René, Bernard, Raoul, Vasnier naît le 16 juin 1916, à Bayeux (Calvados – 14), chez ses parents, Charles Edmond Vasnier, 38 ans, monteur en téléphone, et Berthe Marie Henriette Cauvet, 41 ans, son épouse, domiciliés au 102, rue Saint-Loup, près de l’octroi. René restera fils unique…
En 1931, la famille habite toujours à cette adresse.
En 1936, le père de famille, âgé de 59 ans et ayant sans doute pris sa retraite d’agent des Postes et Télécommunications, s’est installé avec son épouse sur la commune de Fleury-sur-Orne d’où celle-ci est native (l’ancienne commune d’Allemagne, limitrophe de Caen, rebaptisée au cours de la Première guerre mondiale), au lieu-dit Mont Barbey. Âgé de 20 ans, leur fils René vit toujours avec eux. À la rubrique “Profession”, il est inscrit « Néant » pour chacun d’eux !
Au moment de son arrestation, René Vasnier est domicilié dans la petite commune de Cheux, 8 kilomètres au nord d’Évrecy et 12 kilomètres à l’ouest de Caen (14).
Le 3 mai 1942, il est arrêté comme otage communiste à la suite du déraillement d’un train de permissionnaires allemands à Moult-Argences (Airan) [1]. Il est certainement parmi les détenus qui sont passés par le “petit lycée” de Caen avant d’être transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), Frontstalag 122 – Polizeihaftlager, le 4 ou le 9 mai.
Entre fin avril et fin juin 1942, René Vasnier est sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande (en application d’un ordre de Hitler).
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, René Vasnier est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46181 (aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172).
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, René Vasnier est dans la moitié des déportés du convoi sélectionnés pour rester dans ce sous-camp, alors que les autres sont ramenés à Auschwitz-I.
Le 18 novembre 1942, il est présent au Block 1 de l’hôpital des détenus (Revier) [2] de Birkenau, où son nom est inscrit sur le registre d’administration des (rares) médicaments ; ce jour-là, il reçoit trois comprimés d’aspirine. Le 21 novembre, il reçoit deux comprimés de Pyramidon. Le 7 décembre, il reçoit 15 gouttes d’Anisine [3]. Son nom n’apparaît plus dans les pages suivantes de ce registre…
On ignore la date exacte de la mort de René Vasnier, probablement avant la mi-mars 1943 ; il a environ 26 ans.
Son père, Charles Edmond Vasnier, décède à Fleury-sur-Orne le 1er décembre 1942.
Le 20 mars 1947, par un jugement déclaratif officialisant la mort de René Vasnier, le tribunal civil de Caen « déclare constant le décès survenu entre le 7 mai 1942 et le 1er juillet 1946 ».
Le nom de René Vasnier est inscrit sur le Monument aux Morts de Fleury-sur-Orne, situé rue François Mitterand près de l’école Jean Goueslard.
Le 26 août 1987, à Caen, suite aux démarches de David Badache, rescapé caennais du convoi (matr. 46267), est inaugurée une stèle apposée par la municipalité sur la façade de l’ex-Petit Lycée, côté esplanade Jean-Marie Louvel, en hommage aux otages déportés le 6 juillet 1942.
Le nom de René Vasnier est inscrit en fin de liste sur la plaque commémorative dévoilée le 19 décembre 2008 sur le pignon de l’ex-Petit Lycée de Caen, côté avenue Albert Sorel, afin de rendre hommage à tous les otages calvadosiens déportés suite à la répression de mai 1942.
Notes :
[1] Le double déraillement d’Airan et les otages du Calvados : Dans la nuit du 15 au 16 avril 1942, le train quotidien Maastricht-Cherbourg transportant des permissionnaires de la Wehrmacht déraille à 17 kilomètres de Caen, à l’est de la gare de Moult-Argence, à la hauteur du village d’Airan, suite au déboulonnement d’un rail par un groupe de résistance. On compte 28 morts et 19 blessés allemands.
L’armée d’occupation met en œuvre des mesures de représailles importantes, prévoyant des exécutions massives d’otages et des déportations. Le préfet du Calvados obtient un sursis en attendant les conclusions de l’enquête de police. Mais, faute de résultats, 24 otages choisis comme Juifs et/ou communistes sont fusillés le 30 avril, dont deux à Caen.
Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, un deuxième déraillement a lieu, au même endroit et par le même procédé. Un rapport allemand signale 10 morts et 22 blessés parmi les soldats. Ces deux déraillements sont au nombre des actions les plus meurtrières commises en France contre l’armée d’occupation.
Au soir du deuxième attentat – à partir de listes de communistes et de juifs (130 noms sur le département) transmises au préfet par le Feldkommandant – commence une vague d’arrestations, opérées par la police et la gendarmerie françaises avec quelques Feldgendarmes. Dans la nuit du 1er au 2 mai et le jour suivant, 84 hommes au moins sont arrêtés dans le Calvados et conduits en différents lieux de détention. Pour le commandement militaire allemand, ceux qui sont maintenu en détention ont le statut d’otage.
Tous les hommes désignés n’ayant pu être arrêtés, une autre vague d’arrestations, moins importante, a lieu les 7 et 8 mai. Le préfet du Calvados ayant cette fois-ci refusé son concours, ces arrestations d’otages sont essentiellement opérées par la Wehrmacht (Feldgendarmes).
Au total plus de la moitié des détenus de ce début mai sont, ou ont été, adhérents du Parti communiste. Un quart est désigné comme Juif (la qualité de résistant de certains n’est pas connue ou privilégiée par les autorités). Des auteurs d’actes patriotiques, proches du gaullisme, sont également touchés par la deuxième série d’arrestations.
Tous passent par le “petit lycée”, contigu à l’ancien lycée Malherbe (devenu depuis Hôtel de Ville), où ils sont rapidement interrogés.
Le 4 mai, 48 détenus arrêtés dans la première rafle sont transférés en train au camp de police allemande de Compiègne-Royallieu ; puis d’autres, moins nombreux, jusqu’au 9 mai (19 ce jour-là).
Les 8 et 9 mai, 28 otages communistes sont fusillés, au Mont-Valérien (Seine / Hauts-de-Seine) pour la plupart (trois à Caen). Le 14 mai, onze otages communistes sont encore fusillés à Caen.
La plus grande partie des otages du Calvados transférés à Compiègne sera déportée à Auschwitz le 6 juillet 1942 : 57 politiques et 23 Juifs (près de la moitié des otages juifs du convoi).
[2] L’hôpital d’Auschwitz : en allemand Krakenbau (KB) ou Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus. Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation “KB”.
Mais les “31000” et Charlotte Delbo – qui ont connu l’hôpital de Birkenau – ont utilisé le terme “Revier” : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. », Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.
[3] Pyramidon : « médicament antinévralgique et antifébrile dérivé de l’antipyrine » (Larousse médical 1926). Anisine : médicament bactéricide.
Sources :
De Caen à Auschwitz, par le collège Paul Verlaine d’Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l’association Mémoire Vive, éditions Cahiers du Temps, Cabourg (14390), juin 2001, notice par Claudine Cardon-Hamet page 125.
Cl. Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 74 et 75, 361 et 422.
Jean Quellien (1992), sur le site non officiel de Beaucoudray, peut-être extrait de son livre Résistance et sabotages en Normandie, paru aux éditions Corlet.
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : H. Krakenbau Birkenau, Medikementen Verbrauch vom 1-11-42 bis…, photocopies (26 p 851).
Site Mémorial GenWeb, Fleury-sur-Orne, relevé de Christophe Delassalle (10/2007).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 17-03-2024)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.