Lucien Saintive naît le 18 novembre 1910 à Paris 5e, au 1, rue Lacépède, fils de Charles Saintive, 29 ans, employé des omnibus, et Céline Buignet, 33 ans, son épouse, domiciliés au 31, rue de la Harpe.
Le 26 novembre 1932, à Paris 13e, Lucien Saintive se marie avec Adrienne Mignot, née le 8 juin 1914 à Gentilly (Seine / Val-de-Marne). Ils auront un fils, Serge, né le 26 septembre 1933 à Paris 6e.
Au moment de son arrestation, Lucien Saintive est domicilié au 98 bis, rue Bobillot à Paris 13e, vers la place de Rungis (à la place de son lieu d’habitation se trouve un immeuble plus récent).
Il est ouvrier métallurgiste, perceur aléseur. Vers 1936, il est embauché à l’Omnium Industrielle Métallurgique, sise au 34 ou 53, rue Auguste-Lançon, à Paris 13e, à proximité de son domicile (l’entreprise a depuis été remplacée par un immeuble d’habitation). Pendant un temps, il semble qu’il travaille dans l’entreprise Chaise, rue Brillat-Savarin, également près de la place de Rungis (adresse à préciser).
Adhérent au Parti communiste, il milite dans son arrondissement.
Le 24 août 1939, une semaine avant l’invasion de la Pologne par l’armée du Reich nazi, Lucien Saintive est mobilisé. Le 25 octobre, il est renvoyé travailler comme « affecté spécial » dans son entreprise qui produit probablement pour l’industrie de guerre.
Le 31 août 1940, il est arrêté par des gardiens de la paix du commissariat de police du quartier Maison-Blanche pour distribution de L’Humanité clandestine dans la rue Auguste-Lançon. Inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, il écroué au dépôt de la préfecture de police, puis à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Soit la peine d’emprisonnement prononcée par un tribunal est courte (deux mois…), soit l’inculpation est abandonnée. Il est libéré le 20 octobre suivant.
En effet, le 9 novembre 1940, à 5 heures 30 du matin, il est de nouveau appréhendé, à son domicile des agents du commissariat de Maison-Blanche. Le jour même, le préfet de police de Paris signe l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939 organisant, en situation d’état de siège, « les mesures à prendre à l’égard des individus dangereux pour la défense nationale ou pour la sécurité publique ». Lucien Saintive est aussitôt conduit au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé en octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt. Il y est enregistré parmi 66 suspects d’activité communiste de la Seine.
Il est assigné au dortoir des jeunes (DJ).
Le 6 mars 1941, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Lucien Saintive, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp, donne un avis défavorable en s’appuyant sur le simple constat que cet interné « suit les directives du parti communiste », et malgré qu’il lui reconnaisse une « attitude correcte ».
Le 18 mars 1941, Adrienne Saintive écrit à François de Brinon pour solliciter la libération de son mari. Mettant en avant la situation faite à son enfant âgé de sept ans, élevé par son père dans le respect et la droiture. Elle s’appuie sur des propos du maréchal Pétain qui a « indiqué à différentes reprises qu’il ne pouvait s’agir en aucun cas de vengeance politique et que la réconciliation des Français était nécessaire dans la France présente et future ». Le 25 mars, le préfet délégué du ministère de l’Intérieur écrit au préfet de police pour lui demander de lui faire connaître les raisons de la mesure prise à l’encontre de l’intéressé. Le 5 avril, le 1er bureau de la Sureté générale au cabinet du préfet de police émet une note indiquant que : « Militant communiste déjà arrêté pour distribution de tracts, il continuait à prendre une part importante dans le développement de la propagande clandestine. Pour ces raisons, la libération de Saintive ne semble pas opportune. » Le 21 avril, le chef du 1er bureau de la Sureté générale au cabinet du préfet de police écrit au commissaire de police du quartier de la Maison Blanche pour lui demander de faire savoir à Madame Saintive que « sa demande ne peut être favorablement accueillie dans les circonstances actuelles ». Probablement convoquée au commissariat, celle-ci reconnait en avoir pris connaissance le 6 mai.
Le 4 avril, puis le 31 mai, Adrienne Saintive écrit au préfet de Seine-et-Oise afin de solliciter une autorisation de visite pour elle et son fils.
Le 1er juin, Adrienne Saintive écrit au préfet de police pour solliciter une révision du dossier de son mari, affirmant que celui-ci « n’a jamais eu aucune activité politique ni fait partie d’organisation ; il ne voit pas le but de son arrestation et voudrait en connaître le sujet ». Le 20 juin, le 1er bureau de la Sureté générale émet une nouvelle note négative : « Sa libération ne paraît pas devoir être envisagée dans les circonstances actuelles ».
Le 6 septembre 1941, Lucien Saintive fait partie des 150 détenus d’Aincourt (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.
Sur le cliché ci-dessous, il est le troisième à l’arrière plan en partant de la droite.
Le 22 mai 1942, il fait partie d’un groupe de 148 internés de Rouillé (pour la plupart déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, Lucien Saintive est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Lucien Saintive est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46087, selon les listes reconstituées (la photo d’immatriculation correspondant à ce matricule n’a pas été retrouvée).
près les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Lucien Saintive est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
On ignore la date exacte de sa mort à Auschwitz ; probablement avant la mi-mars 1943. Il est pris dans une sélection des « inaptes au travail ». Georges Dudal, rescapé du convoi, ayant fait partie du groupe resté à Birkenau, témoigne l’avoir vu partir pour la chambre à gaz [1].
- En juin 1948, Adrienne Saintive dépose auprès de la direction départementale des Anciens combattants et Victimes de guerre de la Seine une demande de pension de victime civile en raison du décès en déportation de son mari. En juillet 1953, elle dépose une demande d’attribution du titre de déporté résistant ou de déporté politique.
Lucien Saintive est homologué comme “Déporté politique”.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 18-04-1998).
M. Cottard, historien du 13e arrondissement avait recensée une plaque commémorative portant le nom de Saintive, apposée au 113, rue Nationale (à l’entrée de la place Nationale) et disparue lors de la rénovation du quartier (pourtant, ce n’était pas, semble-t-il, son secteur d’habitation ou de travail…).
Une autre plaque avait été apposée sur l’entreprise Chaise, rue Brillat-Savarin (adresse à préciser ; l’entreprise a peut-être été remplacée par un ensemble d’immeubles d’habitation).
En juin 1948, Adrienne Saintive dépose auprès de la direction départementale des Anciens combattants et Victimes de guerre de la Seine une demande de pension de victime civile en raison du décès en déportation de son mari. En juillet 1953, elle dépose une demande d’attribution du titre de déporté résistant ou de déporté politique.
Notes :
[é] Les chambres à gaz du centre de mise à mort situé à Birkenau fonctionnent principalement pour l’extermination des Juifs dans le cadre de la “solution finale”, mais, jusqu’en mai 1943, elles servent également à éliminer des détenus, juifs ou non, considérés comme « inaptes au travail » (opération commencée en avril 1941, dans d’autres camps, sous le nom de code 14 f 13). Les détenus d’Auschwitz-I sélectionnés pour la chambre à gaz sont amenés en camions à Birkenau. Quelquefois, ils attendent la mort au Block 7 de ce camp.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 150 et 153, 372 et 419.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (fichier central) – M. Cottard, Revue d’Histoire du 14e, n°29 de février 1989, p.71 – Mairie du 14e – Témoignage de Georges Dudal.
Louis Chaput, Auguste et Lucien Monjauvis (entre autres), Le 13e arrondissement de Paris, du Front Populaire à la Libération, les éditeurs français réunis, Paris 1977, page 225.
Archives de Paris, site internet, archives en ligne : état civil du 5e arrondissement, registre des naissances, année 1910 (5N 238), acte n° 2631 (vue 20/31).
Comité du 13e arrondissement de l’ANACR, La résistance dans le treizième arrondissement de Paris, imprimé par l’École Estienne en 1977, page 85.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1W0510-13411).
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux, centre de séjour surveillé d’Aincourt ; révision trimestrielle (1w74-1w76), dossier individuel (1w152).
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 166.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 4-12-2023)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.