Émile, André, Pierre, Joseph, Poupleau naît le 7 juillet 1907 chez ses grands-parents maternels à Bourges (Cher), fils d’Émile Poupleau, 25 ans, ajusteur, (décédé au moment de son arrestation) et d’Amélie Zolg, 24 ans, couturière, son épouse, demeurant à Saint-Denis (Seine / Seine-Saint-Denis). Les témoins pour l’enregistrement du nouveau-né, présenté à l’état-civil par la sage-femme qui l’a mis au monde en l’absence du père, sont ses deux grands-pères, respectivement ajusteur et tourneur à Bourges.
Le 29 août 1931, à Suresnes (Seine / Hauts-de-Seine – 92), Émile Poupleau se marie avec Noëlle Gabrielle Huss, née le 28 septembre 1912 à Malo-les-Bains (Nord). Ils ont une fille, Renée, née le 9 septembre 1934.
Au moment de son arrestation, Émile Poupleau habite avec sa mère au 36, rue Arago à Puteaux [1] (92) ; peut-être le couple est-il séparé, mais sans avoir divorcé (?).
Émile Poupleau est menuisier. Il adhère au syndicat « de sa corporation » sans y avoir d’activité particulière.
Il adhère au Parti communiste en 1938.
Mobilisé le 26 août 1939, il est “affecté spécial” à l’usine du Moulin Noir à Nanterre (92) le 14 novembre suivant.
En dernier lieu, il travaille à la maison Vélo-Car Mochet, sise au 68, rue Roque-de-Fillol à Puteaux.
Le 26 ou 27 janvier 1941, Émile Poupleau est arrêté dans son atelier d’entreprise par les services du commissariat de la circonscription de Puteaux. Au cours de son interrogatoire, il reconnaît avoir distribué à trois reprises des tracts communistes qu’il disposait sur la voie publique à la vue et à portée de main des passants.
Le 13 février, les services de la préfecture de police rendent compte qu’ « au terme d’une série d’enquêtes et de multiples surveillances », ils ont appréhendé 26 militants pour « recrutement d’éléments susceptibles de participer d’une manière particulièrement active à l’organisation de la propagande communiste clandestine à Puteaux » et confection, répartition et diffusion du « matériel de propagande (tracts, papillons, placards) », parmi lesquels André Arsène Bisillon, Louis Leroy et Lucien Pairière, qui seront déportés avec lui.
À l’exception de deux d’entre eux, tous les hommes arrêtés sont inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939, et conduits au dépôt de la préfecture de police (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité), à disposition du procureur de la République. Le 1er février 1942, Émile Poupleau est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e) sous mandat de dépôt d’un juge d’instruction.
Le 12 février 1942, Émile Poupleau bénéficie d’une mise en liberté provisoire pour raison de santé (voir ci-dessous). Mais, amené à la préfecture de police le lendemain, il est de nouveau conduit au Dépôt en attendant son transfert dans un camp d’internement. Le 21 février suivant, la préfecture de police propose au ministère de l’Intérieur de lui faire application du décret du 18 novembre 1939 visant les individus dangereux pour la Défense nationale et la sécurité publique, lequel donne son accord. Le 26 mars, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif. Pendant un temps, Émile Poupleau reste détenu dans la grande salle du Dépôt.
Le 12 avril, il écrit au procureur de la République : « Ayant perdu plus de 35 kg pendant mon incarcération, anémié au plus haut degré et, en plus, atteint de la gale, je fus, le 13 février dernier, sur le rapport de Monsieur le Docteur Paul, médecin légiste, et par ordre de Monsieur Pottier, juge d’instruction, mis en liberté provisoire […] les conditions alimentaires et […] d’hygiène qui [me sont faites au Dépôt] étant pires que celles subies à la Maison d’arrêt de la Santé […] Visité régulièrement par Messieurs les Docteurs en service au Dépôt, ceux-ci diagnostiquent à cause fois une gale infectée, sans que je reçoive pour cela les soins que réclame une telle maladie, ma situation pécuniaire ne me permettant point l’achat des médicaments nécessaires à ces soins. J’ai donc l’honneur, Monsieur le procureur, de venir solliciter votre haute intervention à seule fin que je puisse enfin recevoir les soins que nécessite mon lamentable état de santé, soit en me faisant hospitaliser, soit en me faisant donner des soins énergiques et tout autres que ceux que je reçois présentement et qui consistent à être purement et simplement consigné sur le cahier de visite… »
Le 16 avril, Émile Poupleau fait partie d’un groupe de détenus enregistrés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir), où il reçoit le matricule n° 67.
- Entrée du camp de Voves.
Date inconnue, probablement après mars 1943.
C’est seulement le 30 avril que l’avocat général près de la Section spéciale de la Cour d’appel de Paris transmet au Préfet de police sa requête du 12 avril concernant son mauvais état de santé…
Le 10 mai, Émile Poupleau fait partie des 81 internés remis aux “autorités d’occupation” à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 - Polizeihaftlager). Il y est enregistré sous le matricule n° 5753. Il est possible qu’il puisse écrire à son épouse vers la fin du mois de mai, date à laquelle celle-ci semble avoir eu de ses nouvelles pour la dernière fois.
Le 9 juin, le préfet d’Eure-et-Loir écrit au directeur du CCS de Voves pour lui fait savoir que l’avocat général près la section spéciale de la cour d’appel de Paris demande le transfert et la mise à disposition de l’interné administratif Poupleau Émile pour sa comparution aux audiences prévues les 15-17 et 19 juin suivant, la gendarmerie étant prévenue d’avoir à assurer ce transfert avec une escorte de deux gendarmes. À cet effet, le préfet émet un bon de transport aller et un bon retour pour un voyage en train entre Voves et Paris. Deux jours plus tard, le 11 juin, le directeur du CCS de Voves répond au préfet d’Eure-et-Loir que « l’interné Poupleau Émile a été pris en charge par l’armée d’occupation le 10 mai » précédent.
Entre fin avril et fin juin 1942, Émile Poupleau est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942, la Section spéciale de la Cour d’appel de Paris chargée de la répression des menées communistes commence l’examen de l’affaire dans laquelle Émile Poupleau a été inculpé. Mais son cas est disjoint, ainsi que celui de Lucien Pairière, pour cause d’absence !
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sélectionnés du Frontstalag 122 sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises.
- Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.
Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Émile Poupleau est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46006 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée et identifiée [2]).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Émile Poupleau.
Il meurt à Auschwitz le 17 août 1942, d’après le registre d’appel du camp (Stärkebuch), tenu par des détenus polonais sous l’autorité de l’administration SS. Ce jour-là, 29 autres “45000” sont portés décédés ; probablement à la suite d’une séance de désinfection à Auschwitz-I (coups, manque de sommeil…).(aucun des douze “45000” de Puteaux n’a survécu)
Le 26 septembre 1946, le nom, le matricule et la date de décès à Auschwitz d’Émile Poupleau figurent sur la Liste officielle n° 3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée par le ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre (ACVG).
Le 1er août 1947, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère ACVG dresse l’acte de décès officiel d’Émile Poupleau « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour », en indiquant la date enregistrée au camp.
Le 5 juin 1952, la commission d’homologation de la Résistance intérieure française (RIF) refuse l’homologation d’Émile Poupleau au motif que son activité résistante n’est pas démontrée.
Le 17 mars 1955, Noëlle Poupleau complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution à son mari du titre de Déporté Résistant. Le 27 octobre, la commission départementale émet un avis défavorable au motif que la « matérialité des actes de résistance invoqués » et le « lien de cause à effet » sont insuffisamment établis, en ajoutant que la demandeuse peut prétendre au bénéfice du statut des Déportés Politiques. Le 28 février 1956, la commission nationale des déportés et interné politiques émet un avis favorable, suivie le 21 mars suivant par le ministère, qui notifie sa réponse à Madame Poupleau le 11 avril, en lui envoyant la carte n° 1101.20195.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès d’Émile Poupleau (J.O. du 27-01-1998).
Notes :
[1] Puteaux : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert effectif en janvier 1968).
[2] Sa photographie d’immatriculation à Auschwitz a été reconnue par des rescapés lors de la séance d’identification organisée à l’Amicale d’Auschwitz le 10 avril 1948 (bulletin “Après Auschwitz”, n°21 de mai-juin 1948).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 383 et 417.
Archives départementales du Cher, archives en ligne : registre des naissances de Bourges, année 1907 (3E 5918), acte n° 393 (vue 198/407).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel des RG (77 W 222-128961) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 662-18343).
Comité du souvenir du camp de Voves : liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir ; dossier d’Émile Poupleau (106 W).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1571 (Stb. 2, 355-360).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen : dossier de Poupleau Émile (21 P 527.504), recherches de Ginette Petiot (message 01-2019).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 25-01-2019)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.