Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Henri, Régis, Justin, Félix Tauleigne naît le 2 mars 1904 à Paris 13e, fils de Pierre, Régis Tauleigne, 41 ans, cantonnier, et d’Henriette Caumont, 40 ans, son épouse, domiciliés au 36, rue des Cinq-Diamants.

Le 8 avril 1922 à Tigeaux (Seine-et-Marne), Henri Tauleigne, âgé de 18 ans, se marie avec Rolande Angélique Hugues. Mais le couple divorce en 1926 sans avoir eu d’enfant (à vérifier…).

Pendant un temps, Henri Tauleigne habite chez ses parents, retraités, au 8, rue de la Butte-aux-Caille (Paris 13e), et travaille comme galochier.

Le 18 mars 1927, la 3e commission militaire ad hoc de la Seine le réforme.

Pendant quelques années, Henri Tauleigne habite au 137, 138 ou 140, avenue Pasteur à Bagnolet [1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93).

Il est alors employé comme garçon livreur dans une maison d’alimentation de la capitale. Il est adhérent au Syndicat unitaire de l’Alimentation de la région parisienne, et membre du rayon de Bagnolet de la région Paris-Est du Parti communiste.

Le 12 mai 1935, Henri Tauleigne est élu Conseiller municipal de Bagnolet, sur la liste communiste sortante dirigée par Paul Coudert.

En janvier 1936, il s’installe à Bondy (93), dans un logement d’un immeuble d’habitations à bon marché (HBM) au 8, place Albert-Thomas, qui ouvre sur l’avenue de la République.

Bondy. Entrée des HBM, place Albert-Thomas. Carte postale des années 1930-1940, collection Mémoire Vive.

Bondy. Entrée des HBM, place Albert-Thomas.
Carte postale des années 1930-1940, collection Mémoire Vive.

Le 15 février suivant, il est nommé régisseur du dispensaire municipal de la commune, qui vient de se doter d’une municipalité antifasciste conduite par Henri Varagnat.

Henri Tauleigne adhère à la cellule des employés communaux de la section de Bondy du Parti communiste. Il est membre dirigeant de l’Amicale des locataires des HBM de Bondy.

Le 4 octobre 1939, le conseil municipal de Bondy est suspendu et une délégation spéciale est nommée pour administrer la commune.

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L’Œuvre, édition du 18 mars 1940.
Archives de la préfecture de police. Paris.

Le 15 octobre, Henri Tauleigne s’installe avec sa mère au 64, avenue de Belfort, toujours à Bondy.

En novembre, la police perquisitionne le local utilisé par la cellule des communaux.

Invité à désavouer le pacte germano-soviétique « par des éléments modérés du Syndicat des Communaux » de Bondy, Henri Tauleigne s’y refuse. Le 19 janvier 1940, la 3e commission de réforme de la Seine le classe dans le service armé, sans qu’il soit mobilisé. Le 25 janvier, il fait l’objet d’une dénonciation par une sage-femme entrée au service du dispensaire municipal pendant seulement une semaine en octobre 1939 et manifestement « hostile au communisme ».

Le 15 février, il est déchu de son mandat municipal (à Bagnolet).

Le 2 avril, le général d’armée Héring, gouverneur militaire de Paris, écrit à la direction des Renseignements généraux de la préfecture de police pour demander une mesure d’appel sous les drapeaux d’Henri Tauleigne, qu’il considère comme nettement dangereux pour la sécurité nationale.

Le 15 avril, la délégation spéciale le licencie de son poste de régisseur du dispensaire municipal. Il s’inscrit alors au fonds de chômage de Bondy.

Le 24 avril, une note de police rappelle qu’Henri Tauleigne est « à la disposition de l’autorité militaire » qui, seule, a qualité pour l’appeler sous les drapeaux. Le 2 mai, le préfet de police rappelle cette disposition au gouverneur militaire de Paris.

Le 3 mars (1941 ?), les services de police du commissariat de la circonscription de Noisy-le-Sec (93) effectuent une perquisition à son domicile au cours de laquelle ils trouvent un exemplaire du tract communiste intitulé « Nous accusons… » Ils l’arrêtent pour infraction au décret du 26 septembre 1939, mais le laissent en liberté « en raison du grand âge de sa mère (77 ans), dont il est le seul soutien ».

Le 26 juin 1941, au petit jour, Henri Tauleigne est appréhendé à son domicile dans le cadre d’une vague d’arrestations visant 92 militants ouvriers du département de la Seine ; il a été désigné par le commissaire de police de la circonscription de Noisy-le-Sec, et le préfet de police a signé l’arrêté ordonnant son internement administratif en application du décret du 18 novembre 1939. Mais ces opérations sont menées en concertation avec l’occupant. En effet, pendant quelques jours, des militants de Paris et de la “petite couronne” arrêtés dans ces conditions sont conduits dans la cour de l’hôtel Matignon, où ils sont livrés aux « autorités d’occupation » qui les rassemblent au camp allemand du fort de Romainville (HL 122), sur la commune des Lilas (93).

Dans les jours qui suivent (le 27 juin, le 1er juillet…), ils sont conduits à la gare du Bourget (93) où des trains les transportent à Compiègne (Oise) [2]. Henri Tauleigne fait partie de ces hommes transférés au camp allemand de Royallieu, administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) [3].

Entre fin avril et fin juin 1942, Henri Tauleigne est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.

Le 8 juillet 1942, Henri Tauleigne est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46131, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

© Mémoire Vive 2017.

© Mémoire Vive 2017.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Henri Tauleigne se déclare alors sans religion (Glaubenslos). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Henri Tauleigne.

Il meurt à Auschwitz le 27 octobre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

À la Libération, ignorant son sort, le conseil municipal provisoire (de Bagnolet) le compte parmi ses membres.

À Bondy, au 38 avenue de la République, un centre municipal de santé porte son nom (probablement l’établissement qu’il a géré).

Son nom est inscrit sur une des plaques du monument aux morts de Bondy, place de Gaulle.

Notes :

[1] Bondy : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

[2] Arrestations de la fin juin 1941 dans le département de la Seine, trois témoignages :

Jean Lyraud (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943). Le 26 juin, à 5 heures du matin, il est réveillé par des policiers français : « Veuillez nous suivre au poste avec une couverture et deux jours de vivres. » Un autobus le prend bientôt avec trois autres personnes arrêtées. Le véhicule fait le tour des commissariats de Montreuil et du XIe arrondissement. Un crochet à l’hôtel Matignon, qui abrite alors la police de Pétain, puis c’est le transport jusqu’aux portes du Fort de Romainville où les prisonniers sont remis aux autorités allemandes. Avec ses compagnons, jean Lyraud passe la nuit dans les casemates transformées en cachots. « Le lendemain 27 juin dans l’après-midi, nous embarquons en gare du Bourget dans des wagons spéciaux pour Compiègne. Nos gardes ont le revolver au poing et le fusil chargé, prêts à faire feu. Dans la soirée nous arrivons au camp. Quelques jours après, d’autres contingents de la région parisienne nous rejoignent. »

Henri Pasdeloup (déporté à Sachsenhausen le 24 janvier 1943), cheminot de Saint-Mihiel (Meuse), est arrêté le 23 juin 1941 par la Gestapo qui le conduit à la prison de la ville. Le 27 juin, avec d’autres détenus emmenés à bord de deux cars Citroën, il arrive devant le camp de Royallieu vers 16 h 30 : « À l’arrivée face au camp, nos gardiens nous font descendre. Alignement sur la route, comptages et recomptages. En rangs par trois nous passons les barbelés… À 19 heures, environ 400 prisonniers en provenance de la région parisienne entrent en chantant L’Internationale… Le lendemain 28 juin, réveil à 7 heures : contrôle d’identité, toise, matricule. J’ai le numéro 556. Pour notre groupe de la Meuse, cela va de 542 à 564. Ceux de la région parisienne, bien qu’arrivés après nous, sont immatriculés avant… »

Henri Rollin : « Le 27 juin 1941, vers 6 heures de matin, ma femme et moi nous sommes réveillés par un coup de sonnette. Trois inspecteurs de la police française viennent nous arrêter ; perquisition rapide sans résultat (nous avions la veille au soir distribué les derniers tracts que nous avions). Nous arrivons à l’hôtel Matignon où nous trouvons de nombreux cars et camions, résultat d’une rafle dans toute la région parisienne. Nous sommes remis par la police française aux autorités allemandes. Au moment de ma remise aux Allemands, j’ai aperçu qu’on leur donnait une petite fiche portant mon nom et la mention «  communiste  », soulignée à l’encre rouge. Nous subissons un court interrogatoire d’identité… Attente… Vers la fin de l’après-midi, départ en car. Arrivée au fort Romainville, fouille, identité. Départ de Romainville le 1er juillet, au matin, par train spécial et bondé au Bourget, arrivée l’après-midi à Compiègne. Le lendemain, même cérémonie, refouille et identité, ensuite la vie de camp… »

[3] L’ “ Aktion Theoderich ” : L’attaque de l’Union soviétique, le 22 juin 1941, se fait au nom de la lutte contre le “judéo-bolchevisme”. Dès mai 1941, une directive du Haut-commandement de la Wehrmacht pour la “conduite des troupes” sur le front de l’Est définit le bolchevisme comme « l’ennemi mortel de la nation national-socialiste allemande. C’est contre cette idéologie destructrice et contre ses adeptes que l’Allemagne engage la guerre. Ce combat exige des mesures énergiques et impitoyables contre les agitateurs bolcheviks, les francs-tireurs, les saboteurs et les Juifs, et l’élimination allemande de toute résistance active ou passive. » Hitler est résolu à écraser par la terreur – à l’Ouest comme à l’Est – toute opposition qui viendrait entraver son effort de guerre. Le jour même de l’attaque contre l’Union soviétique, des mesures préventives sont prises dans les pays occupés contre les militants communistes – perquisitions à leur domicile et arrestations – et des ordres sont donnés pour punir avec la plus extrême sévérité toute manifestation d’hostilité à la puissance occupante.

En France, dans la zone occupée, au cours d’une opération désignée sous le nom de code d’Aktion Theoderich,plus de mille communistes sont arrêtés par les forces allemandes et la police française. D’abord placés dans des lieux d’incarcération contrôlés par le régime de Vichy, ils sont envoyés, à partir du 27 juin 1941, au camp allemand de Royallieu à Compiègne, créé à cette occasion pour la détention des « ennemis actifs du Reich » sous l’administration de la Wehrmacht.

Au total, 1300 hommes y seront internés à la suite de cette action. Fin août, 200 d’entre eux font déjà partie de ceux qui seront déportés dans le convoi du 6 juillet 1942.

Sources :

- Monique Houssin, Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis, Un nom, une rue, une histoire, Les éditions de l’Atelier/ Les éditions Ouvrières, Paris 2004, page 48.
- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 384 et 421.
- Claude Pennetier, notice dans Le Maitron en ligne, dictionnaire biographique, mouvement ouvrier, mouvement social : https://maitron.fr/spip.php?article132072
- Jean-Pierre Gast, Bagnolet 1939-1940, éd. Folies d’encre, août 2004, page 289.
- Sachso, Amicale d’Orianenburg-Sachsenhausen, Au cœur du système concentrationnaire nazi,Collection Terre Humaine, Minuit/Plon, réédition Pocket, mai 2005, page 36 (sur les arrestations du 26 juin 1941).
- Gérard Bouaziz, La France torturée, collection L’enfer nazi, édité par la FNDIRP, avril 1979, page 262 (sur les arrestations du 27 juin 1941).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles (SMAC), Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 1244-64109) ; cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397).
- Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1240 (37424/1942).
- Site MémorialGenWeb : Bondy, relevé n° 51698 effectué par Christian Dusaussoy (01-2011).

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 20-05-2021)

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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.ous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).