- En 1936.
© RATP/Archives définitives.
Théophile, Gilbert, Tenaille naît le 27 novembre 1906 au faubourg du Clos à Guéret (Creuse), fils de Marie Tenaille, 19 ans, cultivatrice, alors domiciliée chez sa mère au village de Semenadisse sur la commune de Rimondeix, et de père inconnu (l’officier d’état civil n’a pas alors enregistré l’orthographe « Thenaille » qui était jusqu’ici celle du nom de la famille).
De la classe 1926, Théophile Tenaille s’engage volontairement dans la Marine nationale à Cherbourg (Manche), de 1924 à 1929.
Arrivé dans la banlieue de Paris, il habite d’abord à Aubervilliers [1] (Seine / Hauts-de-Seine – 92).
En 1930, il habite avec sa mère, ouvrière d’usine, au 6, allée des Violettes à Paris 14e, entre la porte d’Orléans et la Cité Universitaire (dans un vestige de la “Zone” aujourd’hui occupé par des installations sportives). Lui-même est monteur mécanicien.
Le 16 août 1930 à la mairie du 14e, Théophile Tenaille se marie avec Hélène Louise d’Herdt, née le 11 mai 1908 à Saint-Denis, ouvrière d’usine. Ils n’auront pas d’enfant. En août 1931, le couple emménage au 3, rue Victor-Hugo à Bois-Colombe [1] (92).
En octobre 1933, ils s’installent à Gennevilliers, d’abord au 142, rue de Paris.
À partir de juillet 1934 et jusqu’au moment de son arrestation, Théophile Tenaille est domicilié au 21 ter, rue Georges-Thoretton, puis (?) au 13, rue Henri-Vuillemin [2] (ancienne rue de l’Espérance prolongée) à Gennevilliers [1] (92) ; un site à caractère industriel totalement modifié.
Le 5 mai 1931, Théophile Tenaille entre à la STCRP (Société des transports en commun de la région parisienne, réseau de surface intégré à la RATP après la Libération [3]), comme machiniste d’autobus au dépôt de Saint-Mandé. Muté au dépôt de Levallois après sa formation, il sera successivement affecté aux dépôts de Clichy (11-05-1936), puis d’Asnières (28-12-1936). Le 11 février 1933, à Clichy, sur la ligne A.W., son véhicule est entré en collision avec une voiture cellulaire de la préfecture de police, mais sans que l’affaire ait de suite.
Il est responsable de la section syndicale CGT du dépôt d’Asnières.
Secrétaire de la section communiste d’Asnières, Théophile Tenaille est élu conseiller municipal de Gennevilliers aux élections partielles de 1934 et réélu le 5 mai 1935. Parallèlement, il est secrétaire du député communiste Émile Dutilleul.
En 1939, au cinquième jour de la mobilisation, il est rappelé au 11e régiment du Génie, à Versailles (Seine-et-Oise / Yvelines), affecté à la compagnie 390/13 d’électro-mécaniciens.
Le 9 février 1940, le conseil de préfecture de la Seine le déchoit de son mandat municipal.
- Le Populaire, quotidien édité par la SFIO,
édition du 17 février 1940.
Archives de la préfecture de police, Paris.
ThéophRendu à la vie civile le 26 juillet 1940, au centre de démobilisation de Verdun-sur-Garonne (Tarn-et-Garonne), Théophile Tenaille rejoint son domicile le 30 juillet. Le 8 août, il est affecté au groupe Nord de la STCRP.
Il reprend son action syndicale et politique dans la clandestinité.
Sous l’occupation, les Renseignements généraux n’oublient pas qu’il a été « l’ancien secrétaire du député Dutilleul » et le considèrent comme « un agent actif de la propagande clandestine ».
Le 5 octobre 1940, il est appréhendé à son domicile par la police française lors de la grande vague d’arrestations ciblées organisée dans les départements de la Seine et de la Seine-et-Oise par les préfets du gouvernement de Pétain à l’encontre des responsables communistes de la région parisienne avant guerre (élus, cadres du PC et de la CGT) ; action menée avec l’accord de l’occupant. Le préfet de police a signé l’arrêté ordonnant ces internements administratifs en application des décrets du 18 novembre 1939 et du 3 septembre 1940. Après avoir été regroupés en différents lieux, les 214 hommes arrêtés sont rapidement conduits au “centre de séjour surveillé” d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé à cette occasion dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.
Par décision de la direction de la STCRP prise le 19 octobre, en application de la circulaire du Ministère de l’Intérieur du 19-01-1940, Théophile Tenaille est révoqué à la date du jour suivant son internement (6 octobre).
Dès le 24 novembre, il demande au préfet de Seine-et-Oise d’intervenir auprès de la Société afin que lui soit appliquée une « mise en disponibilité spéciale ».
Le 7 mars 1941, sur le formulaire de « Révision trimestrielle du dossier » de Théophile Tenaille, à la rubrique « Avis sur l’éventualité d’une mesure de libération », le commissaire spécial, directeur du camp d’Aincourt, émet un avis défavorable en s’appuyant sur le constat que cet interné « suit les directives du Parti communiste » et malgré qu’il lui reconnaisse une « attitude correcte » et qu’il « travaille régulièrement ».
Le 8 avril, Hélène Tenaille écrit au préfet [de Seine-et-Oise ?] afin de solliciter l’autorisation de rendre visite à son mari (la suite donnée est inconnue…).
Le 27 mai, Théophile Tenaille bénéficie d’une autorisation de sortie exceptionnelle pour se rendre aux obsèques de sa belle-mère qui ont lieu à 14 h 30 à l’hôpital de Saint-Denis (93). Sous la surveillance d’un gardien de la Paix, il se rend d’abord à son domicile de Gennevilliers pour s’y habiller correctement. Comme il n’est pas possible de trouver un moyen de transport pour rentrer au camp « vu l’heure tardive », le retour est remis au jour suivant. Le lendemain, Théophile Tenaille en profite pour rendre visite à sa propre mère. Puis, lui et son escorte gagnent Versailles où ils prennent « la voiture à 16 heures pour regagner le Centre ».
Le 4 août, c’est Hélène Tenaille qui subit une intervention chirurgicale à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris 13e. Le 7 août, son mari est autorisé à se rendre à son chevet à l’hôpital, sous la surveillance d’un autre gardien de la Paix.
Le 6 septembre, après onze mois à Aincourt, Théophile Tenaille fait partie d’un groupe de 150 détenus (dont 106 de la Seine) transférés au camp français (CSS) de Rouillé, au sud-ouest de Poitiers (Vienne), pour l’ouverture de celui-ci.
Le 22 mai 1942, Théophile Tenaille fait partie d’un groupe de 148 détenus (pour la plupart déportés avec lui) remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 - Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Théophile Tenaille est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I), peut-être sous le numéro 46133, selon les listes reconstituées (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Théophile Tenaille se déclare comme conducteur (Kraftwagenführer). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Théophile Tenaille.
Il meurt à Auschwitz le 2 septembre 1942, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique « infection des reins » (Nierenentzündung) pour cause mensongère de sa mort.
Le nom de Théophile Tenaille a été donné à une cité de Gennevilliers, inaugurée en 1963. Il est également inscrit sur la plaque commémorative dédiée aux Conseillers municipaux morts pour la France (hall de la Mairie de Gennevilliers) et sur la plaque « À la mémoire des agents du dépôt d’Asnières morts pour la France » (centre bus : « Tenaille T. »).
En mai 1947, sa veuve habite au 21 ter, rue Georges-Thoretton (anciennement rue de l’Avenir), toujours à Gennevilliers.
Aucun “45000” de Gennevilliers n’est revenu, c’est pourquoi la mémoire locale a appelé le convoi du 6 juillet 1942 le « convoi maudit ».
Notes :
[1] Aubervilliers, Bois-Colombe, Gennevilliers : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Henri Vuillemin, jeune ouvrier du bâtiment et militant communiste parisien mortellement blessé par un agent de police le 24 février 1934 à Ménilmontant, rue des Pyrénées (Paris) lors d’une manifestation antifasciste.
[3] STCRP-CMP-RATP : Le 1er janvier 1942, le Conseil des Transports Parisiens, émanation du gouvernement de Vichy, impose la gestion par la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris (CMP) du réseau de surface – les bus – précédemment exploité par la Société des transports en commun de la région parisienne (STCRP), fusion de fait d’entreprises privées qui prélude la gestion des transports parisiens par un exploitant unique.
La loi du 21 mars 1948 crée l’Office Régional des Transports Parisiens, nouvelle autorité de tutelle du réseau, et la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP), établissement public à caractère industriel et commercial, qui se voit chargée de l’exploitation des réseaux de transport publics souterrains et de surface de Paris et de sa banlieue. (source Wikipedia)
Sources :
Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français, sous la direction de Jean Maitron, tome 42, pages 74-75.
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 357, 382 et 421.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Paris (2002), citant : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), ministère de la Défense, Caen (dossier individuel – fichier central) – Archives de Gennevilliers (liste de déportés, noms de rues).
Jean-Marie Dubois, Malka Marcovich, Les bus de la honte, éditions Tallandier, 2016, pages 144, 145, 146 et 189.
Archives de la RATP, Paris : dossier individuel.
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), site du Pré-Saint-Gervais : cartons “occupation allemande”, communistes fonctionnaires internés… (BA 2214) ; camps d’internement… (BA 2374).
Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt, révision trimestrielle (1w74), (1w76), dossier individuel (1w155) ; police française, manifestations et mises en résidence forcée (300w48).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1242 (26868/1942).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : copies de pages du Sterbebücher provenant du Musée d’Auschwitz et transmises au ministères des ACVG par le Service international de recherches à Arolsen à partir du 14 février 1967, carton de S à Z (26 p 843), acte n° 26868/1942.
(photo dans le livre de Patrick Liber sur Gennevilliers : Rue de la Résistance).
Noël Gérôme, Le Deuil en hommage, monuments et plaques commémoratives de la RATP, Creaphis 1995, page 96.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 17-05-2020)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.