Marguerite, Jeanne, Richier, née Cardinet le 16 octobre 1879 à Paris 5e, domiciliée à Soissons (Aisne), morte à Auschwitz, au sous-camp de femmes de Birkenau, le 16 février 1943.
- IDENTIFICATION INCERTAINE…
- C’est de manière hypothétique et déductive qu’est donné à voir
le portrait de cette détenue, photographiée à Auschwitz-I
le 3 février 1943, et que personne n’a identifiée.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
Marguerite, Jeanne, Cardinet naît le 16 octobre 1879 à Paris 5e, chez ses parents, Gabriel Cardinet, 45 ans, teinturier puis logeur, et Mélie Gaudron, son épouse, 39 ans, domiciliés au 1, rue du Fouarre, près du chevet de l’église Saint-Julien-le-Pauvre. Marguerite a – au moins – un frère plus âgé : Alfred, né le 9 avril 1878 à Paris 5e.
- Paris 5e. La rue Lagrange, vers la Seine. La courte rue
du Fouarre commence derrière le photographe, à gauche.
Carte postale oblitérée en 1909. Coll. Mémoire Vive.
- Paris 5e. Chevet de l’église Saint-Julien-le-Pauvre,
vouée au culte orthodoxe grec.
Carte postale des années 1900. Coll. Mémoire Vive.
Marguerite Cardinet passe ses premières années dans le quartier latin.
Lorsqu’elle a six ans, ses parents décident de regagner le pays de la famille du père, Lahaymeix, petit village situé à 40 km au sud de Verdun (Meuse – 55), où ils s’installent comme épiciers. Marguerite y va à l’école communale. Son père y décède en mars 1890, mais sa mère conserve le commerce.
Le 29 août 1900 à Lahaymeix, Marguerite Cardinet se marie avec Victor, Aimé, Richier, né le 1er 1863 à Lamorville (55), instituteur public, veuf de 37 ans. Ils auront sept enfants, dont Lucien, né en 1906, André, né le 10 août 1909, Odette, née le 18 août 1911, et Armande, née le 16 novembre 1916, tous nés à Lahaymeix et encore vivants en 1942. En 1926, ils habitent une maison située rue Bellevue, mais ne s’y trouvent plus en 1931.
Veuve en 1933, Marguerite s’installe à Soissons (Aisne), au 2, place Saint-Médard, avec ses deux filles : Odette et Armande.
Sous l’occupation, les deux jeunes femmes sont actives dans la Résistance, au sein du Front national [1] ; leur mère est au courant de leur activité.
Odette Richier assure les liaisons et le transport de tracts.
L’arrestation
Le 16 octobre 1942, à bicyclette, Odette transporte des tracts qui viennent d’être tirés. En route, elle lance une poignée de tracts à la volée. Hélas, une voiture de la Gestapo passe par là. Les Allemands constatent que les tracts viennent d’être jetés. La voiture rattrape la cycliste, les paquets sont encore sur le porte-bagage. Odette Richier est arrêtée, identifiée, emmenée à la Kommandantur, puis chez elle.
Lors de la perquisition au domicile de Marguerite, les policiers trouvent la ronéo, la machine à écrire, les stencils, le papier, ainsi que les adresses des deux frères.
La mère et les deux filles sont emprisonnées à Saint-Quentin (02).
Le 21 octobre 1942, André Richier est arrêté à Verdun par la Gestapo.
Lucien Richier est arrêté à la fin novembre 1942 à Paris par la police française. Il est emprisonné à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e).
Le 15 janvier 1943 – à quelques jours du départ pour Auschwitz -, elles sont transférées au Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Marguerite y est enregistrée sous le matricule n° 1445.
- L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquant « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, Marguerite, Armande et Odette Richier font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris).
Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à pied à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes – parmi lesquels André Richier – ont été entassés la veille.
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que ceux des femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.
Auschwitz
Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, les détenues sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
On ne sait pas avec certitude sous quels matricules ont été enregistrées Marguerite, Odette et Armande Richier ; peut-être respectivement sous les numéros 31840, 31846 et 31847, selon une correspondance possible avec les matricules reçus au Fort de Romainville. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil.
Marguerite Richier meurt le 16 février 1943, selon l’acte de décès du camp, qui indique pour cause mensongère de sa mort « décrépitude, faiblesse due à l’âge » (Altersschwäche) ; elle a 63 ans. Plusieurs de ses camarades du convoi pensaient qu’elle aurait pu être prise à la « course » [2] du 10 février et mourir au Block 25, l’antichambre de la mort.
Arrivé au KL Sachsenhausen le 25 janvier 1943, André Richier est affecté au Kommando Heinkel, puis transféré au KL Buchenwald où il est affecté au Kommando de Leitmeritz.
Lucien Richier est libéré à la Maison d’arrêt de la Santé lors de la Libération de Paris, en août 1944.
André Richier est rapatrié en France après la libération des camps, très malade.
Les deux frères apprennent la mort de leur mère et de leurs sœurs par les rescapées du convoi.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 248-249.
Archives de la mairie de Paris, site internet, registre des naissances du 5e arrondissement pour l’année 1879 (cote V4E 3065), acte n° 2670 du 18 octobre
Archives départementales de la Meuse, archives en ligne, recensement de la population de Lahaymex pour l’année 1926 (cote 6 M 42), vue 2/6 ; registre d’état civil de Lamorville pour l’année 1863, cote 2 E 282 (8), acte n° 3, vue 3/189 ; registre des mariages de Lahaymex pour l’année 1900, cote 2 E 277 (11), acte n° 1, vue 157/215.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 3, page 1005.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne, Bureau d’information sur les anciens prisonniers (Biuro Informacji o Byłych Więźniach) ; acte de décès du camp (n° 8157/1943).
— Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004, tome 1, I.74. page 642.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 8-02-2014)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
[1] Front national de lutte pour la liberté et l’indépendance de la France : mouvement de Résistance constitué en mai 1941 à l’initiative du PCF clandestin (sans aucun lien avec l’organisation politique créée en 1972, dite “FN” et toujours existante).
[2] La « course » par Charlotte Delbo : Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.
Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. « En arrivant à la porte, il faudra courir. » L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.
Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire. La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)