Jean, Pierre, Reich naît le 1er mai 1911 à Arcueil [1] (Seine / Val-de-Marne), chez ses parents, Jean-Pierre Reich, 42 ans, vernisseur, et Madeleine Oswald, 33 ans, papetière, domiciliés au 34, avenue Carnot.
En 1931, il habite chez ses parents, au 41 rue Madame Curie à Bagneux, et travaille comme chaudronnier.
Le 15 avril 1932, il est incorporé au 26e régiment d’infanterie, arrivant au corps une semaine plus tard. Le 10 avril 1933, il est renvoyé dans ses foyers titulaire d’un certificat de bonne conduite.
Le 18 janvier 1936, à Paris 14e, Jean Reich se marie avec à Annette Marle, née le 19 juillet 1919 à Paris 5e ; ils n’ont pas d’enfant.
En novembre 1936, il est domicilié au 11, rue Victor-Carmignac à Arcueil. Au moment de son arrestation, il habite au 25, rue du Midi, toujours à Arcueil, une petite voie butant sur l’aqueduc de la Vanne.
Le 16 avril, Jean Reich est transféré au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Voves (Eure-et-Loir) avec plusieurs dizaines de détenus, dont une quarantaine qui seront plus tard déportés avec lui. Il est enregistré sous le matricule n° 76.
Le 10 mai, il fait partie des 81 détenus remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager). ; Jean Reich y est enregistré sous le matricule n° 5755. Le 16 juin, l’administration militaire du camp établit un certificat de présence à son nom, probablement envoyé à son épouse.
Entre fin avril et fin juin 1942, Jean Reich est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne – sur la commune de Margny – et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, Jean Reich est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46041 (sa photo d’immatriculation a été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photo), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Pendant un temps, il est assigné au Block 4.
Malade, il est admis au Revier [3]. Louis Eudier, du Havre, partage la même couchette que lui. Affamé, Jean Reich énonce des menus extraordinaires. Pesant 40 kilos pour une taille d’1,85 m, il est sélectionné pour la chambre à gaz [4] par un major SS. L’infirmier vient lui inscrire son numéro matricule sur la poitrine avec un crayon indélébile [5]. Très lucide, Jean Reich dit au compagnon qui partage sa dernière nuit : « Je suis comme toi : j’ai joué la vie et j’ai perdu. »« Mon camarade, je te souhaite d’être sur la ligne d’arrivée de la Libération, pour expliquer toutes les tortures qu’ils nous ont faites. »
Jean Reich meurt à Auschwitz le 14 février 1943, selon plusieurs registres du camp [6].
Le 29 décembre 1942, son épouse avait écrit au Fronstalag 122 de Compiègne. Le 7 janvier 1943, l’administration militaire du camp lui répondait que son mari avait été transporté vers un camp de travail, mais que l’adresse de celui-ci ne pouvait lui être communiqué sur ordre de la police de sûreté du Reich (Gestapo).
Le 16 septembre 1945, sa sœur, alors épouse Igel domiciliée à Olivet (Loiret), écrit au ministère des anciens combattants et victimes de guerre pour demander des renseignements sur son frère, arrêté « comme communiste », « déporté politique », présumé en Haute-Silésie, sans nouvelle de lui depuis le 26 juin 1942 : « J’avais jusqu’à présent l’espoir de le voir revenir parmi nous parmi tous ces pauvres rescapés. Mais, hélas, les rapatriements s’achèvent maintenant. C’est pourquoi je m’adresse à vous si vous pouvez me fournir quelques détails sur l’exil de mon pauvre frère. » Le 7 octobre, dans un nouveau courrier, elle transmet un court signalement et une photographie (absente du dossier).
Le 23 mars 1946, Annette Reich – encore considérée comme épouse – remplit une fiche de renseignements du ministère des ACVG. Deux jours plus tard, deux voisins de la rue du Midi à Arcueil complètent un formulaire par lequel ils se portent garant que Jean Reich a été arrêté comme communiste par la police française le 9 novembre 1941. Le 24 avril, le ministère des ACVG certifie que Jean Reich « n’a pas été rapatrié à ce jour ». Et, le 11 septembre suivant, le ministère « décide » sa disparition (acte de disparition ne pouvant être transcrit sur les registres d’état-civil). Le 7 juillet 1947, Annette Reich écrit au ministère pour solliciter la délivrance d’un acte de décès. Le 13 août suivant, le chef du bureau de l’état civil-déportés lui répond que ses services « ne sont habilités à dresser les actes de décès des déportés que dans les seuls cas où ils ont des preuves du décès ou de très fortes présomptions de preuves. Or, aucun élément nouveau n’est venu modifier l’état du dossier… ». Il lui indique cependant qu’elle peut adresser une requête au procureur de la République en vue de faire déclarer judiciairement le décès de son mari, du seul fait de la disparition et du non-retour au 1er juillet 1946 (loi du 30 avril 1946). Début 1948, la démarche est engagée. Le 11 juin suivant, le Tribunal de la Seine déclare « constant » le décès de Jean Reich, en fixant pour date celle du dernier courrier qu’il a adressé à ses proches (le 26 juin 1942) [5].
En août 1951, sa veuve est déclarée remariée avec Jean Schmitz.
À Arcueil, le nom de Jean Reich est inscrit sur la stèle des déportés parmi celles dressées en « hommage aux victimes de la seconde guerre mondiale (1939-1945) », place de la République, derrière le Centre Marius Sidobre (ancienne mairie).
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 8-03-1997).
Notes :
[1] Arcueil : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Pierre Nève (ou Néve), né le 23 mai 1911 à Denain (Nord), professeur adjoint au lycée Charlemagne, remis aux autorités allemandes le 30 novembre 1941, fusillé comme otage le 13 avril 1942 au Mont-Valérien (source : Jean-Pierre Besse, Odette Hardy-Hémery, Le Maitron en ligne).
[3] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.
Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.
[4] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “Solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme “inaptes au travail”. Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés montent dans des camions qui les conduisent à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
[5] La scène se passe avant que le tatouage systématique, ordonné le 22 février 1943 par la Kommandantur du camp, ait pu être appliqué à tous les détenus (Allemands et Autrichiens non-juifs en sont exemptés).
[6] L’officialisation de sa date de décès a été corrigée une première fois : J. O. n° 57 du 8 mars 1997, page 3684 : « … 01/07/1942 en Allemagne, et non le 26/06/1942 à Compiègne (Oise) ». Dans les années qui ont suivi la guerre – devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles – les services français d’état civil, par l’intermédiaire du Ministère des Anciens Combattants, ont très souvent fixé des dates fictives. La parution au J.O. rendant ces dates officielles, certaines ont même quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
Sources :
V Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection Mémoires, 2005, pages 136, 387 et 418.
V Louis Eudier (45523), “Notre combat de classe et de patriotes, 1934-1945”, imprimerie Duboc, Le Havre, sans date (1977 ?), pages 36 et 37.
V Comité du souvenir du camp de Voves, liste établie à partir des archives départementales d’Eure-et-Loir.
V Archives municipales d’Arcueil, recherches de Cécile Lizée.
V Archives de la préfecture de police (Seine /Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “Occupation allemande” ; cabinet du préfet, dossier individuel (1 W 617-23148) ; dossier individuel des RG (77 W 124-109598) ; dossiers de la 1ère brigade spéciale, “Affaire Neve, Roth et autres” (GB 56).
V Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 : relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 992 (7673/1943).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 14-04-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de laFédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.