Comment et pourquoi un Breton natif de Tourch a-t-il pu être déporté à Auschwitz-Birkenau et y mourir au cours de l’hiver 1943 ?
Dans l’entre deux guerres, nombreux sont les enfants d’agriculteurs de Bretagne qui doivent quitter les trop petites exploitations familiales pour aller en ville afin de subvenir à leurs besoins. Beaucoup partent alors comme ouvriers vers la capitale et sa banlieue, y rencontrant d’autres travailleurs déjà organisés en syndicats afin de défendre leurs conditions de vie et de travail. Ces “immigrants de l’intérieur” habitent souvent dans des communes dirigées par des municipalités “ouvrières” et, constatant l’effort de redistribution sociale mis en œuvre par celles-ci, sont convaincus de la justesse d’une telle politique. Demeurés fidèles à cet engagement pendant la guerre, certains sont arrêtés par la police française qui finit par les livrer à l’armée d’occupation afin que celle-ci en fasse des otages, bons pour la fusillade ou la déportation.
C’est le destin – entre autres – de Christophe Le Meur, parti de Tourch à 18 ans.
Dans le livre de Claudine Cardon-Hamet, Triangles Rouges à Auschwitz, on entend la voix de nombreux déportés du convoi du 6 juillet 1942, mais pas celle de Christophe Le Meur, car – excepté quelques journaux de détention rédigés en France avant le transport – ce sont des rescapés qui s’y expriment, témoignant des épreuves traversées avec leurs compagnons disparus, ainsi que la plupart s’y étaient engagés.
Si Christophe Le Meur est peu présent dans cet ouvrage à titre individuel, il y est pleinement à titre collectif, car il partageait l’engagement de la plupart de ses compagnons, disparus ou rescapés. La répression l’a touché au sein de l’organisation communiste clandestine qui construisait, par un difficile et dangereux travail de conviction, les conditions morales de la Résistance : ni l’occupant, ni ses valets collaborationnistes ne s’y sont trompés.
Ayant déjà affronté le fascisme au sein des Brigades internationales en Espagne, nul doute que Christophe Le Meur aurait rejoint la lutte armée quand le moment fut venu… s’il n’avait été arrêté avant, au cours d’une action clandestine de propagande. D’ailleurs, si tel n’avait pas été le cas, il aurait pu être aussi interné administrativement en tant que suspect, comme cela est arrivé à 33 vétérans de la guerre d’Espagne, dont plusieurs futurs déportés “45000”, arrêtés dans la région parisienne à l’aube du 24 décembre 1941.
L’ouvrage documenté de Claudine Cardon-Hamet est donc bien le moyen de comprendre comment le destin glorieux et tragique d’un Tourchois s’est inscrit dans la grande histoire.
Et cette famille aurait pu être encore plus durement touchée… De sa participation au combat antifasciste en Espagne, Christophe Le Meur avait ramené deux revolvers, cachés chez sa sœur Catherine (épouse Le Breton) chez qui il vivait. Échappant de peu à l’arrestation, le camarade qui l’accompagnait est passé prévenir celle-ci : documents et objets compromettants disparurent avant une inévitable perquisition. Si tel n’avait pas été le cas, il est fort probable que Catherine Le Breton aurait fait partie du convoi de 230 femmes déportées vers Auschwitz-Birkenau au début de l’année 1943. Transport dont Charlotte Delbo a raconté l’histoire dans son livre Le Convoi du 24 janvier.
Beaucoup de ces femmes étaient en effet les épouses et les parentes de résistants appartenant à des réseaux communistes entrés dans la lutte armée ; elles étaient au courant de leurs activités et participaient à celles-ci. Leurs hommes ont pour la plupart été fusillés par l’occupant et elles-mêmes et leurs compagnes furent déportées comme otages avec le statut des “NN” concentrationnaires : leur sort devant rester ignoré, elles n’eurent droit à aucune correspondance, aussi ignora-t-on le sort de la plupart d’entre elles jusqu’au retour des 49 rescapées. Si elle avait été prise avec deux revolvers sous son toit, Catherine, la sœur de Christophe Le Meur aurait certainement été l’une d’entre elles. De toute façon, un avis placardé par le haut commandement allemand sur les murs de la zone occupée le 10 juillet 1942 prévenait que les familles proches des « auteurs d’attentats, [des] saboteurs et [des] fauteurs de troubles » arrêtés ou en fuite subiraient d’office des représailles. Pour avoir tracé des “V” de la victoire sur les murs d’une école de Brest, une jeune Finistérienne de moins de 18 ans, Rosa-Michelle Floc’h, du Relecq-Kerhuon, fut déportée dans le convoi du 24 janvier 1943 et mourut à Birkenau après un mois de camp. Camille Champion, habitant l’Orne mais née à Huelguat, tenait avec son mari une pension de famille, comme Catherine Le Breton. Des inspecteurs sont venus spécialement de Paris pour les arrêter : lui est fusillé au Mont-Valérien, elle meurt du typhus à Birkenau. Quand ces femmes arrivent dans le complexe concentrationnaire, quelques rescapés du convoi du 6 juillet (1000 sont déjà morts sur 1170), participant à la résistance intérieure du camp, parviennent à organiser un réseau clandestin de solidarité avec elles.
BIBLIOGRAPHIE :
Claudine Cardon-Hamet, Triangles rouges à Auschwitz, Le convoi politique du 6 juillet 1942,
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier,
Laurent Lavefve, Mille et neuf jours, René Besse, la force d’un résistant déporté, Les Ardents éditeurs, ouvrages offerts par André Le Breton, neveu de Christophe Le Meur (fils de Catherine), à la Bibliothèque municipale de Tourch.
André Le Breton est membre du Conseil d’administration de l’association Mémoire Vive des convois des “45000” et des “31000” d’Auschwitz-Birkenau.