Léon, Adolphe, Fernand, Toussaint naît le 30 janvier 1896 à Houdelaucourt-sur-Othain [1] (Meuse), fils de Pierre, Émile, Toussaint, 37 ans, employé de chemin de fer, et de Julie Aubry, son épouse, 37 ans.
Léon Toussaint commence à travailler comme « conducteur », résidant alors à Saint-Hilaire (Gard).
Le 9 avril 1915, il est mobilisé comme soldat de 2e classe au 147e régiment d’infanterie de Saint-Nazaire. Le 5 décembre suivant, il passe au 85e R.I. En avril 1918, après avoir été relevé à Verdun, le régiment arrive sur le plateau de Louvrechy (Somme) et tient les villages de Sourdon, Thory et le bois de Mongival. Le soir du 22 juillet suivant, le régiment vient de placer dans les tranchées de premières lignes et dans le chemin creux entre Thory et Sauvillers. Le lendemain à l’aube, « les vagues d’assaut s’élancent à la suite du barrage roulant » de l’artillerie. Le 1er bataillon « s’empare du bois des Arrachis et enlève ensuite, plus à l’Est, par une manœuvre hardie, une ligne de résistance garnie de mitrailleuses ». Le 14 août 1918, Léon Toussaint est cité à l’ordre de… (la division ?) : « mitrailleur d’une bravoure exceptionnelle et d’un très grand sang-froid, à l’attaque du 23 juillet, a contribué par son tir précis à la destruction d’un nid de mitrailleuses ennemies qui gênait la progression de son bataillon ». Il est décoré de la Croix de guerre avec étoile d’argent.
Le 2 septembre 1919, après quatre ans et cinq mois sous les drapeaux, Léon Toussaint est mis en congé illimité de démobilisation et se retire à Blagny (Ardennes – 08), titulaire d’un certificat de bonne conduite.
En décembre suivant, embauché comme homme d’équipe à la Compagnie des Chemins de fer de l’Est [2], il est affecté à Lumes (08). Un an plus tard, il passe conducteur.
Le 9 octobre 1920 à Blagny, Léon Toussaint se marie avec Marie-Claire Dujardin, née le 17 août 1896 dans cette commune, fille d’un ouvrier d’usine.
En 1926, le couple habite au 63 Grande Rue à Audun-le-Roman, près de Thionville (Meurthe-et-Moselle – 54). Le 29 juin de cette année, naît leur fils, Pierre Henri Auguste
En 1928, Léon Toussaint est chef de train “au service de l’exploitation”. En 1931, ils habitent au 58 rue de la Gendarmerie à Audun.
En octobre 1936, l’armée le « passe d’office en domicile à Seine Central » (?).
Au moment de son arrestation, Léon Toussaint est domicilié au 4, rue de la République, à Audun-le-Roman ; rue dans laquelle habitent beaucoup de familles cheminotes.
De 1926 à 1939, Léon Toussaint est syndiqué CGT à la Fédération des cheminots, au sein de laquelle il est délégué pendant un temps. Selon une liste manuscrite de quarante-quatre internés établie ultérieurement par le chef du centre de séjour surveillé d’Écrouves, Léon Toussaint “démissionne” de son syndicat à une date qui reste à préciser.
La police le présente comme un fervent militant communiste. Lors d’élections dont la date reste à préciser, il est élu conseiller municipal de sa commune.
Peut-être Léon Toussaint est-il révoqué de la SNCF pour ses engagements, car il exerce la profession de manœuvre-terrassier au moment de son arrestation ?
Dans la nuit du 4 au 5 février 1942, un groupe de résistance communiste mène une action de sabotage contre le transformateur électrique de l’usine sidérurgique d’Auboué qui alimente également dix-sept mines de fer du Pays de Briey. Visant une des sources d’acier de l’industrie de guerre allemande (Hitler lui-même s’en préoccupe), l’opération déclenche dans le département plusieurs vagues d’arrestations pour enquête et représailles qui concerneront des dizaines de futurs “45000”.
Le 5 février 1942, Léon Toussaint est arrêté pour transport clandestin de fusils (et/ou de prisonniers de guerre évadés) dans son fourgon, et/ou comme otage à la suite du sabotage ; à vérifier…
Le 19 février, son nom est inscrit sur une liste de soixante suspects établie par la préfecture de Meurthe-et-Moselle pour être transmise à la Feldkommandantur de Briey.
Le 23 février, il fait partie des vingt-cinq otages transférés par la police allemande (Feldgendarmerie) au centre de séjour surveillé d’Écrouves, près de Toul (54), en attente « d’être dirigés sur un autre camp sous contrôle allemand en France ou en Allemagne » ; ils y rejoignent quatorze autres otages arrivés la veille.
Le 27 février, son nom est inscrit sur un état nominatif des otages transmis par le préfet Jean Schmidt à Fernand (de) Brinon à Vichy ; 15e sur la liste.
Le 5 mars, Léon Toussaint est parmi les trente-neuf détenus transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), gardé et administré par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Entre fin avril et fin juin 1942, il est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Léon Toussaint est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) ; peut-être sous le numéro 46154, selon les listes reconstituées (la photo du détenu portant ce matricule n’a pas été retrouvée).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib (le premier créé).
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp) ; Léon Toussaint se déclare alors comme cheminot (Eisenbahner). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, une moitié des déportés du convoi est ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. Aucun document ni témoignage ne permet actuellement de préciser dans lequel des deux sous-camps du complexe concentrationnaire a alors été affecté Léon Toussaint.
Il meurt à Auschwitz le 20 octobre 1942, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher), qui indique pour cause mensongère de sa mort « faiblesse cardiaque et circulatoire » (Herz und Kreislaufschwäche).
Léon Toussaint est homologué à titre posthume comme sous-lieutenant des Forces françaises combattantes, réseau Résistance-Fer pour prendre rang le 1/12/1943 (?) : « avait facilité et convoyé des prisonniers de guerre évadés dans le fourgon du train dont il assurait le service ».
Son nom est inscrit sur la plaque apposée dans la gare (désaffectée ?) d’Audun-le-Roman, sur le bâtiment voyageurs côté voies : « La SNCF à ses Morts – En mémoire des agents de la SNCF tués par faits de guerre ».
Enfin, à une date restant à préciser, le Conseil municipal d’Audun donne son nom à une rue longeant la mairie et la caserne de sapeurs-pompiers (la plaque précisant « … mort à Auschwitz en 1943 »).
La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 3-06-2001).
Notes :
[1] Houdelaucourt-sur-Othain : village situé dans le secteur de la bataille de Verdun. Depuis 1973, associé à quatre autres villages, il constitue la commune de Spincourt.
[2] La Compagnie des chemins de fer de l’Est, dite parfois Compagnie de l’Est ou l’Est, société anonyme créée en 1845 sous le nom de Compagnie du chemin de fer de Paris à Strasbourg, est l’une des six grandes compagnies françaises de chemins de fer nationalisées le 1er janvier 1938 pour former la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 367 et 421.
Archives départementales de la Meuse, site internet, archives en ligne : registre d’état civil d’Houdelaucourt, année 1896 (2 E 257 (9)), acte n° 1 (vue 9/120).
Hervé Barthélémy, association Rail et Mémoire.
Archives Départementales de Meurthe-et-Moselle, Nancy : cote W1304/23 et WM 312 ; fiches du centre de séjour surveillé d’Écrouves (ordre 927 W) ; recherches de Daniel et Jean-Marie Dusselier.
Jean-Claude et Yves Magrinelli, Antifascisme et parti communiste en Meurthe-et-Moselle, 1920-1945, Jarville, avril 1985, pages 247, 346.
Jean-Claude Magrinelli, Ouvriers de Lorraine (1936-1946), tome 2, Dans la résistance armée, éditions Kaïros / Histoire, Nancy, avril 2018, L’affaire d’Auboué, pages 199-227 (listes d’otages p. 205, 208-210).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1253 (36706/1942).
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; copie de l’acte de décès du camp.
Site Mémorial GenWeb : Audun-le-Roman, gare SNCF, relevé de Martine Mangeolle (2013).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 7-09-2023)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.