- Auschwitz, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Gentil, François, (Clément ?) Potier naît le 22 juin 1895 à Saint-Nazaire (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique [1]), chez ses parents, André Potier, 39 ans, chauffeur, et Joséphine Legeay, 36 ans, son épouse, domiciliés au 69, rue des Caboteurs. Il a – au moins – une sœur aînée, Joséphine Marie, née le 2 mars 1894 à Saint-Nazaire.
Gentil François Potier reste à l’école jusqu’à l’obtention de son certificat d’études primaires, puis commence à travailler comme manœuvre. Il habite alors chez ses parents au 8, rue des Halles à Saint-Nazaire.
Le 8 septembre 1915, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 64e régiment d’infanterie. Il monte au front le 19 janvier 1916. Le 23 février suivant, il est “évacué” pour maladie. Le 21 juin, il passe au 154e R.I., « aux armées ». Le 17 juillet, il est de nouveau évacué pour maladie et rejoint son unité le 1er octobre. Le 11 octobre 1916, à Sailly-Saillissel (Somme), il est blessé par un éclat d’obus qui lui cause une plaie en séton à la cuisse droite. Il semble pourtant rester au front jusqu’au 30 décembre suivant. Il est à l’« intérieur » jusqu’au 20 septembre 1917, passant au 2e R.I. le 12 juin de cette année. Il est de nouveau évacué pour maladie le 20 mai 1918. Le 16 septembre 1919, il est « mis en congé illimité de démobilisation » et se retire au 8, rue des Halles à Saint-Nazaire, titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 10 avril 1920, à Saint-Nazaire, Gentil Potier se marie avec Célestine Le Hazif, née le 25 septembre 1897 à Locminé (Morbihan). Ils auront deux enfants, Gentil Roger (dit Roger), né le 7 septembre 1921 à Saint-Nazaire, et Monique Suzanne, née vers 1936 (âgée de 5 ans en avril 1941).
Gentil Potier est serrurier.
En 1921, sa sœur Joséphine, devenue épouse Batard, couturière, emménage au 35, rue du Pont-de-Créteil à Saint-Maur-des-Fossés [2] (Seine / Val-de-Marne) ; près de la gare Saint-Maur-Créteil.
En janvier 1925 et jusqu’au moment de son arrestation, Gentil François Potier est domicilié au 29, rue du Pont-de-Créteil.
En mai 1937, dans l’armée de réserve, il est classé “affecté spécial” aux Établissements Duvivier et Compagnie. Son dernier emploi (?) est “ouvrier spécialisé” (riveur) aux usines Citroën, quai de Javel à Paris 15e.
Avant-guerre, il est membre de la cellule du Vieux-Saint-Maur du Parti communiste, secrétaire des CDH (Comité de défense de L’Humanité, quotidien du PCF) de Saint-Maur, et membre de la cellule d’entreprise des usines Citroën. Son fils Roger serait adhérent des Jeunesses communistes, dont le cercle de Saint-Maur a pour secrétaire Jean Pierre Radiguet (né le 7 juillet 1922). Joséphine, sœur de Gentil François, est adhérente du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme.
Le 27 août 1939 – quatre jours après la signature du pacte germano-soviétique -, Gentil François Potier est arrêté par des inspecteurs du commissariat de police de la circonscription de Saint-Maur alors qu’il distribue des tracts communistes sur la voie publique, puis relâché après “vérification d’identité”.
Le 7 mars 1940, à la suite d’une surveillance exercée envers sa sœur Joséphine (?), il est arrêté avec d’autres militants – dont son épouse et leur fils -, par des inspecteurs du commissariat de Saint-Maur pour diffusion de tracts clandestins, que Gentil François ramènerait de son usine. « Jugé dangereux pour la sécurité intérieure du pays », il est mis à la disposition de la Justice militaire et écroué deux jours plus tard à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Il semble qu’il ait été relâché (ou s’est-il évadé au cours de l’évacuation des prisons parisiennes lors de la Débâcle de juin 1940 ? À vérifier…).
Le 5 octobre 1940, Gentil Potier est appréhendé lors de la grande vague d’arrestations organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain contre des hommes connus avant guerre pour être des responsables communistes (élus, cadres du PC et de la CGT), en application du décret du 18 novembre 1939 ; action menée avec l’accord de l’occupant. Après avoir été regroupés en différents lieux, 182 militants de la Seine sont conduits le jour-même en internement administratif au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt. Pendant un temps, Gentil Potier est assigné à la chambre 38.
Conçus à l’origine pour 150 malades, les locaux sont rapidement surpeuplés : en décembre 1940, on compte 524 présents, 600 en janvier 1941, et jusqu’à 667 au début de juin.
Le 6 novembre 1940, le tribunal militaire de Périgueux (Dordogne) condamne son fils Roger à un an d’emprisonnement pour l’affaire de propagande de mars.
Le 13 février puis le 6 mars 1941, Gentil Potier écrit au préfet de Seine-et-Oise afin de solliciter pour son épouse la possibilité de s’inscrire ou de percevoir une allocation de secours du bureau de bienfaisance, dont la demande effectuée auprès du maire de Saint-Maur et d’autres autorités est restée sans réponse. Il suggère que lui-même serait bien mieux près des siens – restés sans ressources après son arrestation – afin de leur venir en aide…
Mais, le même 6 mars, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Gentil Potier, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « est resté communiste, son internement n’a modifié en rien ses opinions » et bien qu’il lui reconnaisse une « attitude correcte ».
Le 9 avril, Célestine Potier, qui n’a pas revu son mari depuis son arrestation, écrit au préfet de Seine-et-Oise afin de solliciter une autorisation de visite pour elle et ses deux enfants (la suite donnée à cette requête est inconnue…).
Le 6 septembre 1941, Gentil Potier est parmi les 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.
Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin, Gentil François Potier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Gentil Potier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46003 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage connu ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Gentil François Potier.
On ignore la date de sa mort à Auschwitz ; probablement avant la mi-mars 1943 [3].
Son nom est inscrit sur la plaque apposée dans le hall de la mairie de Saint-Maur « à la mémoire des fusillés et morts en déportation en Allemagne ».
Après la guerre, le Parti communiste édite une carte avec un portrait au nom de « Clément Potier, mort à Auschwitz en 1942, secrétaire des C.D.H. de Saint-Maur, membre du Parti Communiste Français » : par comparaison avec le portrait d’Auschwitz, il s’agit bien du même homme…
Après avoir purgé sa peine fin 1940/début 1941, son fils Roger aurait travaillé pendant un certain temps à Lorient, avant de revenir dans la région parisienne. Il reprend contact avec un groupe des JC de Saint-Maur reconstitué clandestinement depuis la mi-1942 par Jean Pierre Radiguet (20 ans), ex-secrétaire du cercle légal, qui a d’abord recruté son propre frère Robert (18 ans), puis Jean Emmanuelli (22 ans), Pierre Delalonde (21 ans), Jean Baptiste Duquesne (19 ans), André Pierre Roux (22 ans), Fernand L. Chargé lui-même de former un petit groupe, Roger Potier recrute Pierre R., du quartier de La Varenne à Saint-Maur, pour mener une activité de propagande. Plus tard, Jean Pierre Radiguet déclarera : « Dans l’organisation, je portais le pseudonyme de “Jean”. Par contre, aucun de mes camarades n’avait reçu de surnom. En effet, nous nous connaissions tous pour avoir milité au temps de la légalité du Parti communiste et cette mesure de prudence ne nous paraissait pas nécessaire. Je me rappelle seulement qu’en raison de sa corpulence Roux avait été baptisé “le gros”. »
En juillet 1942, « Gaby », responsable politique régional des JC, propose à Jean Radiguet de réaliser des actions militaires, ce que celui-ci refuse. Mais « Gaby » fait alors directement appel aux jeunes déjà recrutés afin de participer à des actions – dirigées par « Pierrot » – visant à se procurer des cartes, feuilles et tickets de rationnement pour l’alimentation des clandestins :
– le 29 août 1942, cambriolage de la mairie de Périgny (Seine-et-Oise), auquel participent son frère Robert Radiguet, « Pierrot » et Roux ;
– le 26 septembre, cambriolage de la mairie de Limeil (Seine-et-Oise), auquel participent Robert Radiguet, Roux et d’autres jeunes, dont, peut-être, Roger Potier. À partir de cette date, celui-ci n’apparaît plus au domicile de ses parents. En décembre, la direction générale de la police le recherchera pour « activité terroriste ». Le service des garnis de la préfecture de police note qu’il a passé la nuit du 17 au 18 octobre 1942 dans un hôtel au 65, rue de Lyon (Paris 12e).
– le 24 novembre, alors que Jean Radiguet (pour sa première action) et trois jeunes, dont son frère et un nouveau venu plus âgé, Ernest Maisonneuve (40 ans), préparent le cambriolage du centre de rationnement de Rosny-Sous-Bois (ou de Sucy-en-Brie), ils sont interpellés par un gardien de la paix qui demande à vérifier leurs papiers d’identité. Emmanuelli n’en ayant pas, le policier s’apprête à le fouiller. Emmanuelli puis Jean Radiguet sortent alors leurs armes et lui prennent la sienne sous la menace. Tous s’enfuient en vélo.
– le 28 novembre, la plupart des jeunes du groupe de Saint-Maur se font prendre lors du cambriolage de la mairie de Mandres (Seine-et-Oise). À la même date, Jean Pierre Radiguet échapperait à une arrestation lors du cambriolage raté de la mairie de Brunoy (S.et-O.) ; s’agit-il du même évènement ?
Le 6 janvier 1943, à 23 h 45, deux inspecteurs de la brigade spéciale antiterroriste (BS2) des Renseignements généraux “cueillent” finalement Jean Pierre Radiguet dans un hôtel au 103, boulevard de Grenelle (Paris 15e) où il a loué une chambre en donnant sa véritable identité : “en cavale”, il n’avait pas tenté de renouer un contact clandestin après avoir appris par les journaux l’arrestation de ses camarades.
Après avoir été interrogés par les inspecteurs de la BS2, les sept JC capturés sont remis aux autorités d’occupation qui les emprisonnent au quartier allemand de l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne).
Le 8 juillet suivant, les mêmes jeunes gens sont déportés dans le transport de 56 détenus “NN” parti de Paris, gare de l’Est, et arrivé le lendemain au KL Natzweiler. Jean-Baptiste Duquesne y meurt le 16 novembre suivant. Les autres sont transférés au KL Dachau en septembre 1944 lors de l’évacuation de Natzweiler. Pierre Delalonde meurt le 6 décembre 1944 au Kommando de Gusen. Ernest Maisonneuve meurt le 4 février 1945 à Dachau. Jean Pierre Radiguet meurt le 23 mars à Nordhausen et Robert Jacques Radiguet le 16 avril à Dachau. Jean Emmanuelli et André Roux sont libérés à Dachau le 29 avril 1945.
Le destin de Roger Potier après qu’il ait quitté Saint-Maur reste à préciser…
Célestine Potier, veuve de Gentil François, décède à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine) le 14 janvier 1984.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Gentil François Potier (J.O. du 27-01-1998).
Notes :
[1] Loire-Atlantique : département dénommé “Loire-Inférieure” jusqu’en mars 1957.
[2] Saint-Maur-des-Fossés : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[3] Différence de date de décès avec celle inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Concernant Gentil Potier, c’est le 15 novembre 1942 qui a été retenu pour certifier son décès. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
[4] Jean Pierre et Robert Jacques Radiguet sont les fils du dessinateur humoriste Maurice Radiguet (1866-1941) et frères de Raymond Radiguet (1903-1923), écrivain et auteur du Diable au corps.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 389 et 417.
Archives départementales de Loire-Atlantique (AD 44), site internet du Conseil départemental, archives en ligne : registre des naissances de Saint-Nazaire, année 1895 (3E184/39), acte n° 450 (vue 61/119), année 1894 (3E184/38), acte n° 161 (vue 21/118) ; registre matricule du recrutement militaire, bureau de Nantes, classe 1915, n° de 3501 à 4000 (1 R 1334), matr. 3534 (vue 54/771).
Archives départementales de Loire-Atlantique (AD 44), site internet du Conseil départemental, archives en ligne : registre des naissances de Locminé, année 1897, acte n° 52 (vue 73/100).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 754-29602) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1448-16082) ; dossier individuel des RG de Radiguet Jean Pierre (77 W 1578-51799).
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, cotes 1w73, 1w74 (révision trimestrielle), 1w148 (dossier individuel).
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 149.
Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
Site Mémorial GenWeb, 94-Saint-Maur-des-Fossés, relevé de Bernard Laudet (12-2002).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 4-12-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP (Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.