Émile, Charles, Billoquet, né le 13 novembre 1908 à Oissel (Seine-Maritime), domicilié à Oissel, mort à Auschwitz le 15 septembre 1942.
Émile, Charles, Billoquet naît le 13 novembre 1908 à Oissel (Seine-Inférieure / Seine-Maritime [1]), fils de Georges Billoquet, 33 ans, frappeur à la Compagnie des Chemins de fer de l’Ouest, et de Louise Augustine Lebourg, 30 ans, son épouse, parents d’une nombreuse famille, dont Génius, né en 1902, Louise Eugénie, née en 1906, Georgette, née en 1911. Le 29 mars 1916, leur père décède prématurément, âgé de 41 ans, et ses enfants deviennent pupilles de la Nation.
En 1921, âgé de 14 ans et demi, Émile Billoquet est apprenti ajusteur chez un serrurier.
De la classe 1928, il devrait commencer son service militaire à la fin de cette année, et la terminer l’année suivante (à vérifier…).
Le 17 novembre 1930, il est embauché comme ajusteur par la Compagnie de chemin de fer de l’État qui fusionnera avec d’autres au sein de la SNCF début 1938 [2]. Il a un cousin également cheminot : Maurice Billoquet, né en 1893 à Orléans.
En 1931, Émile Billoquet vit encore chez sa mère au 5, grande rue de l’Église, à Oissel, avec sa sœur Georgette, chapelière, leur grand-mère maternelle Augustine, 77 ans, et une petite « pensionnaire » de 3 ans.
Au moment de son arrestation, Émile Billoquet habite toujours à cette adresse. Il est alors marié avec Noélie, Clémence, Brémond, et ils ont un enfant.
Émile Billoquet est serrurier-ajusteur aux ateliers SNCF des Quatre-Mares à Sotteville-les-Rouen, où travaille également Gérard Marti.
Le 10 janvier 1938, le préfet de Seine-Inférieure demande au commissaire spécial de police de Rouen de faire procéder à une enquête discrète sur le Parti communiste dans l’arrondissement de Rouen, en vue de le renseigner exactement sur le siège des sections et des cellules, leurs dirigeants et leurs principaux membres (enquête qui compléterait celle de 1934-1935). Quatre jours plus tard, le commissaire de police de Sotteville rend son rapport au commissaire spécial : la cellule des ateliers des Quatre Mares, qui se trouve plutôt sur le territoire de Saint-Étienne-du-Rouvray, réunit 183 adhérents. Maurice Billoquet en est le secrétaire et Auguste Lépine le trésorier.
Avant la guerre, Émile Billoquet est trésorier de la section locale des Amis de l’Union Soviétique (A.U.S.), également actif au sein du Secours rouge international.
Après l’interdiction du Parti communiste, trois perquisitions successives opérées par la police française à son domicile amènent la découverte de tracts de l’A.U.S.
Le 7 octobre 1939, le commissaire spécial de Rouen transmet à tous les commissaires de Seine-Inférieure, et à certains maires, une circulaire leur demandant de lui « fournir, dès que possible, la liste des principaux militants du Parti communiste qui faisaient partie des cellules de (leur) ville ou circonscription » en indiquant, nom, prénoms, âge si possible, profession, domicile et « situation actuelle (présent ou mobilisé) ». Sur la liste de sept militants qu’il renvoie, le commissaire de police de la circonscription de Saint-Étienne-du-Rouvray inscrit Émile Billoquet, « employé de la SNCF mobilisé à Petit-Quevilly ».
Lors de l’exode de juin 1940, Émile Billoquet reste à son poste professionnel dans l’atelier des Quatre-Mares.
À une date restant à préciser, un inspecteur de police spéciale rédige un rapport selon lequel « Billoquet Émile […] doit toujours être considéré comme étant capable, le cas échéant, de prendre la tête d’un mouvement en vue d’associations susceptibles de s’affilier au parti dissous. […] C’est lui qui aurait reçu l’ordre de se rendre périodiquement à Paris pour aller chercher les tracts qui sont distribués à Oissel et région… ».
Le 4 août 1941, répondant à une note du préfet de Seine-Inférieure datée du 22 juillet, le commissaire principal de police spéciale de Rouen transmet à celui-ci une liste nominative de 159 militants et militantes communistes de son secteur dont il préconise de prononcer l’internement administratif dans un camp de séjour surveillé, tous anciens dirigeants ou militants convaincus ayant fait une propagande active et soupçonnés de poursuivre leur activité clandestinement et « par tous les moyens ». Parmi eux, Émile Billoquet. Ces informations parviennent au service de renseignement de la SS [3] (fiche d’otage)…
Le 22 octobre 1941, Émile Billoquet est arrêté dans le cadre d’une vague d’arrestations.
À une date restant à préciser, il est interné au camp allemand de Royallieu à Compiègne [4] (Oise), administré et gardé par la Wehrmacht (Frontstalag 122 – Polizeihaftlager) avant le 29 octobre, selon une liste d’otages établie par la Feldkommantantur 517 de Rouen. Enregistré sous le matricule n° 1889, il est affecté pendant un temps (en avril) au bâtiment A3, chambrée 10.
Le 8 décembre 1941, il figure sur une liste de 28 communistes à « transférer vers l’Est », établie par la Felkommandantur de Rouen. Le 9 février 1942, il est inscrit sur une liste d’otages pouvant être fusillés en représailles d’attentats commis à Elbeuf et à Rouen.
D’après une signature portée sur un menu du repas de Noël 1941, Émile Billoquet serait alors assigné au bâtiment A2, chambre 8, avec Jean Binard, Michel Bouchard, Honoré Brieu, Albert Champin, Émile Fromentin, Marcel Le Dret et Julien Villette.
Entre fin avril et fin juin 1942, Émile Billoquet est définitivement sélectionné avec plus d’un millier d’otages désignés comme communistes et une cinquantaine d’otages désignés comme juifs dont la déportation a été décidée en représailles des actions armées de la résistance communiste contre l’armée allemande, en application d’un ordre de Hitler.
Le 6 juillet 1942 à l’aube, les détenus sont conduits à pied sous escorte allemande à la gare de Compiègne, sur la commune de Margny, et entassés dans des wagons de marchandises. Le train part une fois les portes verrouillées, à 9 h 30.
Tergnier, Laon, Reims… Châlons-sur-Marne : le train se dirige vers l’Allemagne. Ayant passé la nouvelle frontière, il s’arrête à Metz vers 17 heures, y stationne plusieurs heures puis repart à la nuit tombée : Francfort-sur-le-Main (Frankfurt am Main), Iéna, Halle, Leipzig, Dresde, Gorlitz, Breslau… puis la Pologne occupée. Le voyage dure deux jours et demi. N’étant pas ravitaillés en eau, les déportés souffrent principalement de la soif.
Le 8 juillet 1942, Émile Billoquet est enregistré au camp souche d’Auschwitz (Auschwitz-I) sous le numéro 46218. Aucune photo de détenu de ce convoi n’a été retrouvée après le matricule 46172.
Après les premières procédures (tonte, désinfection, attribution d’un uniforme rayé et photographie anthropométrique), les 1170 arrivants sont entassés pour la plupart dans deux pièces nues du Block 13 où ils passent la nuit.
Le lendemain, vers 7 heures, tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau ; alors choisi pour mettre en œuvre la « solution finale » – le génocide des Juifs européens -, ce site en construction présente un contexte plus meurtrier pour tous les concentrationnaires. À leur arrivée, les “45000” sont répartis dans les Blocks 19 et 20 du secteur B-Ib, le premier créé.
Le 10 juillet, après l’appel général, ils subissent un bref interrogatoire d’identité qui parachève leur enregistrement et au cours duquel ils déclarent une profession (celle qu’ils exerçaient en dernier lieu ou une autre, supposée être plus “protectrice” dans le contexte du camp). Puis ils sont envoyés au travail dans différents Kommandos. L’ensemble des “45000” passent ainsi cinq jours à Birkenau.
Le 13 juillet, après l’appel du soir, Émile Billoquet est dans la moitié des déportés du convoi ramenée au camp principal (Auschwitz-I), auprès duquel fonctionnent des ateliers où sont affectés des ouvriers ayant des qualifications utiles au camp.
Pendant un temps, il est assigné au Block 4 du “camp souche”.
Il meurt à Auschwitz le 15 septembre 1942, d’après deux registres du camp tenus par l’administration SS.
Il est déclaré “Mort pour la France” (18/7/1947). La mention “Mort en déportation” est apposée sur son acte de décès (J.O. du 10-09-1987).
À une date restant à préciser, le Conseil municipal d’Oissel donne le nom d’Émile Billoquet à une rue de la commune.
Son nom est également inscrit sur le monument aux morts SNCF des ateliers des Quatre-Mares de Sotteville-les-Rouen.
Son nom est également parmi ceux des 218 militant.e.s inscrit.e.s sur plusieurs plaques apposées dans la cour du siège de la fédération du PCF, 33 place du Général-de-Gaulle à Rouen, avec un extrait d’un poème de Paul Éluard (Enterrar y callar) : « Frères, nous tenons à vous. Nous voulons éterniser cette aurore qui partage votre tombe blanche et noire, l’espoir et le désespoir. », et sous une statue en haut-relief dont l’auteur reste à préciser.
Notes :
[1] Seine-Maritime : département dénommé “Seine-Inférieure” jusqu’en janvier 1955.
[2] La SNCF : Société nationale des chemins de fer français. À sa création, suite à une convention validée par le décret-loi du 31 août 1937, c’est une société anonyme d’économie mixte, créée pour une durée de 45 ans, dont l’État possède 51 % du capital.
[3] SD : Sichereitsdienst, service de renseignement de la SS, travaillant avec la Gestapo (police de sécurité).
[4] Sous contrôle militaire allemand, le camp de Royallieu a d’abord été un camp de prisonniers de guerre (Frontstalag 122), puis, après l’invasion de l’URSS, un « camp de concentration permanent pour éléments ennemis actifs ». À partir de septembre 1941, on y prélève – comme dans les autres camps et prisons de zone occupée – des otages à fusiller. À partir du 12 décembre 1941, un secteur du sous-camp “C” est réservé aux Juifs destinés à être déportés à titre de représailles. Le camp des Juifs est supprimé le 6 juillet 1942, après le départ de la plupart de ses internés dans le convoi transportant les otages communistes vers Auschwitz. Les derniers détenus juifs sont transférés au camp de Drancy (Seine / Seine-Saint-Denis).
Sources :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942, Éditions Autrement, collection mémoires, Paris 2005, pages 377 et 395.
Cl. Cardon-Hamet, notice pour l’exposition de Mémoire Vive sur les “45000” et “31000” de Basse-Normandie (2000), citant : Archives de la Mairie d’Oissel (1/6/1992) – Liste de Louis Eudier (45523), annexes p. 56 – Centre de documentation juive contemporaine (CDJC), Paris ; liste d’otages – Fernand Grenier, Ce bonheur-là, éditions sociales, 2e trim. 1974, page 340.
Paul Le Goupil, du convoi des tatoués (matricule 185899), Mémorial des Français non-juifs déportés à Auschwitz, Birkenau et Monowitz, ces 4500 tatoués oubliés de l’Histoire, page 15.
Archives départementales de Seine-Maritime, Rouen : cabinet du préfet 1940-1946, individus arrêtés par les autorités de Vichy ou par les autorités d’occupation, dossiers individuels de Aa à Bl (51 W 410), recherches conduites avec Catherine Voranger, petite-fille de Louis Jouvin (“45697”).
Mémorial de la Shoah, Paris, site internet, Archives du Centre de documentation juive contemporaine (CDJC) ; doc. XLIII-56 et XLIII-66.
Archives nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine : Archives restituées par la Russie, commissariat spécial de Rouen 1920-1940 (20010223/2, doc. 96-98).
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 92 (30657/1942).
Site du Groupe Archives Quatre-Mares (GAQM).
Base de données des archives historiques SNCF : service central du personnel, agents déportés déclarés décédés en Allemagne (en 1947), de A à Q (0110LM0108).
Cheminots victimes de la répression 1940-1945, mémorial, ouvrage collectif sous la direction de Thomas Fontaine, éd. Perrin/SNCF, Paris, mars 2017, pages 184-185.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 24-12-2020)
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En hommage à Roger Arnould (1914-1994), Résistant, rescapé de Buchenwald, documentaliste de la FNDIRP qui a initié les recherches sur le convoi du 6 juillet 1942.