Marc Quénardel naît le 9 septembre 1891 à Rimaucourt (Haute-Marne – 52), fils d’Alfred Quénardel, 39 ans, vigneron à Ludes, à la lisière de la forêt de la montagne de Reims (Marne), et de Célina Boquet, son épouse, 32 ans, qui accouche chez un forgeron de Rimaucourt où elle était de passage.
Considérant son âge, il devrait avoir été mobilisé au cours de la guerre 1914-1918 (à vérifier…).
Le 17 octobre 1923, à Reims, il épouse Angèle – dite Annette – Demany ou Demarcy, née le 3 mars 1903 à Troyes (Aube – 10). Le couple n’a pas d’enfant.
Lors du recensement de 1931, ils habitent au 121 bis, rue Jean-Jaurès à Montataire (Oise – 60). Marc Quénardel est alors mécanicien à la Société Industrielle (?).
D’autres sources le désignent comme ouvrier métallurgiste, peut-être à la SNCF (ou aux Forges de Montataire, à vérifier…).
Au moment de son arrestation, Marc Quénardel est domicilié au 40, rue Henri-Vaillant à Montataire.
Dans les années trente, il est l’un des dirigeants locaux du Parti communiste.
Le 29 avril 1940, après l’interdiction du Parti communiste, il fait l’objet d’une proposition d’internement au camp de Plainval – centre de rassemblement de “ressortissants ennemis” -, dans la ferme de Lévremont, près de Saint-Just-en-Chaussée (60). Travaillant aux établissements Brisonneau, Marc Quénardel se « fait remarquer depuis la mobilisation par son attitude incontestablement communiste ».
Le 14 mai, le ministre de l’Intérieur autorise le préfet de l’Oise à assigner Marc Quénardel – « dangereux pour la défense nationale » – dans un centre de séjour surveillé. Mais survient l’offensive allemande…
En 1941, Marc Quénardel est déclaré comme conducteur d’auto.
Le 7 juillet 1941, il est arrêté et rapidement interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne (60), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). Il y est enregistré sous le matricule n° 1304.
Le 18 septembre, le commissaire spécial de la Sûreté nationale de Beauvais écrit au préfet de l’Oise pour l’informer que le « Kreiskommandant de Senlis a demandé de lui transmettre une liste de quinze individus, choisis parmi les communistes les plus militants de la région creilloise, destinés, le cas échéant, à être pris en qualité d’otages. En accord avec le commissaire de police de Creil, [une liste] a été établie » sur laquelle Maurice Quénardel est inscrit en seizième position (un homme étant déclaré « en fuite »). Considérant le ton de la lettre, on peut penser que la liste a été effectivement transmise à l’occupant.
Le 20 février 1942, le chef de la Feldkommandantur 580 à Amiens – ayant autorité sur les départements de la Somme et de l’Oise – insiste auprès du préfet de l’Oise, Paul Vacquier [1], afin que la fiche de chaque interné du Frontstalag 122 pour activité communiste demandées à l’administration préfectorale indique « son activité politique antérieure (très détaillée si possible), ainsi que les raisons qui militent pour ou contre sa prompte libération du camp d’internement ».
Le 10 mars, le préfet de l’Oise écrit au Ministre secrétaire d’État à l’Intérieur pour lui transmettre ses inquiétudes quant à cette demande : « Étant donné que parmi les internés du camp de Compiègne une vingtaine déjà ont été fusillés en représailles d’attentats commis contre les membres de l’armée d’occupation, il est à craindre que ces autorités aient l’intention de se servir de mon avis pour désigner de nouveaux otages parmi ceux pour lesquels j’aurais émis un avis défavorable à la libération. Me référant au procès-verbal de la conférence des préfets régionaux du 4 février 1942, qui précise “qu’en aucun cas les autorités françaises ne doivent, à la demande des autorités allemandes, procéder à des désignations d’otages”, j’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien me donner vos directives sur la suite qu’il convient de réserver à la demande dont je suis saisi… »
Le 13 avril 1942, le commissaire principal aux renseignements généraux de Beauvais transmet au préfet de l’Oise soixante-six notices individuelles concernant des individus internés au Frontstalag 122 à Compiègne, dont dix-neuf futurs “45000”. Sur la notice qui le concerne – à la rubrique « Renseignements divers » -, Marc Quénardel est désigné comme « Militant communiste. […] Très dangereux ».
Le 24 avril, Paul Vacquier transmet à la Feldkommandantur 580 des notices individuelles concernant les « personnes internées au camp de Compiègne, figurant sur la liste [qui lui a été] communiquée et domiciliées dans le département de l’Oise » qui mentionnent uniquement « des renseignements concernant l’état civil, la parenté et la situation matérielle ».
Enfin, le 29 juin, le préfet de l’Oise écrit à la Feldkommandantur 580 pour essayer d’obtenir la sortie duFrontstalag 122 de soixante-quatre ressortissants de son département – dont Marc Quénardel – au motif « qu’aucun fait matériel d’activité communiste n’a été relevé à leur encontre depuis l’arrivée des forces allemandes dans la région », envisageant la possibilité d’interner certains d’entre eux « dans un camp de concentration français ». Sa démarche ne reçoit pas de réponse.
Le mal est probablement déjà fait : quand elles ont procédé à des arrestations dans l’Oise entre juillet et septembre 1941, les forces d’occupation ne disposaient-elles pas déjà d’informations et d’appréciations transmises par certains services de la police française ? N’en ont-elles pas obtenu d’autres par la suite ? Le préfet craignait la fusillade. Ce sera la déportation.
Entre fin avril et fin juin 1942, Marc Quénardel est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Marc Quénardel est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46026, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Marc Quénardel.
Il meurt à Auschwitz le 18 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Son épouse, Angèle dite Annette, est active dans la Résistance. Elle est notamment agent de liaison d’Albert Bizet (?). Arrêtée, elle est internée un temps au camp allemand du fort de Romainville. Le 2 mars 1944, elle fait partie d’un groupe de cinquante résistantes déportées « NN » de Paris vers la prison d’Aix-la-Chapelle, puis immatriculées au KL [2] Ravensbrück entre le 16 et le 21 mars (n° 31975). Transférée au KL Mauthausen en mars 1945, Angèle Quénardel y est libérée par la Croix-Rouge le 22 avril suivant.
Elle reprend son activité militante, sans jamais se remarier. Elle termine sa vie sur la Côte-d’Azur.
Le nom de Marc Quénardel est inscrit sur la plaque dédiée par la commune de Montataire « à la mémoire de ses déportés morts en Allemagne », apposée dans la rue des Déportés, et sur la stèle des déportés et résistants.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 19-05-1998).
À une date restant à préciser, le Conseil municipal de Montataire donne le nom de Marc et Annette Quenardel à une rue de la ville.
Notes :
[1] Paul Vacquier, nommé préfet de l’Oise le 22 mai 1940, au début de l’offensive allemande, cherche ensuite à maintenir un semblant de souveraineté française à l’échelon local, ce qui lui vaut son départ le 30 octobre 1942.
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Notice in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, Editions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, CD-rom, version 1990-1997, citant : Arch. Dép. Oise, 33 W 8250 – Souvenirs de militants communistes montatairiens.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 369 et 418.
Message de Florence, épouse du petit-neveu de Marc Quénardel (04-2008).
Jean Lefevre, Société Historique de Saint-Just-en-Chaussée.
Archives départementales de la Haute-Marne, archives en ligne : état civil de Rimaucourt, registre des naissances de l’année 1891, acte n°25 (cote E dépôt 16092 NMD 1883-1892, vue 71/254).
Archives départementales de l’Oise, site internet : registres de recensement de Montataire (6Mp482), année 1911, page 209 (vue 110), année 1921 (vue 119), année 1931, page 149 (vue 77).
Archives départementales de l’Oise, Beauvais : exécutions d’internés, camp de Royallieu, mesures contre les communistes (33W 8253/1) ; Internement administratif (141w 1162).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 977 (31589/1942).
Thomas Fontaine, Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, tome 3, page 429 : I.185.
Site Mémorial GenWeb, 60-Montataire, relevé de Cédric Hoock (2003).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 19-01-2012)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.