Le 8 février 1941, lors d’une audience au cours de laquelle sont jugés 48 militants et militantes communistes (dit « procès des cinquante »), dont dix-sept futurs “45000”, la chambre des mineurs (15e) du tribunal correctionnel de la Seine condamne Albert Rossé à six mois d’emprisonnement. Comme les autres condamnés, il fait appel de la sentence le 28 février (par l’intermédiaire de leurs avocats ?). Bien que sa peine soit couverte par la détention préventive effectuée, il n’est pas libéré : dès le lendemain, – sur instruction des Renseignements généraux qui le considèrent comme un « meneur actif » – le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif.
Le 27 février suivant, il fait partie d’un groupe de 48 internés administratifs – dont Guy Môquet, Maurice Ténine et seize futurs “45000” – transférés à la Maison centrale de Clairvaux (Aube – 10) où ils en rejoignent d’autres : 187 détenus politiques s’y trouvent alors rassemblés.
Le 31 mars, avec Eugène Omphalius, Robert Massiquat, Francis Née et Thomas Sanchez, Albert Rossé est un des six internés de Clairvaux conduits à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e), en préalable à leur passage devant la Cour d’appel de Paris.
Le 9 avril, celle-ci examine la situation de cinquante condamnés pour activité communiste. Elle confirme le jugement de première instance concernant Albert Rossé : il est prévu qu’il soit ramené à Clairvaux, mais le quartier de la centrale utilisé comme centre d’internement étant déclaré « complet » par le directeur de celle-ci, il reste interné à la Santé, 3e division, cellule 9 bis. Comme Eugène Omphalius, il est probablement ramené à Clairvaux au cours de l’été.
Le 25 septembre 1941, Albert Rossé fait partie d’un groupe d’internés transférés au “centre d’internement administratif” (CIA) de Gaillon (Eure – 27), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle.
Selon une note de la police (RG ?) datée du 18 février 1942, il figure sur une liste de 43 « militants particulièrement convaincus, susceptibles de jouer un rôle important dans l’éventualité d’un mouvement insurrectionnel et pour lesquels le Parti semble décidé à tout mettre en œuvre afin de faciliter leur évasion », et qui sont pour la plupart internés au camp de Gaillon.
Le 14 avril 1942, le préfet de police de Paris « fait savoir » au préfet de l’Eure, en charge du camp de Gaillon, « que les autorités allemandes viennent d’interdire le transfert dans un autre camp ou prison, sans leur autorisation expresse » d’Albert Rossé.
Désigné ou condamné par la Feldkommandantur 517 de Rouen, Albert Rossé est pris en charge par la Feldgendarmerie de la Felkommandantur 801 qui le conduit à Évreux (Eure) le 7 mai. Le lendemain, il est transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Albert Rossé est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures, puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Albert Rossé est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46070 (ce matricule sera tatoué sur son avant-bras gauche quelques mois plus tard).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied à Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, au cours duquel ils déclarent leur profession, ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Albert Rossé est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.
Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.
En juillet 1943, comme les autres détenus “politiques” français d’Auschwitz (essentiellement les quelques 135 à 140 survivants des “45000”), il reçoit l’autorisation d’écrire (en allemand et sous la censure) à sa famille et d’annoncer qu’il peut recevoir des colis.
À la mi-août 1943, Albert Rossé est parmi les “politiques” français rassemblés (entre 120 et 140) et mis en “quarantaine” au premier étage du Block 11, la prison du camp, pour une “quarantaine”. Exemptés de travail et d’appel extérieur, les “45000” sont témoins des exécutions massives de résistants, d’otages polonais et tchèques et de détenus du camp au fond de la cour fermée séparant les Blocks 10 et 11.
Le 12 décembre 1943, à la suite de la visite d’inspection du nouveau commandant du camp, le SS-Obersturmbannführer Arthur Liebehenschel, – qui découvre leur présence – et après quatre mois de ce régime qui leur a permis de retrouver quelques forces, ils sont pour la plupart renvoyés dans leurs Blockset Kommandos d’origine.
Courant avril 1944, Albert Rossé est conduit à pied à Birkenau avec Francis Joly, Marceau Lannoy, Daniel Nagliouck et Gustave Rémy (un “123000”). Ils sont assignés au Block 10 du sous-camp des hommes (BIId) et doivent travailler au Kommando 301 B Zerlegebetrieb, composé d’environ mille hommes – dont beaucoup de prisonniers russes – chargé de démonter et récupérer les matériaux d’avions militaires abattus, allemands ou alliés, pour l’entreprise LwB.Rorück.
L’aire de démontage est située au sud de Birkenau, de part et d’autre d’une voie annexe de la ligne de chemin de fer permettant d’acheminer les carcasses d’avions dans un sens et les pièces démontées dans l’autre. Ils sont surveillés par deux capitaines et des sous-officiers de la Lutwaffe. Une fois par mois, certains touchent une petite prime en monnaie : le nom d’Albert Rosse est inscrit sur les listes établies à cette occasion le 29 juin (pour 1,5 Reichmarks), le 27 août et le 30 septembre 1944.
- Francis Joly et Albert Rossé apparaissent sur cette liste après
un détenu polonais et avant un détenu juif et un détenu “russe”.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Comme cet atelier est classé dans les Kommandos de force, ils reçoivent également une ration supplémentaire de nourriture.
À la fin de l’été 1944, Albert Rossé est parmi les trente-six “45000” qui restent à Auschwitz, alors que les autres sont transférés vers d’autres camps.
En janvier 1945, il est parmi les douze “45000” incorporés dans une colonne de détenus évacués vers le KL [2] Gross-Rosen.
Le 8 février 1945, Albert Rossé est parmi les dix-huit “45000” évacués – quatre jours en wagons découverts, sous la neige et sans ravitaillement – à Hersbrück, Kommando du KL Flossenbürg, constructions Dogger.
Le 8 avril, avec six camarades, il est intégré à une colonne de détenus évacués à marche forcée. Le petit groupe se maintien en tête de colonne pour éviter le sort qui attend ceux qui n’arrivent pas à soutenir le rythme imposé par les gardiens. Ils arrivent au KL Dachau le 24 avril, épuisés et affamés.
Le 29 avril 1945, le camp de Dachau est libéré par l’armée américaine. Le 16 mai, Albert Rossé rentre en France via le centre de rapatriement de Strasbourg.
Le 7 avril 1956 à Paris 20e, il se marie avec Jacqueline C.
Le 19 mars 1957, il est homologué comme “déporté politique” (carte n° 110122926).
Albert Rossé décède le 21 février 1981, à 61 ans.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 351 et 419.
Archives nationales, correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes, BB18 7043.
Archives de Paris, archives judiciaires, registre du greffe du tribunal correctionnel de la Seine, 14 janvier-12 février 1941 ; jugement du samedi 8 février 1941, cote D1U6 3719.
Archives de la préfecture de police, Paris/Le-Pré-Saint-Gervais ; cartons “Occupation allemande” : camps d’internement… (BA 2373 et 2374), liste des internés communistes 1939-1941 (BA 2397) ; chemise “transfert des internés, correspondance 1942-1944” (BA 2377) ; cabinet du préfet, dossiers individuels (1w0748), n° 27116.
Archives départementales de l’Eure, Évreux, camp de Gaillon, recherches de Ginette Petiot (message 08-2012).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach), message 24-03-2010.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen, dossier d’Albert Rosé, cote 1.1.01.22.926, recherches de Ginette Petiot (message 10-2012).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 21-07-2016)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] Rosny-sous-Bois : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.