- Droits réservés.
René, Constant, Solard naît le 9 janvier 1892 à Paris 15e (75), fils de Constant Solard, 35 ans, et de Hermence Vincent, son épouse, 28 ans, merciers, domiciliés au 105, rue Cambronne.
Au tournant du siècle, son père, Auguste, devient propriétaire au hameau de La Détourbe à Armentières-sur-Avre (Eure – 27), où il vient habiter avec sa famille tout en restant bonnetier.
Le 16 juin 1904, la mère de René, Hermence, âgée de 41 ans, décède au domicile familial. La déclaration est faite en mairie par deux amis du couple, un propriétaire agricole et un cafetier résidants sur la commune. René a alors 11 ans et demi.
Le 24 décembre 1904, à Armentières, Constant Solard, âgé de 48 ans, se remarie avec Gabrielle Renée Marie Brière, 32 ans, institutrice, divorcée depuis deux ans d’un premier mariage, duquel elle a eu trois fils restés avec elle : Gabriel Turquetil, né en 1896, Raymond, née en 1897, et Gérard, né en 1898, tous à Pont-Audemer (27).
En 1907, Constant et Gabrielle Solard ont un autre fils, Daniel Clément, né le 20 août à leur domicile.
En 1911, René Solard, âgé de 19 ans, a quitté le foyer paternel. Pendant un temps, il habite au 83, rue Fondary à Paris 15e, et commence à travailler comme mécanicien automobile.
Le 10 octobre 1913, appelé au service militaire, René Solard est incorporé comme sapeur de 2e classe au 1er régiment du Génie, cantonné à Versailles. Il est encore “sous les drapeaux” quand est promulgué le décret de mobilisation générale. Dès le 22 août 1914, il est porté disparu entre Ville-Houdlémont (Meurthe-et-Moselle), près de la frontière, et Baranzy, en Belgique. Cette journée de la Bataille des Frontières est considérée comme la plus meurtrière de l’histoire de l’armée française : 27 000 soldats sont tués sur 400 km de front, de la Belgique à la Lorraine. René Solard a été fait prisonnier de guerre. Il est d’abord admis à l’hôpital (Lazarett) de Grafenwöhr (Bavière), puis, le 26 janvier 1915, interné au camp de prisonniers voisin (Gefangenen Lager – Get. Lag.), 4e compagnie de prisonniers. Le 25 août 1915, il est transféré au camp de Puchheim, dans la grande banlieue ouest de Munich (Bavière), puis, le 16 janvier 1916, au camp de Landshut (Basse-Bavière). À plusieurs reprises, il est admis en hôpital militaire à Augsburg (Bavière) pour maladie. En mai 1918, il est transféré au camp de Lechfeld (Bavière). Libéré, puis rapatrié en France le 15 décembre 1918, René Solard se voit accorder une permission jusqu’au 21 février 1919, jour où il rejoint son dépôt. Le 25 mars suivant, il passe au 19e escadron du train des équipages. Le 24 août, il est mis en congé illimité de démobilisation, titulaire d’un certificat de bonne conduite, et se retire au 83, rue Fondary.
Il reprend son métier de mécanicien.
Le 2 octobre 1919 à Paris 15e, il se marie avec Germaine Gastel, née le 9 août 1895 à Paris 15e, domiciliée au 30, rue Bargue, lingère mais fille de bijoutier ; les témoins sont un typographe et un ouvrier métallurgiste. René et Germaine ont une fille, Marcelle, née le 10 août 1920 à Paris 14e ; à vérifier…
À partir de mars 1929 et jusqu’au moment de son arrestation, René Solard est domicilié avec sa famille au 63, rue du Théâtre, à Paris 15e, près de l’angle de la rue de Lourmel.
Il devient représentant de commerce, puis chauffeur-livreur. À la veille de son arrestation, il est employé par une maison sise au 152, boulevard de Grenelle (?).
En 1934, René Solard adhère à l’association des Amis de l’Union soviétique (A.U.S.) – dont le siège est au 20, rue du Mail, à Paris 2e -, vendant sur la voie publique des brochures et journaux édités par ce groupement.
Dans les années 1938-1939, participant le dimanche matin à des conférences et projections de films “documentaires” organisées par le Groupe d’études du cinéma soviétique avec l’A.U.S., René Solard y rencontre Claude Benjamin S., élève de rhétorique au lycée Buffon, né en Allemagne de parents juifs polonais naturalisés français, habitant chez ses parents, rue de Lourmel. Il obtient son adhésion à l’association.
Le soir du 17 avril 1941, deux inspecteurs de la brigade spéciale n° 1 (anticommuniste) de la préfecture de police se présentent au domicile de René Solard « à la suite de divers renseignements laissant supposer » qu’il est resté en relation avec l’A.U.S., clandestine depuis l’interdiction de celle-ci en septembre 1939. La perquisition effectuée simultanément amène la découverte, sur un petit meuble de la chambre à coucher, dans une pile de livres, de trois tracts différents enveloppés de papier journal : « Peuple de France », « Les conseillers de Pétain » et « Les camps de concentration ».
Alors que les policiers sont encore chez lui, Claude Benjamin S. se présente à l’entrée du logement. Surpris par la présence policière, le jeune homme déclare qu’il ne sait pas pourquoi il est venu chez René Solard, disant même ne pas le connaître. Le vieux militant cherche à justifier la présence de son visiteur en lui demandant : « Est-ce que la robe est prête ? » (plus tard, il dira avoir fait allusion une robe réalisée pour sa propre fille par le père du garçon, qui est tailleur). Mais, quand les inspecteurs demandent au jeune homme de leur présenter ses papiers, ils constatent que celui-ci cherche à dissimuler une brochure, La politique communiste n° 3, de mars 1941, contenant un “papillon” ronéotypé, « La ruine du petit commerce ». Tous deux sont conduits pour interrogatoire dans les bureaux des RG, à la préfecture de police, rejoints plus tard par le père du jeune homme.
Questionné le lendemain, René Solard déclare avoir trouvé dans la rue les tracts saisis à son domicile et n’en avoir jamais transmis à des amis. A contrario, l’étudiant déclare qu’il venait rendre à Solard la brochure que celui-ci lui avait prêtée quelques jours plus tôt. Il explique : « En 1938, la Russie d’Europe étant au programme de la classe de 3e, j’ai voulu à titre spécialement documentaire assister à un cours sur cette matière fait par un professeur de l’Université dans un local des “Amis de l’Union soviétique”, rue Lecourbe. C’est au cours de cette première séance que j’ai fait la connaissance Solard. Par la suite, nous avons assisté ensemble à d’autres séances – quatre au maximum. Pendant plus d’un an, j’ai perdu tout contact avec Solard du fait de ma présence à Cholet (Maine-et-Loire). À mon retour à Paris en novembre, j’ai revu Solard par hasard. Sur ma demande, (il) m’a fourni à plusieurs reprises divers exemplaires de tracts et brochures pour ma documentation personnelle. Jamais je n’ai fait lire un seul des documents qui ont pu me passer ainsi par les mains. Je n’ai jamais demandé à Solard de me dire comment il pouvait se procurer cette documentation. Lui-même ne m’a jamais fourni d’explications quant à la façon dont il se procurait le matériel clandestin dont il était détenteur. » Interrogé à nouveau, René Solard nie encore toute transmission de documents, ajoutant même qu’il a refusé en novembre précédent une sollicitation pour reprendre une activité clandestine au sein des A.U.S.
Lors de leur confrontation, si tous deux reconnaissent s’être rencontrés à plusieurs reprises pour des conversations sur « différents sujets politiques d’intérêt actuel », chacun reste sur sa position s’agissant de la circulation de documents
Le lendemain 18 avril, inculpés d’infraction au décret du 26 septembre 1939, ils sont conduits au Dépôt, à la disposition du procureur de la République.
René Solard est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
Le 7 mai 1941, les deux prévenus comparaissent devant la chambre des mineurs (15e) du tribunal correctionnel de la Seine (le père du garçon a été convoqué à l’audience comme civilement responsable). René Solard est condamné à 8 mois d’emprisonnement. Il fait appel auprès du procureur de la République. De son côté, le jeune militant est condamné à 3 mois de prison, qu’il purgera dans la section des mineurs de l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne) [1].
Le 21 juin, René Solard est transféré à Fresnes.
Le 29 juillet, la 15e chambre de la Cour d’appel confirme sa peine de prison.
À une date restant à préciser, il est transféré à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines).
Le 2 octobre, en « exécution de la note préfectorale » du 14 novembre 1940, le directeur de la prison transmet au bureau politique du cabinet du préfet de Seine-et-Oise sept notices de détenus de la Seine devant être libérés à l’expiration de leur peine au cours du mois suivant. Le 10 octobre, le préfet de Seine-et-Oise transmet le dossier au préfet de police, à Paris, direction des services des Renseignements généraux.
Le 8 novembre, le préfet de police signe l’arrêté ordonnant l’internement administratif de René Solard. Deux jours plus tard, décision est prise de l’envoyer au camp de Rouillé, mais celle-ci ne prend pas effet immédiatement.
Le 3 janvier 1942, René Solard fait partie d’un groupe de 38 internés politiques (dont 16 futurs “45000”) et 12 “indésirables” (droit commun) extraits du dépôt et transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé (Vienne). Ils sont conduits en car, sous escorte, jusqu’à la gare d’Austerlitz où les attend un wagon de voyageurs réservé (10 compartiments ; départ 7 h 55 – arrivée 18 h 51).
Le 22 mai 1942, René Solard fait partie d’un groupe de 148 détenus (pour la plupart déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, René Solard est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, René Solard est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46107, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté René Solard.
On ignore la date exacte de sa mort à Auschwitz ; probablement avant la mi-mars 1943.
Germaine Solard décède le 2 novembre 1956 à son domicile, rue du Théâtre, âgée de 61 ans.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de René Solard (J.O. du 18-03-2003).
Notes :
[1] Claude Benjamin S. : À sa libération de Fresnes, ramené devant les policiers des R.G., le jeune étudiant doit signer un engagement sur l’honneur de renoncer à toute propagande clandestine. En août 1941, il quitte le domicile parental pour le département de l’Orne. En octobre ou novembre 1942, il franchit la ligne de démarcation pour passer en zone non occupée. Fin 1942, il est arrêté à Saragosse (Espagne) sous un faux nom, puis détenu dans la prison de la ville. Le 25 août 1943, libéré, il est incorporé au D 8 de l’Armée de l’Air de Blida (Algérie). En juin 1957, un décret de l’autorise à changer de patronyme.
[2] La date de décès inscrite sur les actes d’état civil en France : Dans les années qui ont suivi la guerre, devant l’impossibilité d’obtenir des dates précises de décès des déportés, mais soucieux d’établir les documents administratifs nécessaires pour le versement des pensions aux familles, les services français d’état civil – dont un représentant officiait au ministère des Anciens combattants en se fondant sur diverses sources, parmi lesquelles le témoignage approximatif des rescapés – ont très souvent fixé des dates fictives : le 1er, le 15, le 30, le 31 du mois, voire le jour (et le lieu !) du départ. Le 2 mai 1946, l’officier d’état civil du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre dresse un acte de décès établissant que René Solard est « “mort pour la France” le 15 octobre 1942 à Reisco (Allemagne) » (sic) ; sans doute une déformation orthographique de Raïsko, un Kommando d’Auschwitz dont certains rescapés ont utilisé le toponyme pour désigner Birkenau). Cet acte est transcrit à la mairie du 15e arrondissement le 11 mai suivant. Leur inscription sur les registres d’état civil rendant ces dates officielles, certaines ont quelquefois été gravées sur les monuments aux morts.
[1] Claude Benjamin S. : À sa libération de Fresnes, ramené devant les policiers des R.G., le jeune étudiant doit signer un engagement sur l’honneur de renoncer à toute propagande clandestine. En août 1941, il quitte le domicile parental pour le département de l’Orne. En octobre ou novembre 1942, il franchit la ligne de démarcation pour passer en zone non occupée. Fin 1942, il est arrêté à Saragosse (Espagne) sous un faux nom, puis détenu dans la prison de la ville. Le 25 août 1943, libéré, il est incorporé au D 8 de l’Armée de l’Air de Blida. Un décret de juin 1957 l’autorise à changer de patronyme.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 127 et 128, 373 et 420.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier individuel).
Archives de Paris, site internet, archives en ligne : registre des naissances du 15e arrondissement à la date du 11-01-1892 (V4E 7160, acte n° 76 (vue 20/31).
Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 31 mai au 3 septembre 1941 (D1u6-5856).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; affaires traitées 1939-1941 par les renseignements généraux (GB 29) ; dossier de la BS1, Affaire Solard-D. (230).
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : bureau politique du cabinet du préfet (1W69).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 27-10-2020)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.