Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz lors de l’évacuation du camp en janvier 1945. Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz
lors de l’évacuation du camp en janvier 1945.
Le portrait d’immatriculation de ce détenu a disparu.

Joseph Tortora naît le 20 mars 1896 à La Calle (El Kala), près de Constantine (Algérie, alors département français), fils de Luigi, Vincent, Tortora, 33 ans, natif de Gaeta (Italie), jardinier, et de Marie Farella, son épouse, 27 ans, native de Resina (Italie). Joseph a – au moins – une sœur plus âgée : Costanza, née le 16 février 1891.

Considérant son âge, Joseph Tortora devrait avoir été mobilisé au cours de la guerre 1914-1918 (à vérifier…).

En 1932, il est inscrit sur les listes électorales de Clichy-la-Garenne [1] (Seine / Hauts-de-Seine), domicilié au 5 bis rue des Écoles en 1933. En 1934 et 1936 (liste électorale), il habite au 20, rue Villeneuve. En 1939 et jusqu’au moment de son arrestation, il est domicilié au 27, villa Émile. Il vit maritalement avec Lucie K.

Joseph Tortora est ouvrier du Bâtiment, charpentier-tôlier, charpentier-mécanicien chez Mareuil.

C’est un militant communiste.

Le 21 décembre 1939, comme celui de trois autres militants de Clichy, son domicile fait l’objet d’une perquisition conduite par les services du commissariat de police de la circonscription, au cours laquelle sont saisis « un lot de livres, brochures et papiers du Parti communiste », datant probablement d’avant l’interdiction du 26 septembre puisqu’il n’est pas arrêté.

Le 30 novembre 1940 à 21 h 30, Joseph Tortora est arrêté à Clichy, par les services du commissariat de Clichy en flagrant délit de collage de tracts et de “papillons” « à tendance communiste, en compagnie d’un autre individu qui a pris la fuite et n’a pu être identifié ». Lui-même était porteur d’un pot de colle et d’un pinceau, et 25 tracts décollés ou abandonnés sur la voie publique sont saisis. La perquisition opérée à son domicile amène la découverte de brochures communistes. Inculpé le lendemain d’infraction au décret du 26 septembre 1939 (« reconstitution de ligue dissoute », distribution de tracts), Joseph Tortora est mis à la disposition du Parquet et  au dépôt « près la préfecture de police » le 2 décembre.

Le lendemain, 3 décembre, il comparaît – seul – devant la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine qui le condamne à six mois d’emprisonnement. Il est d’abord écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Le 16 décembre, il est transféré à l’établissement pénitentiaire de Fresnes [1] (Seine / Val-de-Marne).

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

L’établissement pénitentiaire de Fresnes après guerre.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Le 27 décembre, Joseph Tortora est transféré à la Maison centrale de Poissy (Seine-et-Oise / Yvelines).

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916. Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Au deuxième plan, la Maison centrale de Poissy vers 1916.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.

À l’expiration de sa peine, étant considéré par les Renseignements généraux comme un « meneur des plus actifs », il n’est pas libéré.

Le 16 mai, le préfet de Seine-et-Oise écrit au secrétaire général pour la police (police d’État) afin de l’avertir que six détenus de Poissy sont prochainement libérables, lui demandant d’« inviter [ses] services à assurer leur transfert à Aincourt le jour de leur sortie de la Maison Centrale, en leur notifiant la mesure qui les frappe. »

Le 23 mai 1941, jour de la libération de Joseph Tortora, le préfet de police (de Paris) signe l’arrêté ordonnant son internement administratif (renouvelé le 22 septembre ?), en application du décret du 18 novembre 1939. Joseph Tortora est conduit le jour-même au “centre de séjour surveillé” (CSS) d’Aincourt (Seine-et-Oise / Val-d’Oise), créé au début du mois d’octobre 1940 dans les bâtiments réquisitionnés d’un sanatorium isolé en forêt.

Sanatorium d’Aincourt. Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante

Sanatorium d’Aincourt. Tel qu’il est photographié, le pavillon Adrien Bonnefoy Sibour ne laisse pas entrevoir la grande forêt qui l’entoure et l’isole de la campagne environnante

Le 26 avril 1942, il fait partie d’un groupe de 93 détenus enregistrés au camp français (CSS) de Voves (Eure-et-Loir), où il est inscrit sous le matricule n° 260.

Le 10 mai 1942, il est parmi les 81 internés (dont 70 futurs “45000”) « remis aux mains des autorités d’occupation » à la demande de celles-ci et transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) ; matricule 5718.

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C, qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation. L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

La caserne de Royallieu en 1957 ; au deuxième plan, les six grands bâtiments alignés du quartier C,
qui semblent avoir souvent servi au regroupement des internés sélectionnés pour la prochaine déportation.
L’enceinte et les miradors du camp ont disparu (les deux hangars en bas à gauche n’existaient pas).

Entre fin avril et fin juin 1942, Joseph Tortora est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).

Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.

TransportAquarelle

Le 8 juillet 1942, Joseph Tortora est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46151 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).

Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.

Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.

Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.

Le 13 juillet, après l’appel du soir, Joseph Tortora est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).  Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le “camp souche” : « Arbeit macht frei » (le travail rend libre).
Carte postale. Collection mémoire Vive. Photo : Stanislas Mucha.

Pendant un temps, il est assigné au Block 15.

Le 29 octobre, il y est admis au Block 20 de l’hôpital des détenus, réservé aux “contagieux”.

Joseph Tortora meurt à Auschwitz le 20 novembre 1942, selon une copie du registre de la morgue (Leichenhalle) relevée par la résistance polonaise interne du camp et où est inscrit le matricule n° 46151.

Déclaré “Mort pour la France” (25-05-1948), Joseph Tortora est homologué comme “Déporté politique” (30-06-1959). La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. n°2 du 3-01-2001).

Après la guerre, une cellule du PCF de Clichy a pris son nom, associé à celui de son frère Raymond.

Notes :

[1] Clichy-la-Garenne et Fresnes : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).

Sources :

- Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 381 et 421.
- Cl. Cardon-Hamet, notice réalisée pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” du nord des Hauts-de-Seine, citant : témoignage de René Petitjean, de Clichy.
- Archives nationales d’Outre-mer, site internet : registre des naissances de La Calle, département de Constantine, année 1896, acte de naissance n° 32 du 21 mars.
- Archives de Paris : (D1u6-5852).
- Archives nationales : correspondance de la Chancellerie sur des procès pour propagande et activité communistes (BB18 7035,  2BL 2062).
- Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : registre de main courante du commissariat de Clichy (C B 84 34) ; dossier individuel des RG (77 W 1484-27757) ; dossier individuel au cabinet du préfet (1 W 632-20824) ; cartons “Occupation allemande”, liste des internés communistes, 1939-1941 (BA 2397).
- Archives départementales du Val-de-Marne (AD 94), Créteil : établissement pénitentiaire de Fresnes (2742w16).
- Archives départementales des Yvelines (AD 78), Montigny-le-Bretonneux : centre de séjour surveillé d’Aincourt (1W76), dossier individuel du bureau politique (1W156), notice individuelle (1W80).
- Comité du souvenir du camp de Voves : liste établie à partir des registres du camp conservés aux Archives départementales d’Eure-et-Loir.
- Archives communales de Clichy, fiche de la section locale de la FNDIRP.
- Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : registre de la morgue d’Auschwitz-I, Leichenhalle (26 P 850), 20/XI 42, n° 40.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 4-03-2021)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.