- Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943,
selon les trois vues anthropométriques de la police allemande.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.
De la Pologne natale à Paris
Sophie Czeposka ou Sievzpowska naît le 4 juillet 1887 à Lublin, dans une famille de la bourgeoisie polonaise. La jeune fille vient à Paris en 1909 pour faire son Droit : si elle était restée en Pologne, elle aurait dû faire ses études dans une université russe, la Pologne étant alors partagée entre l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne et la Russie tsariste.
En France, Sophie obtient sa licence et épouse en 1916 son compatriote François Brabander, né le 4 novembre 1887 à Grokhoff, étudiant en médecine qui a quitté son pays pour la même raison.
En 1914, François Brabander s’engage dans l’armée française pour la durée de la guerre.
Après l’armistice de novembre 1918, il se rengage pour la campagne militaire qui doit libérer la Pologne (armée Weygand).
Démobilisé, il termine ses études. Les Brabander obtiennent la nationalité française en 1920.
François et Sophie Brabander ont deux enfants : Hélène, née le 25 mai 1923 à Paris 13e, et Romuald, né le 5 mars 1926 à Paris 15e.
Le docteur Brabander possède un cabinet à Paris ; il en ouvre un autre à Lens (Pas-de-Calais) où il soigne les mineurs polonais.
Resté en contact avec les milieux de l’émigration polonaise en France – celle de 1926 et celle de 1939 -, il est président des Sokół, association sportive et patriotique des Polonais de France, de Belgique et de Hollande, organisée sur le modèle des Sokols tchèques.
En 1939, les Sokols participent en nombre à la constitution de l’Armée polonaise en France, dont la création résulte d’un accord entre le gouvernement français et Władysław Sikorski, général et chef des forces armées polonaises, Premier ministre du gouvernement polonais en exil de 1939 jusqu’à sa mort accidentelle le 4 juillet 1943.
Une résistance polonaise en France
Après la défaite de juin1940, le docteur Brabander songe à gagner Londres pour rejoindre le gouvernement polonais en exil. Avec sa femme et ses deux enfants, il part pour Toulouse, cherche un passage pour l’Espagne, mais n’y parvient pas. La famille rentre à Paris.
Toutes les activités des organisations polonaises ont cessé, mais des réseaux se créent. François Brabander appartient à une organisation de résistants d’origine polonaise en France, POWN (Polska Organizacja Walki o Niepodleglosc – Organisation polonaise de lutte pour l’indépendance), connue sous le nom de réseau Monika, et sa femme le seconde. Ce réseau formera les premiers maquis de Polonais en France.
Une première arrestation
En octobre 1941, le docteur Brabander est arrêté par la Gestapo après une perquisition à son domicile où on trouve un tract. Il est condamné à deux mois de prison qu’il accomplit au Cherche-Midi, à Paris, puis à Hauteville, près de Dijon. Sa peine terminée, il est relâché et rentre chez lui, juste à la veille de Noël 1941. Sans doute juge-t-il qu’en redoublant de prudence il peut continuer.
L’arrestation de toute la famille Brabender
Le 29 septembre 1942, la Gestapo arrête à leur domicile François Brabander et sa femme, puis, quelques heures plus tard, leur fils Romuald, seize ans. Ils sont emmenés rue des Saussaies (siège parisien de la Gestapo), subissent chacun un interrogatoire succinct, sont enfermés séparément dans des cellules pendant quelques heures, puis conduits en voiture le soir même au fort de Romainville (sur la commune des Lilas, Seine-Saint-Denis). Père et fils sont mis au quartier des hommes. La mère y est enregistrée sous le matricule 832.
- L’unique entrée du Fort de Romainville (Haftlager 122),
surplombée par un mirador.
© Musée de la résistance nationale (MRN),
Champigny-sur-Marne (94).
Le lendemain, Sophie Brabander voit arriver sa fille, Hélène (matr. 840) : celle-ci était resté coucher chez les amis où elle avait dîné et avait été arrêtée en rentrant à la maison, au matin.
À la mi-novembre, après avoir passé une nuit dans la casemate n°17 du fort, le docteur Brabander et Romuald sont transférés au camp de Royallieu à Compiègne (Oise).
Le docteur Brabander est désigné comme médecin du camp.
Le 21 janvier 1943, Sophie et Hèlène Brabander font partie des cent premières femmes otages internées au Fort de Romainville qui sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris).
Romuald Brabander reconnaît sa sœur derrière les barbelés où sont cantonnées les nouvelles arrivantes, mais ne parvient pas à se faire apercevoir d’elle. Le docteur Brabander demande alors l’autorisation de parler à sa femme et sa fille, mais celle-ci lui est refusée.
Le 23 janvier, en fin de journée, François et Romuald Brabander sont parmi plus de 1450 détenus détenus hommes du camp qui sont conduits à pied sous escorte à la gare de Compiègne, jusqu’à un quai de marchandises où il sont entassés dans des wagons à bestiaux.
Les deux-cent-trente femmes otages passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le lendemain matin, 24 janvier, elles sont conduites à leur tour à la gare et montent dans les quatre derniers wagons du convoi.
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, près d’Orianenburg.
Les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
- Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.
Sophie Brabander est appelée la première pour passer à l’immatriculation, à la douche, à la tonte. Comme on le lui ordonne, elle se met nue, s’assoit sur un tabouret pour qu’on lui coupe les cheveux : c’est une détenue qui opère. Hélène, debout, nue aussi, attend son tour. Quand elle s’assoit à la place de sa mère, celle-ci retire les ciseaux des mains de la prisonnière et coupe elle-même les cheveux de sa fille.
Sophie Brabander est enregistrée à Auschwitz sous le matricule 31694 (sa fille sous le matricule 31695). Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation de Sophie Brabander a été retrouvée). Elle est prise à la « course » [1] le 10 février 1943. Elle est morte quelques jours plus tard au Block 25 ; le 22 février selon l’acte de décès du camp.
Sa fille Hélène meurt du typhus au Revier le 23 mai.
Au KL Sachsenhausen, le docteur Brabander (matr. 57805) et Romuald (matr. 57806) sont d’abord assignés en quarantaine au Block 38, puis affectés au Kommando Heinkel, où le père est médecin à l’infirmerie et le fils infirmier-interprète (tous deux parlent le polonais). Ensuite, ils sont affectés ensemble au Kommando de Küstrin, ville située 70 km à l’Est de Berlin, où est implantée la Zellwolle Zellulose Werk, gigantesque fabrique de pâte à papier et de dérivés de la cellulose. En janvier 1945, ils sont ramenés vers le camp principal, puis évacués le 7 février vers le KL Bergen-Belsen. Le 15 avril 1945, le camp est libéré par la progression de la 11e division blindée britannique. Mais François Brabander succombe le 31 mai à des complications pulmonaires dues au typhus.
Le 5 juin 1945, Romuald Brabander est rapatrié par la Croix-Rouge, en avion via l’aéroport du Bourget. Passé par l’hôtel Lutétia, il apprend la mort de sa mère et de sa sœur dès le lendemain.
La mention “Mort en déportation” est apposée sur l’acte de décès de François Brabander (JORF n° 59 du 11-03-2010).
Homologué comme Déporté-Résistant, Romuald Brabander est chevalier de la Légion d’honneur, médaillé militaire au titre de Déporté-Résistant (décret du 24-06-1998).
Il décède le 19 décembre 2010.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 51.
Death Books from Auschwitz, Remnants, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, K.G.Saur, 1995 ; relevé des registres (incomplets) d’actes de décès du camp d’Auschwitz dans lesquels a été inscrite, du 27 juillet 1941 au 31 décembre 1943, la mort de 68 864 détenus pour la plupart immatriculés dans le camp (sans indication du numéro attribué), tome 2, page 125 (10185/1943).
Yves Jégouzo, Romuald Brabander et sa famille, bulletin de Mémoire Vive n° 45, novembre 2011, pages 5 à 9.
MÉMOIRE VIVE
(dernière mise à jour, le 1-01-2012)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).
[1] La « course » par Charlotte Delbo : Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.
Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. « En arrivant à la porte, il faudra courir. » L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, II fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté. Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.
Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire.
La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)