- Collection Pascal Huyssen. D.R.
Émile, André, Poyen naît le 9 novembre 1891 à Dieppe (Seine-Maritime – 76), au domicile de ses parents, Auguste Poyen, 32 ans, marin-pêcheur, absent, et Victoria Bertrand, son épouse, 31 ans, cigarière, demeurant au 30, rue Descaliers.
Pendant un temps, Émile Poyen habite avec ses parents au 29, rue Notre-Dame, à Dieppe, et commence à travailler comme cocher.
Le 10 octobre 1912, Émile Poyen est appelé pour effectuer son service militaire à Rouen (76) comme sapeur de 2e classe au 1er régiment du Génie. Quand la guerre est déclarée le 2 août 1914, il reste “sous les drapeaux”. Le 12 août 1917, il passe au 3e Régiment du Génie, affecté à la 108e compagnie. Le 11 novembre 1917, il est affecté à la 5e SAPC. Il a été en unité combattante pendant un an, un mois et vingt-sept jours. Le 31 mars 1919, l’armée le classe affecté spécial de la 4e section des chemins de fer de campagne comme employé permanent de l’Administration des Chemins de fer de l’État.
Le 15 février 1919 à Dieppe, Émile Poyen s’est marié avec Henriette Guillot, née le 31 mars 1898 dans cette commune, alors blanchisseuse. Ils ont deux filles, Andrée, née le 19 mars 1920 à Dieppe, et Yvette, née le 1er août 1922 ou 1924 à Longueau (Somme – 80).
En juin 1921, la famille habite au 36, place du Marché Lanselles à Amiens (80) ; à vérifier….
Au printemps 1926, Émile Poyen est installé avec sa famille au 101, rue des Alliés à Longueau, commune à l’est de l’agglomération d’Amiens. En 1931, leur foyer accueille deux jeunes enfants placés en nourrice.
Au printemps 1936 et jusqu’au moment de son arrestation, Émile Poyen est domicilié avec sa famille au 105, rue Victor-Hugo à Longueau.
Il est alors chauffeur de route au dépôt SNCF d’Amiens (n° d’agent 4198).
Sous l’occupation, selon une attestation ultérieure, il a une activité de « Résistant isolé ».
Le 23 novembre 1941, Henriette, son épouse, met au monde leur troisième enfant, un fils : Jean Marie.
Le 7 mai 1942, Émile Poyen est arrêté par la police allemande à la suite d’un double sabotage effectué dans la nuit du 30 avril au 1er mai, ayant notamment immobilisé la grue de relevage (32 tonnes) du dépôt. Il est écroué à la Maison d’arrêt d’Amiens « à la disposition des autorités allemandes » et fait partie des treize cheminots du dépôt SNCF gardés en représailles.
Dans une notice individuelle réalisée après coup, le commissaire central d’Amiens indique : « Est totalement inconnu à Amiens ; n’a jamais attiré sur lui l’attention des services de police, notamment dupoint de vue politique ».
Le 10 juin, ils sont dix cheminots du dépôt d’Amiens (dont neuf futurs “45000”) [2] à être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Au cours du mois de juin 1942, Émile Poyen est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Émile Poyen est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46009 selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Émile Poyen se déclare alors chauffeur (de véhicule automobile). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, la moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Concernant Émile Poyen, l’administration française a mentionné « Birkenau » comme lieu de décès sur son acte de naissance.
Il meurt à Auschwitz le 13 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp, qui indique pour cause – très probablement mensongère – de sa mort « entérite stomacale aigüe » (Akuter Magendarmkatarrh).
Le 24 septembre 1943, son épouse, Henriette, et son très jeune fils, Jean, sont tués dans leur maison de Longueau, sous un bombardement allié qui vise les installations ferroviaires proches.
Après son retour de déportation, c’est Henri Peiffer, de Villerupt (Meurthe-et-Moselle), rescapé du convoi, qui atteste du décès d’Émile Poyen.
Le nom de celui-ci est inscrit sur le Monument aux morts de Longueau. Ceux de son épouse et de son fils y sont inscrits comme victimes civiles de la deuxième guerre mondiale
Est-il « Émile Payen », inscrit sur le stèle commémorative – « La SNCF à ses morts – guerre 1939-1945 » – située dans l’enceinte de l’établissement de maintenance et traction de Haute-Picardie, au 39 rue Riolan à Amiens ?
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 27-01-1998).
Notes :
[1] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
[2] Les neuf cheminots, futurs “45000” : Roger Allou et Clovis Dehorter, de Camon ; Émile Poyen, de Longeau ; Paul Baheu, Fernand Boulanger, Fernand Charlot, Albert Morin, Georges Poiret et François Viaud, d’Amiens (ce dernier étant le seul rescapé des “45000” d’Amiens, Camon et Longueau). Le dixième cheminot interné à Compiègne est Joseph Bourrel, mécanicien de manœuvre, domicilié au 102 rue Richard-de-Fournival à Amiens. Son sort en détention reste à préciser (il n’est pas déporté, selon le mémorial FMD)… Un onzième cheminot reste à la prison d’Amiens, Jean Mayer, ouvrier au dépôt, domicilié au 36 rue Capperonnier à Amiens, arrêté la nuit même de l’attentat. Il est probablement condamné par un tribunal militaire allemand. Le 26 avril 1943, il est transféré dans une prison du Reich à Fribourg-en-Brisgau. Il est libéré à Creussen le 11 mai 1945.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 369 et 417.
Pascal Huyssen, son arrière petit-fils, petit-fils d’Andrée (messages 03-2014).
Archives départementales de la Seine-Maritime (AD 76), site internet, archives en ligne : registre des naissances de Dieppe, année 1891, cote 4E 11618, vue 333/406, acte n° 600.
Archives départementales de la Somme, Amiens : correspondance de la préfecture sous l’occupation (26w592).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 961.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, moteur de recherche du site internet.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copie de l’acte de décès du camp (30373/1942).
Base de données des archives historiques SNCF ; service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 1218-1219.
Site Mémorial GenWeb, 80 – Longueau, relevé de Didier Bourry (05-2003) ; Amiens, relevé de Jacques Foure (02-2008).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 19-02-2021)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.