Pierre, Marie, Primel naît le 21 mars 1901 à Plourac’h (Côtes-d’Armor [1] – 22), fils de François Louis Primel, 27 ans, laboureur, et de Marie Denmat, son épouse, 26 ans, domiciliés au lieu-dit Pen-Vern, quartier du Menez ; pour l’inscription du nouveau-né à l’état civil, les témoins sont un instituteur et un facteur. Pierre a deux frères plus jeunes, Yves (né en 1903 ?) et François (né en 1905 ?).
En 1919, à la mairie de Brest, Pierre Primel, alors âgé de 18 ans, s’engage dans la marine pour trois ans. Le 22 septembre, il est incorporé au 2e dépôt de la Flotte comme matelot de 2e classe.
Affecté à l’escadre de Méditerranée, il sert du 13 février au 1er avril 1920 à bord du cuirassé Patrie, un bâtiment alors obsolète (armé en décembre 1906 à la Seyne-sur-Mer et démantelé en janvier 1928) qui fut engagé lors de la Première Guerre mondiale.
Il est ensuite formé comme apprenti à l’école des mécaniciens-chauffeurs (de chaudière) de Toulon jusqu’au 24 août 1920 ; à l’époque, les bâtiments sont mus par des machines à vapeur au charbon. Il est breveté chauffeur le 1er octobre 1920, puis nommé quartier-maître le 1er juillet 1922. Le 16 août suivant avec sa permission de libérable, Pierre Primel quitte Toulon pour se rendre à Kerninec (?) en Bolazec par Scrignac, dans le Finistère mais à quelques kilomètres de Plourac’h.
À l’issue de son engagement, il obtient un emploi de journalier à l’usine du Gaz de Paris, 307 avenue du Président-Wilson à la Plaine-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis – 93), grâce à l’intervention du marquis Frédéric de Kerouartz, conseiller général du canton de Callac, député puis sénateur des Côtes-du-Nord, actionnaire de cette société (ce qui lui permet d’aider de nombreux Bretons à y trouver du travail). Pierre Primel intègre l’entreprise le 19 décembre 1923, y travaillant encore probablement auprès des chaudières.
Le 30 juillet 1924 à Saint-Denis [2] (93), Pierre Primel épouse Marie Philomène Le Guillou, née à Plourac’h le 21 janvier 1901, domiciliée à Callac. Un an plus tard, le 1er mai 1925, à Saint-Denis, naît leur fille Yvette, laquelle a pour parrain son oncle Yves Primel.
Au moment de son arrestation, Pierre Primel est domicilié avec sa famille au rez-de-chaussée du 5 de la rue Riant. Nostalgique de son enfance à la campagne, il loue un petit jardin ouvrier au Fort de l’Est à Saint-Denis où il cultive des légumes.
Tous les mois de juillet, la famille passe les vacances au bord de la mer à à Étables-sur-Mer (Côtes-d’Armor).
Passionné de photographie, Pierre Primel ne se sépare jamais de son appareil.
Généreux, il n’est pas rare qu’il demande un peu d’argent à son épouse – qui gère le budget familial – pour venir en aide à certains collègues de travail dans le besoin.
Militant à la CGTU, il est délégué du personnel dès 1926, organisant de nombreuses réunions le soir après son travail. En 1931, il est délégué adjoint du comité de vigilance (?) pour le chantier à coke. En 1934, il est secrétaire adjoint au groupe unitaire du Landy et délégué responsable jusqu’en 1939.
Le 24 juin 1941, à 6 heures du matin, Pierre Primel est arrêté à son domicile par des inspecteurs du commissariat de Saint-Denis lors d’une vague d’arrestations menée par la police française « en collaboration avec les service de police allemands » sur la base d’arrêtés d’internement administratif signés le jour même par le préfet de police et visant 42 militants « mis à disposition des autorités allemandes à l’Hôtel Matignon ».
Pierre Primel est rapidement transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) [3] Faisant partie des détenus qui « inaugurent » ce camp, il y passera un an.
Dans ce camp, Pierre Primel reçoit une visite de son épouse et de leur fille : ils peuvent se voir pendant une heure, surveillés par deux soldats allemands. À cette occasion, il remet à Yvette un dessin qu’elle conservera précieusement.
Après l’arrestation de son époux, Marie Primel s’est trouvé un petit revenu en faisant des ménages et du repassage chez une amie.
Entre fin avril et fin juin 1942, Pierre Primel est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Pierre Primel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46017, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire – au cours duquel Pierre Primel se déclare probablement comme chauffeur (de chaudière), enregistré comme Kraftwagenführer (déformation de Lastwagenfährer, chauffeur de camion?) -, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Il meurt à Auschwitz le 20 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp, qui indique pour cause mensongère de sa mort « hydropisie cardiaque » (Herzwassersucht). Il a 41 ans.
Plusieurs années après la Libération, un procès est engagé contre le régisseur du Gaz de Paris qui aurait livré à la répression plusieurs ouvriers dont Pierre Primel. Mais, le jour du procès, le dossier d’instruction est introuvable : en l’absence de preuve à charge, l’inculpé est libéré.
Après la fin de la guerre, une cérémonie est organisée dans l’enceinte de l’usine du Landy en hommage aux déportés du Gaz de Paris, en présence de leurs familles, du personnel et d’Auguste Gillot, maire de Saint-Denis (1944-1971).
À partir de 1944 et jusqu’à son décès, Marie Primel tiendra un stand au Marché aux puces de Saint-Ouen en tant que bonnetière, trois jours par semaine.
Entre 1945 et 1950, une plaque commémorative est apposée à l’entrée de l’immeuble du 5, rue Riant, en présence du maire ; Yvette, éprouvée par la cérémonie, fait un malaise.
En 1945, la jeune femme souhaite entrer au Gaz de France sur les traces de son père. La demande qu’elle dépose est acceptée au siège de la société (Condorcet), mais bloquée par l’obstruction d’un chef de service du Landy. Yvette renouvelle ses démarches auprès du siège et est enfin acceptée aux ateliers-travaux-mécaniques (ATM) le 1er mai 1945. Elle y fera toute sa carrière, jusqu’en 1985.
En novembre 1948, Marie Primel dépose une demande de pension « en raison de l’arrestation et du décès en déportation de son mari ». En avril de l’année suivante, elle obtient cette pension viagère de veuve de victime civile de la guerre.
En 1961, comme ayant cause, elle dépose une demande d’attribution du titre de déporté résistant ; la carte de déporté politique lui est délivrée le 18 juillet 1962 (n° 1175 15084).
Curieusement, l’attribution de la mention « Mort pour la France » tarde à être apposée sur l’acte de décès de Pierre Primel dans les registres d’état civil. Cette situation est régularisée par le secrétariat d’état aux anciens combattants le 8 juillet 1975. Marie Primel habite alors toujours au 5, rue Riant.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Pierre Primel (J.O. du 18-04-1998).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 386 et 418.
Marie-Christine Frare, petite-fille de Pierre Primel, plusieurs pages d’hommage à son grand-père, réalisées avec l’aide de sa mère, Yvette, épouse Porato, 90 ans (1er septembre 2015).
Archives de la préfecture de police de Paris, cartons “occupation allemande” : liste des internés communistes (BA 2397) ; cabinet du préfet (carton 1w0723), dossier de Pierre Primel (26827).
Archives départementales des Côtes-d’Armor, archives en ligne, état civil de Plourac’h, registre des naissances de l’année 1901, acte n°17 (vue 11/35).
Témoignage de Fernand Devaux (10-2008).
SHD Brest, BCRM Brest ; série 1M, registre matriculaire des marins (1M333), n° 120941 (transmis par l’équipe de la salle de lecture à Ginette Petiot, 10-2015).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 965 (31977/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 3-11-2015)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Côtes-d’Armor : département dénommé “Côtes-du-Nord” jusqu’en février 1990.
[2] Saint-Denis : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[3] L’ “Aktion Theoderich” :
L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre.
Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – arrestations et perquisitions à leur domicile – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante. En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise – 60), administré par la Wehrmacht, réservé à la détention des “ennemis actifs du Reich” et qui ouvre en tant que camp de police.
Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.