Raymonde Georges, née Le Margueresse le 18 janvier 1917 à Paris 14e, domiciliée à Paris 19e, morte au sous-camp de femmes de Birkenau début mars 1943 selon les rescapées.
Raymonde Le Margueresse naît le 18 janvier 1917 à Paris 14e.
Charlotte Delbo la présente comme « une militante de la Jeunesse communiste pour qui la vie était exaltation, enthousiasme ».
Pendant un temps, Raymonde est secrétaire à la mairie de Bobigny (Seine-Saint-Denis – 93), auprès du maire communiste Charles Clamamus.
Au plus tard en 1938, elle rencontre Daniel Georges, né le 9 octobre 1911 à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), photograveur, dont elle devient très amoureuse.
Celui-ci a commencé son engagement militant au sein des Jeunesses communistes en 1928. En janvier 1934, il adhère au PC. Mais c’est comme membre des JC qu’il participe au VIIe congrès de l’Internationale communiste (Komintern) qui s’est tenu à Moscou du 25 juillet au 30 août 1935. Parti en Espagne défendre la République à la suite de son frère Pierre, Daniel Georges est désigné commissaire de compagnie au bataillon Henri Barbusse de la 14e Brigade internationale de février 1937 à novembre 1938.
Par l’intermédiaire de Daniel, Raymonde intègre la famille Georges qui comprend également Félix, le père, né en 1887 à Rochefort-sur-mer, ancien combattant de 1914-1918, ouvrier boulanger, militant syndical proche du Parti communiste dès les années 1920 (Blanche, son épouse, Parisienne, vendeuse, est décédée en 1928, à 38 ans, de la tuberculose) ; Denise, l’aînée des enfants, qui a épousé Guillaume Scordia, terrassier mineur du métro ; Pierre, né le 21 janvier 1919 à Paris, apprenti boulanger puis ajusteur, parti rejoindre les Brigades internationales à 17 ans fin octobre 1936, rapatrié après avoir été grièvement blessé au combat, élu au comité national des Jeunesses communistes en avril 1939, marié avec Andrée Coudriet en 1939 ; et Jacques, né le 7 mai 1920 à Paris 19e, typographe, refoulé avant la frontière en tentant de rejoindre les brigadistes à l’été 1938, arrêté par la police pour un lancer de tracts à l’intérieur d’un cinéma lors du mouvement national du 30 novembre 1938.
À l’automne 1939, Daniel Georges est le seul des trois frères à être mobilisé. Il est affecté sur la Ligne Maginot.
Lui et Raymonde se marient le 7 novembre à Bobigny.
Révoquée de son emploi à la mairie de Bobigny pour son engagement politique, Raymonde milite au sein du Parti communiste clandestin avec d’autres membres de la famille. Elle déjeune tous les jours avec Jacques, lui aussi au chômage. Raymonde habite alors une chambre d’hôtel avenue Secrétan, à Paris 19e (métro Jaurès).
Dans la nuit du 1er au 2 décembre 1939, non loin de là, avenue Jean-Jaurès, Jacques Georges ronéote des tracts chez son ami Jean Rodier.
Le lendemain matin, il transporte un paquet de tracts dissimilé dans un sac à pommes de terre jusqu’au domicile de Raymonde. En y arrivant, vers 8 heures du matin, il tombe nez à nez avec la police française en train de perquisitionner le domicile de sa belle-sœur. Tous les deux sont arrêtés par le commissaire Roche. “Cueillis” ensuite dans la “souricière” tendue au domicile de Jacques, dans un hôtel de l’avenue Mathurin-Moreau, sont également arrêtés son ami Jean Rodier ainsi que sa belle-sœur Andrée venue lui rendre visite. Enfin Pierre, le mari de celle-ci, est appréhendé dans son usine. Cinq autres militants seront pris dans la même affaire et inculpés.
Tous passent une journée au Quai des Orfèvres où ils subissent des interrogatoires musclés, puis ils sont transférés au Dépôt de la Préfecture de police pour y passer la nuit avant leur transfert en prison.
Les hommes sont écroués à la Maison d’arrêt de la Santé (Paris 14e). Jacques est mis à l’isolement dans le quartier des mineurs où il restera six mois.
Raymonde et Andrée sont écrouées en détention préventive à la Maison d’arrêt pour femmes de la Petite-Roquette (Paris 11e), dans des cellules séparées.
Pierre et Andrée Georges bénéficient d’un non-lieu en février 1940 et sont libérés. Mais, le 6 mai 1940, l’administration décide l’internement administratif de Pierre au centre de séjour surveillé de Baillet (Seine-et-Oise), avant de le verser à la compagnie spéciale des travailleurs de la ferme Saint-Benoît.
Début juin 1940, quand l’armée allemande s’approche de la capitale, les prisons sont évacuées. Celle de la Roquette est repliée sur la Maison d’arrêt de Blois d’où, peu après, les prisonnières sont de nouveau escortées sur les routes de l’exode. Raymonde Georges est finalement internée au camp de Saint-Germain-les-Belles (Vienne – 86).
Dans la même période, Pierre Georges réussit à s’échapper d’un train qui emmène les prisonniers à Bordeaux. Après diverses pérégrinations, il rejoint Marseille où des dirigeants communistes lui confient la responsabilité des Jeunesses communistes du Sud-Est. Il devient « Frédo », efficace dans l’organisation de la propagande, mais aussi dans la récupération d’armes en effectuant de fausses perquisitions.
Le 12 novembre 1940, Raymond Georges comparaît devant le tribunal militaire de Périgueux. Elle y retrouve son beau-frère, Jacques, et Jean Rodier, qui avaient été évacués vers le camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques), puis internés au camp de Mauzac (Dordogne). Raymonde Georges et Jean Rodier sont condamnée à un an de prison. Ayant déjà purgé sa peine, Raymonde est libérée. Jacques achève de purger sa peine dans une prison de Nontron (Corrèze), un lycée de jeunes filles converti en lieu d’incarcération. Il en est libéré le 1er avril 1941 pour être assigné à résidence à Rochefort où vit toujours sa grand-mère.
Rentré à Paris en 1941, Pierre Georges, « Frédo », est chargé par le Parti communiste clandestin d’organiser un groupe armé. Lui-même réalise la première action armée contre les troupes d’occupation en abattant un officier de la Kriegmarine, le 21 août 1941, au métro Barbès.
En 1941, Raymonde Georges est membre de l’O.S. (Organisation spéciale) puis des Francs-tireurs et partisans (FTP) : transport d’armes, ravitaillement des partisans, agent de liaison pour « Frédo » (son beau-frère).
Échappant de peu à une arrestation le 8 mars 1942, « Frédo » part tenter de se cacher dans les environs de Rochefort (Charente-Inférieure) où réside son frère Jacques, puis en Franche-Comté où il s’affirme comme un remarquable chef FTP sous le nom de guerre de « colonel Fabien ».
Suspecté de complicité avec son fils Pierre, dirigeant des partisans parisiens, Félix Georges est arrêté le 19 avril, interné au Fort de Romainville le 8 juin, et fusillé comme otage par les Allemands au Mont-Valérien le 11 août, ainsi que son gendre, Guillaume Scordia, mari de sa fille Denise. Celle-ci est agent de liaison interrégional – dans l’Aisne notamment – sous le pseudonyme de “Gisèle”.
En 1942, Raymonde fait partie d’un groupe, qui sous prétexte de camping, s’installe début juin en forêt de Fontainebleau, sur la commune de Moret-sur-Loing au lieu-dit le Calvaire, une butte boisée dominant Moret et la confluence de la Seine et du Loing. Ce premier groupe de partisans, dirigé par Maurice Leberre (« Noël ») intègre dans ses rangs trois jeunes filles : Raymonde, Simone Deguerret (« Claudine ») et Marcelle Gourmelon (« Paulette »).
Le 11 août, Raymonde monte dans le train à Avon quand son sac à dos se défait. Des objets se répandent, un revolver tombe. Des voyageurs alertent la police. Raymonde essaie de s’échapper sans y parvenir.
- La gare de Fontainebleau à Avon. Carte postale des années 1940.
Collection Mémoire Vive.
Aussitôt après son arrestation, plusieurs centaines d’hommes – policiers, gendarmes, soldats allemands – ratissent le sud de la Seine-et-Marne. Le groupe décroche, avec un engagement à Montereau où André Boissière est tué.
Raymonde est probablement écrouée dans une Maison d’arrêt qui reste à préciser (quartier allemand de Fresnes ?).
Le 21 octobre 1942, elle est transférée au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [1] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122, en même temps que Clémence Dupuis, Léone Seignolle et Marcelle Gourmelon. Raymonde Georges y est enregistrée sous le matricule n° 1036
- L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »).
Le lendemain, Raymonde Georges fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Dans un courrier adressé au sous-préfet de Compiègne, le commissaire de police de la ville indique : « …dans le courant de l’après-midi, trois camions allemands ont amené au camp de Royallieu une centaine de femmes dont on ignore la provenance. Selon des indications recueillies auprès de personnes habitant aux abords du camp, ces femmes auraient entonné La Marseillaise et L’Internationale ». Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne – sur la commune de Margny – et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL [2] Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Il n’existe pas de certitude absolu concernant le numéro matricule sous lequel Raymonde Georges y est enregistrée (peut-être le 31750, selon une correspondance établie avec le registre des internés du Fort de Romainville). Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie policière allemande : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Raymonde Georges n’a pas été retrouvée).
- Les SS ont détruit la plupart des archives du KL Auschwitz avant
l’évacuation du camp en janvier 1945. Réalisé le 3 février 1943,
le portrait d’immatriculation de cette détenue a disparu.
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Raymonde Georges est rapidement atteinte par la dysenterie. Elle tient dans les rangs jusqu’à la limite, puis se fait admettre au Revier au début de mars 1943. Elle y meurt peu après, selon le témoignage des rescapées (l’acte de décès du camp, qui aurait d’en préciser la date, n’a pas été retrouvé). Elle a vingt-six ans.
Au retour des déportés, c’est Marie-Claude Vaillant Couturier qui préviendra la famille Georges du décès de Raymonde.
Son mari, Daniel Georges, s’est évadé alors qu’il était prisonnier de guerre et a réussi à gagner l’URSS. Via l’Angleterre, il est parachuté en France en janvier 1942 pour rejoindre le Parti communiste clandestin dans le Gard et les Bouches-du-Rhône, avant de participer à la libération de Marseille.
Pierre Georges, le colonel Fabien, – après avoir été grièvement blessé à la tête le 25 octobre 1942 – a été arrêté par la police française à Paris le 30 novembre puis livré aux Allemands. Après avoir été détenu à la Maison d’arrêt de Fresnes, puis à celle de Dijon, il s’évade du Fort de Romainville vers mai 1943. Après avoir participé à la Libération de Paris, il rassemble un groupe de cinq cents hommes qui devient un régiment rattaché à la division Patton et engagé dans la campagne d’Alsace pendant l’hiver 1944.
Alors qu’il était assigné à résidence à Rocherfort, Jacques Georges s’est marié. Il reprend contact avec la Résistance en 1942, quand Pierre vient se réfugier un temps dans la région. En janvier 1944, Jacques est désigné comme responsable du service de renseignements des Francs-tireurs et partisans français (FTPF) pour le département du Cher. Le 6 juin 1944, il entre dans la lutte armée comme sous-lieutenant FFI en participant à la prise de Saint-Amand-Montrond. Après la Libération de Vierzon et de Bourges en septembre 1944, il dirige la police militaire FFI en attendant la reprise en main par les autorités administratives officielles. Début novembre, devenu lieutenant, il rejoint le 1er régiment de Paris créé par son frère Pierre puis, le 16 décembre, le tout nouveau 151e régiment d’infanterie que celui-ci commande en Alsace.
Le 27 décembre 1944, le poste de commandement de cette unité, alors installée à Habsheim près de Mulhouse, est soufflé par une déflagration. Jacques retrouve les épaulettes du colonel Fabien – son frère Pierre -, attestant la mort de celui-ci et d’une partie de son état-major dans l’explosion d’une mine anti-char.
Le mari de Raymonde, Daniel Georges, est élu maire des Lilas de 1945 à 1947, secrétaire du PCF dans cette ville puis à Saint-Mandé (Val-de-Marne). Il se remarie à deux reprises, en 1947 et en 1957. Il décède le 25 mars 1994 à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
Raymonde Georges est homologuée sergent dans la Résistance intérieure française.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 125-126.
Marion Queny, Un cas d’exception : (…) le convoi du 24 janvier, mémoire de maîtrise d’Histoire, Université Lille 3-Charles de Gaulle, juin 2004, notamment une liste réalisée à partir du registre de Romainville (copie transmise par Thomas Fontaine), pp. 197-204, et p. 114.
Claude Cherrier (et René Roy), La Résistance en Seine-et-Marne (1939-1945), Etrépilly, Presses du Village, 2002, pages 66 et 67.
Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), avec le concours du Conseil général de Seine-Saint-Denis, éditions Tallandier, 2005, pages 74 à 86.
Archives départementales de l’Oise, Beauvais, cote 33W 8253/1, répression des menées antinationales, gaullistes et terroristes.
Pour la famille Georges – Félix, Daniel, Pierre et Jacques -, site du Maitron en ligne, université de Paris-1, notices de Jean Maitron, Claude Pennetier et Alain Dalançon.
Jacques Georges, contribution à un débat devant des professeurs d’Histoire de Charente-Maritime organisé à Rochefort en décembre 2007, messages (09-2012).
Pierre Durand, Qui a tué Fabien ?, éditions Messidor, coll. Temps actuels, Paris 1985, page 67.
COMRA, brochure Marcelle Gourmelon (1924-1943) La vie volée d’une jeune Arpajonnaise morte à Auschwitz à 19 ans (à commander au COMRA, 29 rue Dauvilliers 91290 ARPAJON).
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 27-01-2014)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
[1] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine, qui inclut Paris et de nombreuses villes de la “petite couronne” (transfert administratif effectif en janvier 1968).
[2] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilise l’abréviation “KZ”.