 28 février 1928, le commissaire spécial de Rouen établit une notice individuelle le désignant comme « militant et propagandiste communiste [versant] aux collectes faites en faveur de la souscription nationale de L’Humanité pour les élections de 1928 ».
André Poirier est également adhérent de la CGT.
En 1925, lors de la création de la Maison du Peuple de Sotteville, située au 317-323, rue de la République, André Poirier est élu à son Conseil d’administration et nommé secrétaire (Marius Vallée y est secrétaire de 1926 à 1931). André Poirier y sera réélu le 28 mars 1938 comme administrateur délégué.
Le 15 août 1929, André Poirier fait l’objet d’une perquisition comme correspondant de la Banque ouvrière et paysanne.
En 1931 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 2 ou 4, rue de Toulon, à Sotteville. Il est alors mouleur sur cuivre aux ateliers SNCF de Buddicom à Sotteville, réseau de la région Ouest.
Le 10 janvier 1938, le préfet de Seine-Inférieure demande au commissaire spécial de police de Rouen de faire procéder à une enquête discrète sur le Parti communiste dans l’arrondissement de Rouen, en vue de le renseigner exactement sur le siège des sections et des cellules, leurs dirigeants et leurs principaux membres (enquête qui compléterait celle de 1934-1935). Quatre jours plus tard, le commissaire de police de Sotteville rend son rapport au commissaire spécial : la cellule Buddicom et petit entretien réunis (des Chemins de fer de l’État) réunit 219 adhérents. Elle a pour secrétaire Théodore Pigne et pour trésorier Gustave Fouache. André Poirier y représente la fonderie.
À la suite du décret du 26 septembre 1939 ordonnant la dissolution du Parti communiste, André Poirier fait l’objet d’une perquisition comme administrateur de la Maison du Peuple de Sotteville (notice établie le 4 novembre).
Le 7 octobre, le commissaire spécial de Rouen transmet à tous les commissaires de Seine-Inférieure, et à certains maires, une circulaire leur demandant de lui « fournir, dès que possible, la liste des principaux militants du Parti communiste qui faisaient partie des cellules de (leur) ville ou circonscription » en indiquant, nom, prénoms, âge si possible, profession, domicile et « situation actuelle (présent ou mobilisé) ». André Poirier figure bien sur cette liste.
Le 4 août 1941, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans un camp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, André Poirier…
Le 22 octobre 1941 [2], il est arrêté, probablement à causes de « ses anciennes opinions politiques ». Il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne [3] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager), où il est enregistré sous le matricule n° 3341.
Entre fin avril et fin juin 1942, André Poirier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, André Poirier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 45996 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté André Poirier ; néanmoins, l’administration française a mentionné Birkenau.
Il meurt à Auschwitz le 17 août 1942, d’après le registre d’appel du camp, listant les détenus décédés (Verstorbene Häftlinge), et l’acte de décès établit par l’administration SS (Sterbebücher). Ce jour-là, 29 autres “45000” sont portés décédés ; probablement à la suite d’une séance de désinfection (coups, manque de sommeil…).
Après leur retour de déportation, les rescapés du convoi qui attestent de son décès sont Lucien Matté, de Paris 12e, et Albert Rossé, de Rosny-sous-Bois (93), tous deux du groupe ramené à Auschwitz-I.
Le nom d’André Poirier est inscrit sur le monument aux morts SNCF des ateliers de Buddicom à Sotteville érigé par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.
Son nom est également parmi ceux des 218 militant.e.s inscrit.e.s sur plusieurs plaques apposées dans la cour du siège de la fédération du PCF, 33 place du Général-de-Gaulle à Rouen, avec un extrait d’un poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) : « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’espoir et le désespoir. », et sous une statue en haut-relief dont l’auteur reste à préciser.
Le 25 octobre 1951, le Conseil Municipal de Sotteville donne le nom d’André Poirier à la rue B de la nouvelle cité du Toit Familial. Selon le maire : « Il est possible, actuellement, de rendre un juste hommage à la mémoire de personnages qui se sont illustrés à des titres divers ou à des héros locaux de la résistance à l’ennemi, en donnant leur nom à des rues de la ville ».
Sa veuve, Renée Poirier, décède à Sotteville le 19 septembre 1960, âgée de 60 ans.
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[2] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
[3] Le “brûlot de Rouen” et la rafle d’octobre 1941 : L’arrestation massive de plusieurs dizaines (*) de militants politiques et syndicaux – ou soupçonnés tels – dans un large périmètre autour de Rouen a suivi de peu le déraillement d’un train de matériel militaire allemand sur la ligne Rouen-Le Havre, dans le tunnel de Pavilly, à 1500 m de la gare de Malaunay, le 19 octobre 1941 ; ce sabotage étant l’un des objectifs visés par le “brûlot” de Rouen (groupe mobile de la résistance communiste). Néanmoins, les fiches d’otages des “45000” appréhendés dans cette période mentionnent que ces arrestations mettaient en application un ordre du Commandant de la région militaire A, daté du 14 octobre 1941. Ainsi, entre le 17 et le 25 octobre, il y eut le même type de rafles de “communistes” dans sept autres départements de la zone occupée. Il est probable que ces arrestations aient été ordonnées pour assurer la saisie de communistes destinés à être placés sur les listes d’otages de cette région militaire. Tous les hommes appréhendés furent, en effet, remis aux allemands qui les transférèrent à Compiègne entre le 19 et le 30 octobre 1941. 44 des otages arrêtés ces jours-là dans le secteur de Rouen furent déportés dans le convoi du 6 juillet 1942. Beaucoup furent fusillés au titre de représailles dans les semaines qui suivirent.
(*) 150 selon “30 ans de luttes“, brochure éditée en 1964 par la fédération du Parti Communiste de Seine-Maritime.
[4] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 377 et 417.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Haute-Normandie (2000), citant : Mairie de Sotteville-les-Rouen (24/7/1992) : acte de naissance avec mention marginale « Mort à Birkenau-Auschwitz le 15 septembre 1942 » – Liste établie par la CGT, p. 5 – Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen.
Louis Eudier (45523), listes à la fin de son livre Notre combat de classe et de patriotes (1939-1945), imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (2-1973 ?).
Guy Décamps, La Maison du Peuple de Sotteville-lès-Rouen, historique, Le Fil Rouge, revue de l’Institut d’Histoire Sociale CGT de Seine-Maritime, n°24, hiver 2005-2006.
Archives départementales de Seine-Maritime (AD 76), site internet du conseil général, archives en ligne, registre d’état civil de Sotteville-les-Rouen, année 1897 (4E 14044), acte n° 47 (vue 50/179) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau de Rouen, classe 1917 (1 R 3442), matricule 1654.
Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen, site de l’Hôtel du Département : cabinet du préfet 1940-1946 listes de militants arrêtés (51 W 427), recherches conduites avec Catherine Voranger.
Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine : Archives restituées par la Russie, commissariat spécial de Rouen 1920-1940 (20010223/2, doc. 96-98).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 948 (21328/1942).
Base de données des archives historiques SNCF : service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
Site du Groupe Archives Quatre-Mares (GAQM).
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, page 1201.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 12-12-2020)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.