Albert, Auguste, Vorger-Levant naît le 19 mai 1905 à Bagnolet [1] (Seine / Seine-Saint-Denis – 93), chez ses parents, Victor Emmanuel Vorger-Levant, 36 ans, tourneur sur bois, et Marie Barbe Laforce, 34 ans, journalière (décédée au moment de son arrestation), domiciliés au 97 rue Victor-Hugo (peut-être un petit pavillon, aujourd’hui disparu) ; pour l’enregistrement du nouveau-né à l’état civil, les témoins sont deux ébénistes. Albert à – au moins – deux sœurs ainées : Georgette, née le 15 avril 1899, et Fernande, née le 5 décembre 1902, toutes deux à Bagnolet. Et une sœur plus jeune, Louise, née le 30 mai 1911 à la maternité de l’hôpital Tenon (Paris 20e).
Le 10 novembre 1912, leur père meurt prématurément, âgé de 44 ans, au domicile familial (à 11 heures) ; décès déclaré à la mairie de Bagnolet par son beau-frère, Alexandre Champagne, domicilié au 18 rue des Vignoles à Paris 20e. Albert a 7 ans et demi. Ensuite, il ne reste probablement pas longtemps sur les bancs de l’école : il sait lire et écrire, mais ne semble pas avoir passé le certificat d’études primaires.
À 17 ans (1922), Albert Vorger-Levant est détenu à la petite prison de Meaux (Seine-et-Marne) ; le juge d’instruction de cette ville le remet à la garde d’une de ses sœurs.
Devenu adulte, c’est un homme assez grand pour l’époque : 1,79 m.
Pendant un temps, il habite avec sa mère – et probablement sa jeune sœur Louise – au 30, rue du Sergent-Godefroy à Montreuil, et commence à travailler comme manœuvre.
À 20 ans, devant d’accomplir son service militaire à compter du 10 mai 1925, Albert Vorger-Levant est incorporé au 30e régiment d’artillerie de campagne hippomobile (RACH) qu’il rejoint deux jours après (à Orléans ?). Le 29 octobre 1926 – un an et demi plus tard -, il est « renvoyé dans ses foyers », titulaire d’un certificat de bonne conduite.
C’est peut-être alors qu’il travaille comme ouvrier blanchisseur.
En mars 1927, il habite au 104, rue Roublot à Fontenay-sous-Bois (Seine / Val-de-Marne – 94).
Le 29 octobre 1927, à la mairie de Vincennes (94), Albert Vorger-Levant épouse Marcelle Belin, 26 ans, née le 4 octobre 1901 à Paris 11e, blanchisseuse. Pendant un temps, le couple habite au 209, rue de Fontenay à Vincennes. En avril 1929, ils sont au 10, rue de Bagnolet, toujours dans cette commune. En février 1931, ils demeurent au 8, place des Marchés à la Fère (Aisne). Deux ans plus tard, en février 1933, ils se sont de nouveau rapprochés de la capitale et habitent au 26, rue Lebour, à Montreuil-sous-Bois (93). Albert et Marcelle ont deux enfants : Robert, né le 27 janvier 1930 à la Fère, et Micheline, née le 10 décembre 1933 à Paris 12e, peut-être dans la maternité d’un hôpital, car la famille habite toujours à Montreuil, alors au 121, boulevard de Chanzy. En juillet 1935, ils ont encore déménagé et sont logés au 55, rue de Paris, dans la même commune.
Du 17 septembre au 7 octobre, l’armée rappelle Albert Vorger-Levant comme réserviste pour une période d’exercices militaires au 30e RACH.
Albert Vorger-Levant est ouvrier métallurgiste. Le 27 décembre 1935, il est embauché comme affûteur-outilleur aux usines Citroën, quai de Javel à Paris 15e. Il adhère à l’Union syndicale des travailleurs métallurgistes et similaires de la région parisienne (CGT) et à la cellule d’entreprise du Parti communiste : la direction le considère comme un élément actif du PC.
À partir du 15 avril 1936, la famille est domiciliée dans un logement d’un petit immeuble de cinq étages au 102, rue Marceau à Montreuil-sous-Bois [1] (93). En 1938, Albert Vorger-Levant adhère à la cellule de la rue Beaumarchais de cette commune.
Du 18 avril au 2 mai 1937, l’armée le rappelle comme réserviste pour une période d’exercices militaires au 32e RACH.
Le 2 septembre 1939, lors de l’entrée en guerre, Albert Vorger-Levant est mobilisé comme affecté spécial sur son poste de travail aux usines Citroën, qui produisent alors pour la Défense nationale. Le 27 novembre suivant, il est rayé de l’affectation spéciale et rejoint le dépôt d’artillerie n° 21 le 2 décembre : il est « aux armées » du 16 mai au 25 juin 1940. Le 18 juillet suivant, n’ayant pas été fait prisonnier de guerre, il est « renvoyé dans ses foyers ».
Au retour, continuant à faire partie du personnel Citroën, Albert Vorger-Levant reste en attente d’emploi et touche des indemnités de chômage.
Le 23 septembre, un rapport rédigé par les Renseignements généraux (RG) de la préfecture de police relate qu’une voisine de son immeuble l’a surpris au moment où il glissait sous sa porte un tract de propagande communiste.
Le 18 décembre, les RG le désignent comme animateur du Comité populaire des ouvriers chômeurs des usines Citroën (en attente de leur emploi) et propagandiste communiste. La fouille opérée sur lui par deux inspecteurs amène la découverte de deux tracts relatifs aux revendications du dit comité, et la perquisition de son domicile permet de trouver six tracts clandestins. Il est néanmoins relaxé.
Le 14 mars 1941, le commissaire de police de la circonscription de Montreuil-sous-Bois effectue des perquisitions chez trois habitants suspectés de se livrer à une activité communiste interdite, dont Albert Vorger-Levant . Mais, « En dehors de quelques brochures (certainement antérieures à l’interdiction du PC), il n’ a été découvert aucun objet suspect. »
Albert Vorger-Levant est alors en relation militante clandestine avec Lucien Chrétien, 32 ans, responsable de l’« agitation-propagande » à Montreuil, et Edmond Van De Putte, 44 ans.
Le 10 mai suivant en fin d’après-midi, ce “triangle” se réunit dans un café de Montreuil, au coin de la rue de Paris et de la rue Marceau (à l’opposé de chez Albert) [2], afin de définir ses prochaines actions, quand surgissent environ huit policiers en civil, revolver au poing, qui leur passent les menottes avant de les conduire en voiture au commissariat de Montreuil. Rapidement, une perquisition est opérée au domicile de chacun d’eux. Chez les deux autres, aucun matériel ou document compromettant n’est découvert et ils déclarent s’être trouvés dans le café par hasard. Mais, chez Albert Vorger-Levant, les policiers trouvent, dans un sac à provisions accroché au mur de la cuisine, « 40 carnets de 10 tickets chacun de l’Union des Comités populaires d’anciens combattants de la banlieue-Est de Paris », portant le slogan « Unissons-nous pour l’aide aux victimes de la guerre, aux prisonniers, et à leurs familles ».
Au commissariat de Montreuil, les trois hommes sont interrogés presque toute la nuit. Ultérieurement, l’un d’eux témoignera avoir été interrogé rudement sans être frappé, mais avoir entendu Albert Vorger-Levant crier à plusieurs reprises. Lors de son interrogatoire, celui-ci déclare seulement avoir reçu ces tickets de solidarité d’un individu dont il ne peut donner le nom, « avec mission de les placer dans son entourage ». Ses deux camarades seront relaxés, faute de preuve.
Deux jours plus tard, le 12 mai, Albert Vorger-Levant est conduit au dépôt de la préfecture de police (Conciergerie, sous-sol du Palais de Justice, île de la Cité), puis, inculpé d’infraction au décret du 26 septembre 1939, il est écroué à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Dans la deuxième quinzaine de mai, enfermé dans la même cellule que Léon Pêcheux et Pierre Demerlé, à la 13e division, ils sollicitent ensemble leur « mise au régime politique ».
- Palais de Justice de Paris, île de la Cité, Paris 1er.
Tribunal correctionnel, un des porches du rez-de-chaussée.
(montage photographique)
Le 21 mai, Albert Vorger-Levant comparaît – seul – devant la 12e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine qui le condamne à dix mois d’emprisonnement. Il se pourvoit en appel auprès du procureur de la République.
Le 3 juin, il est transféré à l’établissement pénitentiaire de Fresnes (Seine / Val-de-Marne) ; n° d’écrou “ correction homme” 8345.
Le 9 août, la Cour d’appel de Paris confirme la condamnation, et son pourvoi en cassation est rejeté le 18 décembre.
En octobre, Marcelle Vorger-Levant déménage avec leurs enfants au 171 bis, rue Championnet à Paris 18e.
À l’expiration de sa peine, le 27 décembre 1941, ayant bénéficié d’une remise de celle-ci, Albert Vorger-Levant n’est pas libéré : le préfet de police signe l’arrêté ordonnant son internement administratif au camp de Rouillé (Vienne) en application du décret du 18 novembre 1939.
En attendant son transfert, Albert Vorger-Levant est ramené au dépôt de la préfecture de police.
Le 3 janvier 1942, il fait partie d’un groupe de 38 internés politiques (parmi lesquels 16 futurs “45000”) et 12 “indésirables” (droit commun) extraits du dépôt et transférés au “centre de séjour surveillé” (CSS) de Rouillé. Ils sont conduits en car, sous escorte, jusqu’à la gare d’Austerlitz où les attend un wagon de voyageurs réservé (10 compartiments ; départ 7h55 – arrivée 18h51).
Lors de sa détention, Albert Vorger-Levant suit des cours d’allemand donnés par un co-détenu (ses cahiers de cours seront renvoyés à sa famille).
Le 22 mai 1942, Albert Vorger-Levant fait partie d’un groupe de 156 internés – dont 125 seront déportés avec lui – remis aux autorités d’occupation à la demande de celles-ci et conduits au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager).
Le trajet dure au total une cinquantaine d’heures. Non ravitaillés en eau, les déportés souffrent particulièrement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Albert Vorger-Levant est enregistré à Auschwitz sous le numéro 46202 (sa photo d’immatriculation n’a pas été retrouvée).
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Albert Vorger-Levant est très probablement dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp. En effet, peu avant son décès, il est admis au Block 20 (maladies contagieuses) de l’hôpital du camp.
Albert Vorger-Levant meurt à Auschwitz le 14 août 1942, selon trois registres du camp (Leichenhalle, Stärkebuch, Sterbebücher) ; cinq semaines après l’arrivée de son convoi. L’acte de décès établi par l’administration SS du camp indique pour cause de sa mort « typhus » exanthématique (Fleckfieber), ce qui est plausible… sans être certain.
À l’automne 1943, Marcelle Vorger-Levant sollicite le vice-président du Conseil municipal de Paris afin d’obtenir des nouvelles de son mari, dont elle est sans nouvelles depuis le transfert de celui-ci au camp allemand de Compiègne, et qu’elle suppose déporté. Le 24 novembre, le notable parisien transmet cette requête à Fernand (de) Brinon, ambassadeur, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés. Le 14 décembre, les services de la Délégation, siégeant place Beauveau (Paris 8e), écrivent au préfet de police pour lui demander de leur transmettre tous les renseignements possibles.
Notes :
[1] Bagnolet et Montreuil-sous-Bois : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, ces communes font partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne”, dont la “ceinture rouge” des municipalités dirigées par des maires communistes (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] Un café – Le Marceau – existe toujours (2019) au coin de la rue de Paris – n° 137 – et de la rue Marceau.
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 385 et 423.
Cl. Cardon-Hamet, notice in 60e anniversaire du départ du convoi des 45000, brochure répertoriant les “45000” de Seine-Saint-Denis, éditée par la Ville de Montreuil et le Musée d’Histoire vivante, 2002, page 32.
Isabelle Vorger-Levant, questionnaire (10-2006), photographie.
Archives départementales de Seine-Saint-Denis, site internet, archives en ligne : registre des naissances de Bagnolet 1904-1905 (BAG NC1), année 1905, acte n° 94 (vue 96/132).
Archives de Paris : archives du tribunal correctionnel de la Seine, rôle du greffe du 28 mars au 5 juin 1941 (D1u6-5855) ; registres matricules du recrutement militaire, classe 1925, 4e bureau de la Seine, matricule n° 1071 (D4R1 2573).
Archives Départementales du Val-de-Marne : Prison de Fresnes, registre d’écrou n° 151, “correction hommes” du 20 avril au 7 juillet 1941 (2742w18).
Archives de la préfecture de police (Seine / Paris), Service de la mémoire et des affaires culturelles, le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) : cartons “occupation allemande”, camps d’internement… (BA 2374) ; archives des Renseignements généraux de la préfecture de police (consultation sur écran), brigade spéciale anticommuniste, registre des affaires traitées 1940-1941 (G B 29) ; dossier individuel du cabinet du préfet (1 W 727-27837) ; dossier individuel des Renseignements généraux (77 W 1439-13574) ; dossiers d’épuration de l’ex-inspecteur Raymond L. (KB 66 et KB 177).
Mémorial de la Shoah, Paris, archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; liste XLI-42, n° 182.
Archives départementales de la Vienne : camp de Rouillé (109W75).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1280.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Office for information on former prisoners) : acte de décès à Auschwitz (20 869/1942/1942), extrait du registre d’appel, extrait du relevé clandestin du registre de la morgue).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, Caen ; dossier individuel (21 P 548-570), recherches de Ginette Petiot (message 06-2016).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 19-09-2019)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.