- Auschwitz-I, le 8 juillet 1942.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau,
Oświęcim, Pologne.
Coll. Mémoire Vive. Droits réservés.
Marius, Charles, Proville naît le 15 août 1893 à Aubervilliers [1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), chez ses parents, Émile Proville, 42 ans, journalier, et Madeleine Huet, 37 ans, son épouse, journalière, domiciliés au 7, rue du Goulet. Il est le cinquième de leurs six enfants (une fille et cinq garçons). Au recensement de 1896, âgé de trois ans, Marius ne vit pas avec ses parents.
Pendant un temps, il habite (avec ses parents ?) au 12, rue Paul-Bert à Aubervilliers et commence à travailler comme mécanicien.
Le 26 novembre 1913, il rejoint le 29e régiment d’artillerie de campagne afin d’y accomplir son service militaire. Il passe ensuite au 59e régiment d’artillerie. Le 28 février 1914, il est blessé en service par un coup de pied de cheval lui occasionnant une plaie contuse de la partie moyenne et antérieure de la jambe gauche avec fêlure du tibia.
En août 1914, quand la guerre est déclarée, il est sous les drapeaux.
Le 13 septembre 1915, au combat de Bully ou Bussy-le-Château (?), Marius Proville est blessé par éclats d’obus au bord radial de l’avant-bras gauche et au globe de l’œil droit. Il sera cité à l’ordre de son régiment : « Canonnier plein d’entrain s’étant constamment signalé par son attitude sous le feu. Très grièvement blessé (…) a donné l’exemple du plus grand courage ». Il recevra la Croix de guerre avec palme. Le 21 décembre suivant, la commission de réforme de Nantes (Loire-Inférieure) le propose pour une pension de retraite de 5e classe pour énucléation de l’œil droit. En mai 1932, la 1re commission de réforme de la Seine le déclare réformé définitif n° 1 avec une pension permanente de 75 %, considérant qu’une prothèse est « impossible, étant donné l’incapacité de la cavité, elle sera toujours inesthétique ou bien elle ne sera pas supportée ». Démobilisé, il se retire au 1, rue du chemin de fer à Aubervilliers, titulaire d’un certificat de bonne conduite. Le 6 février 1916, il recevra la Médaille militaire.
En novembre 1934, il habite au 88, avenue du Maréchal Foch à Neuilly-Plaisance [1] (93).
Au moment de son arrestation, il est domicilié au 53, rue des entrepôts à Saint-Ouen [1] (93). Il est outilleur, selon Fernand Devaux.
Le 27 juin 1941, Marius Proville est arrêté à son domicile par les services du commissariat de police de la circonscription, qui l’ont déclaré comme un « meneur communiste très actif ». Le préfet de police a signé l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Mais, en réalité, il est pris dans le cadre d’une vaste opération menée en concertation avec l’occupant. En effet, pendant quelques jours, des militants de Paris et de la “petite couronne” arrêtés dans les mêmes conditions sont aussitôt conduits dans la cour de l’Hôtel (de) Matignon [2], sis au 57 rue de Varenne à Paris 7e, – alors siège de la Geheime Feldpolizei (GFP) – pour y être “mis à la disposition des autorités d’occupation” [3]. Tous sont ensuite regroupés au Fort de Romainville (sur la commune des Lilas – 93), élément du Frontstalag 122 ; considérés comme étant en transit, ils ne sont pas enregistrés sur les registres du camp. Le 1er juillet, ils sont conduits à la gare du Bourget où un train les transporte à Compiègne (Oise), où ils sont internés au camp allemand de Royallieu, administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) [4].Entre fin avril et fin juin 1942, Marius Proville est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
- Les deux wagons à bestiaux
du Mémorial de Margny-les-Compiègne,
installés sur une voie de la gare de marchandise
d’où sont partis les convois de déportation. Cliché M.V.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Marius Proville est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46022 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Marius Proville est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
En effet, il est successivement admis dans les Blocks 20 et 28 de l’hôpital d’Auschwitz-I [5].
Il meurt à Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après plusieurs registres du camp, alors qu’a lieu une grande sélection des “inaptes au travail” à la suite de laquelle 146 des “45000” sont inscrits sur le registre des décès en deux jours (probablement gazés [6]).
Le neveu de Marius Proville, Louis Proville, est également engagé dans la Résistance. Arrêté, il est déporté dans le convoi du 27 avril 1944 vers Auschwitz-Birkenau puis Buchenwald (convoi des “Tatoués”). Il est libéré au KL Dachau en 1945.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Marius Proville (J.O. du 18-04-98).
À Saint-Ouen, son nom est inscrit sur la stèle érigée en « Hommage aux résistants, femmes, hommes, déportés à Auschwitz-Birkenau ».
- Le monument dédié aux dix-sept “45000” de Saint-Ouen
et à Marie-Jeanne Bauer, “31000”, inauguré le 24 avril 2005
dans le square des 45000 et des 31000.
Notes :
[1] Aubervilliers, Neuilly-Plaisance et Saint-Ouen : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] L’hôtel Matignon : le 8 septembre 1940, les Renseignements généraux de la préfecture de police constatent la réquisition de l’hôtel pour le bureau de cantonnement des hommes de la police militaire secrète : Geheime Feldpolizei – Dienstelle – Männer-Unterkunft (source : Cécile Desprairies, Paris dans la Collaboration, éditions du Seuil, mars 2009, page 268).
[3] Une arrestation de la fin juin 1941, Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention “communiste”, soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »
[4] L’ “Aktion Theoderich” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est défini le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.
En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich, plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.
Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. 131 d’entre eux, arrêtés entre le 21 et le 30 juin, font partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.
[5] L’hôpital d’Auschwitz : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
Mais les « 31000 » et Charlotte Delbo – qui ont connu l’hôpital de Birkenau – ont utilisé le terme “Revier” : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.
[6] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail” (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 387 et 418. Témoignage de Catherine Dallemagne, petite-fille de Louis Proville.
Fernand Devaux, de Saint-Denis, 45472, rescapé, note.
Archives départementales de Seine-Saint-Denis, site internet, archives en ligne : registre des naissances d’Aubervilliers, année 1893 (1E001/108), acte n° 544 (vue 139/239).
Archives de Paris : registres matricules du recrutement militaire, classe 1913, 1er bureau de la Seine (D4R1-1726), matr. 4843.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397).
Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, convoi I.206, tome 3, page 514.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 968 (31893/1942).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 8-05-2019)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.