- Photo anthropométrique prise le 29 octobre 1941
au camp de Gaillon. © AD 27
Léon, Clément, Louis, Truffert naît le 21 mai 1901 à Vaudreville (Manche – 50), fils de Jean Truffert, forgeron, et de Marie Mahier.
Pendant un temps, il travaille comme domestique agricole.
Le 9 avril 1921, il est incorporé comme soldat de 2e classe au 136e régiment d’Infanterie afin d’accomplir son service militaire. Le 31 mars 1923, il passe au 171e R.I., unité affectée à l’occupation de la Ruhr (Pays Rhénans), où il reste deux mois. Le 29 mai, il est renvoyé dans ses foyers, titulaire d’un certificat de bonne conduite, et se retire à Tourlaville, quelques kilomètres à l’est de Cherbourg (50)
Ouvrier à l’Arsenal de Cherbourg, il demeure au village Saint-Jean, à Tourlaville.
Le 8 août 1925, à Tourlaville, il se marie avec Geneviève Lefèvre, née le 27 février 1902 à Sainte-Geneviève (50), et domiciliée au 15, rue Louis-Philippe, à Cherbourg. Ils auront une fille, Léone, Marie, née le 22 juin 1926.
Au moment de l’arrestation du chef de famille, celle-ci est domiciliée au hameau de l’Église, à Tourlaville.
- Tourlaville.
Carte postale sans date. Collection Mémoire Vive.
Léon Truffert est alors patron de chaloupe à l’Arsenal de Cherbourg.
- Cherbourg. Le port de l’Arsenal dans les années 1900.
Carte postale. Collection Mémoire Vive.
C’est un militant actif du Parti communiste dont il diffuse la presse avant la guerre. Il est trésorier de la cellule de Tourlaville.
Selon la police, il reste en contact avec des militants clandestins après l’interdiction du PCF : Pierre Rouxel, étudiant à la Faculté de Médecine de Caen, et Auguste Daniel.
Lors de la mobilisation générale du début septembre 1939, Léon Truffert est classé dans l’affectation spéciale au titre des constructions navales du port de Cherbourg. Le 10 mars, il en est rayé par mesure disciplinaire et affecté au dépôt d’Infanterie n° 32, à Rouen. Il arrive au corps le 18 mars et part aux armées le 26 mai. Le 31 juillet 1940, il est démobilisé par le centre du canton de Marmande (Lot-et-Garonne) et se retire à Tourlaville.
Sous l’Occupation, il est employé à l’Atelier des réparations, Service des bassins de l’Arsenal. Sa fille est élève à l’École pratique de Cherbourg.
À la mi-juillet 1941, Léon Truffert est repéré par la police alors qu’il participe à une réunion dans un débit de boissons, place Gambetta à Tourlaville, en compagnie de Pierre Rouxel, Auguste Daniel, Juliette Defrance et de deux autres individus, non identifiés. Quelques jours plus tard, à la fin du mois, des tracts communistes sont trouvés à l’Arsenal. Léon Truffert est « fortement soupçonné de les avoir jetés ou distribués ».
Le 18 septembre 1941, le préfet de la Manche signe un arrêté ordonnant son astreinte à résidence au « centre de séjour surveillé à Gaillon » (internement administratif).
Le lendemain, 19 septembre, à 14 heures, le commissaire de police spéciale de Saint-Lô arrête Léon Truffert sur son lieu de travail, à l’Arsenal (au cours d’une alerte). Dans la même période sont arrêtés Louis Hamel, de Cherbourg, Charles Mauger, d’Octeville, Léon Lecrées, d’Equeurdreville, et Marcel Hodiesne, d’Avranches (le 21).
Provisoirement conduit à la Maison d’arrêt de Cherbourg (prison maritime ?), Léon Truffert est interné le lendemain au camp français de Gaillon (Eure), un château Renaissance isolé sur un promontoire surplombant la Seine et transformé en centre de détention au 19e siècle, puis en caserne.
- Le camp de Gaillon, ancien château de l’évêque de Rouen.
Carte postale d’après-guerre. Collection Mémoire Vive.
À son arrivée, il signe un formulaire de l’administration du camp : « Je soussigné, Truffert Léon […] reconnais avoir pris connaissance des dispositions des articles 8 à 26 du règlement du 29 décembre 1940, notamment de l’article 13 relatif aux sanctions auxquelles je m’expose en cas de tentative d’évasion (c’est-à-dire que le personnel a reçu l’ordre de faire usage de ses armes en cas de tentative d’évasion et que l’évadé est en outre passible d’un emprisonnement de un à cinq ans). À Gaillon, le 20 septembre 1941. » Le 1er octobre, le commandant du camp établit un certificat de présence à son nom.
Le 29 octobre, un agent de la 3e brigade de police mobile de Rouen qui s’est déplacé à Gaillon établit sa fiche anthropométrique, par laquelle on apprend Léon Truffert est un homme de petite taille : 1 m 58. Le détenu est photographié et appose les empreintes digitales de ses dix doigts sur d’autres fiches (dactyloscopiques).
Le 29 décembre, il écrit à une autorité administrative (le préfet de l’Eure ?) pour solliciter sa libération. Le 17 février 1942, le préfet de la Manche écrit à celui de l’Eure pour lui faire savoir qu’il estime que la mesure d’internement doit être maintenue au motif que « l’activité de cet individu en faveur du parti communiste ne s’[est] jamais ralentie ». Le 26 février, Léon Truffert signe un formulaire par lequel il reconnaît avoir pris connaissance du refus de sa libération.
Le 4 mai 1942, il est remis aux autorités d’occupation à leur demande et transféré au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), Frontstalag 122 – Polizeihaftlager.
Entre fin avril et fin juin 1942, Léon Truffert est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Léon Truffert est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46161 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Après l’enregistrement, les 1170 arrivants sont entassés dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau où ils sont répartis dans les Blocks 19 et 20. Le 10 juillet, après l’appel général et un bref interrogatoire, ils sont envoyés aux travail dans différents Kommandos.
Le 13 juillet – après cinq jours passés par l’ensemble des “45000” à Birkenau – Léon Truffert est dans la moitié des membres du convoi qui est ramenée au camp principal (Auschwitz-I) après l’appel du soir.
Portail de l’entrée principale d’Auschwitz-I , le « camp souche ».
« Arbeit macht frei » : « Le travail rend libre »
Carte postale. Collection mémoire Vive.À une date inconnue, il est admis au Block 21a (chirurgie) de l’hôpital [1].
Léon Truffert meurt à Auschwitz le 16 août 1942, selon les registres du camp ; cinq semaines après l’arrivée de son convoi.
Le 13 mai 1946, sur un formulaire à en-tête de L’Amicale d’Auschwitz (FNDIRP), Eugène Garnier, de Flers (Orne), rescapé de son convoi, certifie sur l’honneur que Léon Truffert est mort au camp d’Auschwitz « en septembre 1942 après avoir contracté le typhus ». Le 18 mai 1946, Lucien Penner, de Vanves (Seine / Hauts-de-Seine), autre rescapé du convoi, certifie également le décès de Léon Truffert à Auschwitz, mais de manière encore plus imprécise : « à la fin d’année 1942 ». Le 18 juin, Geneviève Truffert transmet ces certificats au ministère des Anciens combattants et Victimes de guerre afin d’obtenir un avis officiel de décès lui permettant de toucher une pension de veuve.
Le 19 octobre 1946, en se fondant sur le témoignage d’Eugène Garnier, l’officier d’état civil du ministère des ACVG fixe officiellement la date du décès de Léon Truffert à la moitié du mois, soit le 15 septembre 1942. Demande est envoyée aussitôt au maire de Tourlaville d’en effectuer la transcription sur le registre d’état civil, ce qui est fait le 9 novembre 1946 (acte n° 28777).
Le 23 décembre 1946, Madame veuve Truffert rempli un formulaire de « demande d’inscription de la mention “Mort pour la France” sur l’acte de décès d’un déporté politique ». Le 12 mars 1947, le ministère écrit au maire de Tourlaville pour lui demander l’apposition de cette mention, effectuée une semaine plus tard.
Le 9 décembre 1949, André Defrance, capitaine FFI, « certifie sur l’honneur que feu Monsieur Truffert Léon prit une part active à la lutte menée par les organisations de Résistance en vue de la libération du territoire national. Membre du Parti communiste français, il donna par la suite son adhésion au Front national dès la création de ce large mouvement de libération. Il propagea mots d’ordre, instructions et directives émanant des organisations nationales et reçus au cours de réunions clandestines. Il répartit et diffusa les publications patriotiques les plus diverses et maintint un contact permanent avec les militants “illégaux”, dont j’étais, avec lesquels il était en liaison. »
Le 12 décembre, Geneviève Truffert remplit un formulaire de « demande d’attribution du titre de Déporté-Résistant ».
Le 3 juin 1950, elle remplit un formulaire de « demande d’attribution de grade d’assimilation de validation des services et campagnes […], présentée par un Déporté […] de la Résistance ».
Le 25 octobre 1951, la commission départementale du ministère des ACVG émet un avis défavorable à l’attribution du titre de Déporté-Résistant. Le 15 décembre 1953, le ministre des Anciens combattants et Victimes de guerre rejette à son tour la demande et, le 4 janvier 1954, le bureau des fichiers et de l’état civil-déporté écrit à Geneviève Truffert pour lui faire connaître que celle-ci « n’a pu être recueillie favorablement ». Il lui adresse la carte de déporté politique n° 1103 08455.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de Léon Truffert (J.O. du 3-06-2001).
Sources :
Son nom (orthographié « FRULLERT Léo ») et son matricule figurent sur la Liste officielle n°3 des décédés des camps de concentration d’après les archives de Pologne, éditée le 26 septembre 1946 par le ministère des anciens combattants et victimes de guerre, page 60.
De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Évrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Claudine Cardon-Hamet page 131.
Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 366 et 422.
Archives départementales de la Manche (AD 50), site internet, archives en lignes, registres des matricules militaires, bureau de recrutement de Cherbourg, classe 1921, n° 1001-1496 (cote 1 R 1/205), matricule 1463 (vue 357/384).
Archives départementales de l’Eure, Évreux, camp de Gaillon, dossier individuel (cote 89w14), recherches de Ginette Petiot (message 05-2014).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 1, cahier photos pages 92* et 93* (reproduction de la liste des prisonniers morts sur le registre d’appel) et 94* ; tome 3, page 1258 (22351/1942).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen ; dossier de Léon Truffert (cote 92.275 et 21 p 545 364), recherches de Ginette Petiot (message 03-2015).
Jean-Claude Defrance, fils d’André Defrance, copie de l’attestation d’appartenance au Front national et correctif (messages 01 et 02-2016).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 3-02-2016)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.
[1] L’hôpital d’Auschwitz-I, en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”. Mais les “31000” et Charlotte Delbo ont connu et utilisé le terme “Revier” : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient « révir », car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.