André, Julien, Renard naît le 16 juin 1908 à Dijon (Côte-d’Or – 21), de Claude Renard, 23 ans, menuisier, demeurant à Dijon 19 rue Parmentier, et de Marie Chevalier, son épouse, 22 ans, ouvrière.
Le 17 août 1932, André Renard épouse Angèle Bonvallot, née en 1909 à Dijon, vendeuse aux Magasins Modernes. Au moment de son arrestation, celle-ci est employée au journal Le Progrès de la Côte d’Or. Ils ont alors une fillette âgée de six ans.
En 1936, ayant pris une part très active aux grèves, André Renard est renvoyé de la société d’optique où il travaille. Cette année-là, et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 4 rue des Perrières à Dijon.
Ensuite, il est employé aux usines Lipton à Dijon comme ajusteur mécanicien (tourneur).
Sous l’occupation, il est actif dans la Résistance : le 11 novembre 1941, il est « congédié à la suite d’apposition de tracts communistes à l’intérieur de l’usine » selon un rapport des Renseignements Généraux (RG) du 30 mai 1942 ; « il s’est fait embaucher le lendemain à la Maison Faucillon-Lavergne, rue du Transvaal à Dijon ». Le même rapport précise également que ses voisins le considèrent « comme un syndicaliste sincère et ardent, agissant toujours lorsqu’il s’agissait de revendications pour l’amélioration du sort des ouvriers ».
Le 11 janvier 1942, il est arrêté comme otage à la suite de l’attentat manqué contre le foyer du soldat allemand (Soldatenheim) de Dijon [1], mis à la disposition des autorités d’occupation et conduit au quartier allemand de la prison de Dijon, rue d’Auxonne. Selon les enquêteurs, certaines pièces entrant dans la fabrication de la bombe ont été fabriquées dans l’usine Lipton et André Renard, bien que renvoyé des établissements Lipton au mois de novembre précédent, figure néanmoins sur la liste des ouvriers suspects, considéré « comme un élément extrémiste dangereux ».
Le 19 janvier, le Commissaire divisionnaire, chef de la Police Judiciaire, informe par courrier le Préfet de Dijon que, sur les 26 ouvriers de l’usine arrêtés le 11 janvier, 21 ont été remis en liberté. Sur les cinq hommes gardés en détention, deux détenus ont avoué leur complicité (Pierre Dubost et Serge Guillerme) et trois sont gardés en otages en raison de leur ex-affiliation au Parti communiste : Julien Faradon, Henri Poillot et André Renard (futurs “45000”) ; Eugène Bonnardin (autre futur “45000”), arrêté avec les autres puis libéré le 18 janvier, est de nouveau incarcéré dès le lendemain.
Le 6 février probablement, André Renard est interné avec ses camarades au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Le 13 avril, Angèle Renard, privée de ressources financières depuis l’arrestation de son mari, écrit au Préfet de la Côte d’Or pour demander une allocation, ainsi que la libération de son époux. Le 18 avril, le Préfet demande une enquête auprès du commissaire principal chef des RG. Le 5 mai, Angèle Renard écrit à nouveau au Préfet pour solliciter cette libération. Le 11 mai, celui-ci lui répond qu’il n’est pas possible actuellement d’intervenir en faveur de son mari, mais qu’il a consulté le Ministre de l’Intérieur pour l’attribution d’une allocation spéciale aux familles des internés. Dans son rapport du 30 mai, l’inspecteur des RG donnera un avis favorable à l’attribution d’un secours et le 26 juin, le Préfet intervient auprès du Secours National.
Entre fin avril et fin juin 1942, André Renard est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 30 juin, Angèle Renard renouvelle ses demandes de secours et de libération de son mari auprès du Préfet. Sa belle-famille est très éprouvée, car deux autres fils (sur six enfants) sont déjà prisonniers de guerre en Allemagne.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Les 14 déportés de Côte d’Or se regroupent dans le même wagon. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet, André Renard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46045 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage actuellement connu ne permet de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté André Renard.Le même jour, le Préfet de Région répond à Angèle Renard qu’il n’est pas possible d’envisager une intervention en faveur de son mari, mais qu’il a signalé sa situation au délégué du Secours National.
André, Julien, Renard meurt à Auschwitz le 18 août 1942, selon le registre d’appel quotidien (Stärkebuch) et l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
Le 19 août, Fernand (de) Brinon [2], Ambassadeur de France, Secrétaire d’État auprès du chef du gouvernement, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, s’adresse au Préfet de Côte-d’Or pour savoir s’il juge bon d’intervenir en faveur de Monsieur Renard. Le 28 août le Préfet répond qu’en fonction des renseignements recueillis, il ne lui a pas été possible d’intervenir.
Le 22 octobre 1942, dans un courrier à caractère urgent, le Préfet de la Côte-d’Or demande au Commissaire central de Dijon que celui-ci lui fasse connaître si l’intéressé a été libéré et, dans la négative, de lui préciser quelles sont les personnes à charge, leur situation matérielle et son avis sur l’opportunité de leur attribuer une aide financière.
André, Julien Renard est homologué comme Déporté Résistant ; sa carte (n° 1-016-02234) est délivrée en janvier 1953 à Angèle Renard.
La mention « Mort pour la France » est apposée sur son acte de naissance.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 14-12-1997).
Un nommé Lucien Renard est fusillé le 28 octobre 1941, à 28 ans : s’agit-il d’un parent ? (rue Jean-Moulin, rond-point du 8 mai 1945 : « Ici 129 patriotes ont été fusillés 1940-1945 »). L’enquête des RG ne précise pas qu’un membre de sa famille aurait été fusillé.
Notes :
[1] « Les Soldatenheim étaient des maisons exclusivement affectées aux Allemands : les plus grands hôtels, restaurants étaient réservés à cet effet. (…) Dans la nuit du 10 au 11 janvier 1942, Lucien Dupont (de Chenove), âgé de dix-neuf ans, Armand Tosin, âgé de vingt-et-un ans, et leurs camarades attaquent à la bombe la Soldatenheim, place du Théâtre à Dijon. Lucien Dupont est en liaison avec un groupe qu’il a constitué à l’usine Lipton avec Pierre Dubost et Serge Guillerme ; ce sont ces derniers qui ont fabriqué la bombe à l’usine même. » Albert Ouzoulias,Les bataillons de la jeunesse, les jeunes dans la résistance, Editions sociales, Paris 1972, réédition juillet 1990, page 220.
« Le 31 janvier 1942, le préfet de l’Aube au préfet délégué
Ce jour à 4 heures du matin, 231 perquisitions ont été effectuées dans les hôtels et garnis de Troyes par les services allemands de la G.F.P. qui avaient requis l’assistance de 16 gardiens de la Paix de la police municipale troyenne. Ces opérations étaient faites en vue de retrouver un nommé Dupont qui serait l’auteur du dernier attentat commis au foyer du soldat à Dijon. (…) » APPP, carton 1928, chemises Arrestations, infractions au décret du 29-9-1939
Arrêté le 15 octobre 1942 à Paris, ou dans sa banlieue, Lucien Dupont est fusillé au Mont-Valérien le 26 février 1943.
« Le 10 janvier 1942, un attentat au moyen d’engins explosifs a été commis contre le foyer du soldat allemand à Dijon. Le 27 janvier, à Montceau-les-Mines, un soldat allemand a été tué d’un coup de feu par des éléments communistes. Le 29 janvier, à Montchanin-les-Mines, un douanier allemand a été grièvement blessé à coups de revolver, par des criminels appartenant aux mêmes milieux. En représailles de ces lâches attentats, l’exécution d’un certain nombre de communistes et juifs, considérés comme solidaires des coupables a été ordonnée. Der Chef der Mil. Verw Nordostfrankreich ».
Le 7 mars, cinq jeunes gens sont fusillés au champ de tir de Montmuzard : René Romenteau, Pierre Vieillard, René Laforge, Jean-Jacques Schellnenberger, dit Jean Coiffier, tous élèves maîtres à l’école Normale d’instituteurs de Dijon, promotion 1939-42, et Robert Creux, jeune ébéniste dijonnais, communiste, qui remplace Pierre, Jouanaud, jeune instituteur, celui ci ayant bénéficié d’un non lieu trois jours avant l’exécution.
[2] (De) Brinon : ancien journaliste et “ultra” de la collaboration, Fernand (de) Brinon était Délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités militaires allemandes d’occupation. Quand des requêtes étaient formulées par les familles des détenus auprès de l’administration française, la Délégation générale les transmettait à la Commission d’armistice (bipartite), après enquête de la police ou de la gendarmerie pour s’assurer des conditions d’arrestation et de l’honorabilité du détenu. Une lettre était ensuite adressée aux familles sous couvert de l’organisme qui en avait fait la demande : elle leur annonçait que l’intervention avait eu lieu et leur faisait part de la réponse fournie par les autorités allemandes.
Ainsi, un très grand nombre de fiches de la Délégation générale portent le nom de “45000” ; surtout après le départ du convoi, le 6 juillet 1942, et l’absence de nouvelles résultant de leur statut “NN”.
La plupart de ces fiches se trouvent dans les dossiers d’état civil des déportés conservés au BAVCC (anciennement archives du secrétariat d’État aux Anciens Combattants).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 363 et 418.
Archives départementales de Côte-d’Or, site internet : recensement de Dijon-ouest 2, 1936 (p. 178) ; fonds : cotes 6J61 à 62 (fiches individuelles des déportés de Côte-d’Or, don de Pierre Gounand, historien), cote 1630W, article 168 (attentats) et article 244.
Jean-Michel Picard, mise en ligne du livre de son père Henri Picard, Ceux de la Résistance, Bourgogne, Nivernais, Morvan, éditions Chassaing, Nevers 1947, chapitre “Je regarde la mort en face”,http://maquismorvan.blogspirit.com/.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1002 (22064/1942).
Serge Recorbet, site internet Mémorial GenWeb, 2003.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 14-01-2024)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.