Yvette Lucienne Georgette Champion naît le 5 août 1915 à Crouzilles (Indre-et-Loire – 37), fille d’Angèle Champion.
En 1926, âgée de 11 ans, elle est hébergée par une tante maternelle et son mari, carrier, domiciliés au lieu-dit Les Boisseaux à Trogue (37), où elle va à l’école communale.
Sa mère, veuve à 28 ans et élevant seule ses enfants, devient femme de service à l’école Raspail à Tours (37), place Raspail dans le quartier de La Fuye.
Le 23 juin 1934, à Tours, Yvette Champion se marie avec Émile Charles Marival, né le 19 novembre 1905 dans cette ville, monteur en chauffage, membre du parti communiste avant la guerre. Elle-même est alors déclarée comme femme de ménage.
Plus tard, Émile Marival devient aide-ouvrier aux établissements Rocher Rooy, sis 127 rue Deslandes à Tours.
Sous l’occupation, . Émile participe à un groupe de diffusion de propagande communiste clandestine sous la direction politique d’André Chartier, dit “Victor”, assisté de Louis Girod, tous deux employés de la Compagnie Industrielle de Matériel de Transport (CIMT), puis de Lucien Arnoult. Soit ils réceptionnent des tracts amenés en train depuis Paris par un agent de liaison qui dépose des valises à la consigne de la gare, soit les tracts sont transportés depuis Grammont (?) dans les camions de l’entreprise Fanterne (ou Fontaine, de Nazelles ?). Les valises sont ensuite déposées chez Adolphe Gavache, André Beriantin, Jules Dumas et Émile Marival, alors domicilié chez le cheminot Marcel Desbois au 10, rue du Canal, dans le quartier de La Fuye, à Tours.
D’autres tracts sont rédigés, dactylographiés et ronéotypé à Tours. La dactylo est alors Fabienne Landy, domiciliée 26 rue Émile-Zola à Saint-Pierre-des-Corps. Les opérations de diffusion sont effectuées au domicile du marchand-forain Charles Duval, 16 avenue de la République à Saint-Pierre, les tracts étant rassemblés par Louis Girod. La diffusion finale est assurée par seize distributeurs.
La mère d’Émile Marival ne connaît rien des activités clandestines de son fils.
Le 13 juin 1942, Louis Girod est arrêté par les autorités allemandes pour « actes de franc-tireur ». Le 17 juin, Paul Desormeaux, organisateur de l’interrégion entre l’Indre-et-Loire et le Cher pour le Parti communiste clandestin, responsable de l’O.S. (groupe “Touraine”) [1], est arrêté à Saint-Pierre-des-Corps, à l’entrée de son usine, par les autorités allemandes pour « terrorisme, actes de franc-tireur et rébellion », et incarcéré à Tours. Torturé, il est emmené plusieurs fois à l’hôpital. [2]
L’arrestation
Par ailleurs, au cours de l’année 1942, à la suite d’arrestations effectuées dans la région parisienne, qui décapitent une partie de la direction nationale du Parti communiste clandestin, les policiers français découvrent certains documents leur révélant l’organisation et l’activité de responsables tourangeaux. L’arrestation de ceux-ci et les perquisitions opérées par la “Gestapo” amènent la saisie de la presque totalité des listes de membres du PC, ainsi que le rôle distribué à chacun au sein de l’organisation. Ces découvertes sont la base d’une série d’arrestations massives échelonnées sur juillet et août 1942, à la suite desquelles un grand nombre de communistes, militants ou simplement sympathisants, sont appréhendés.
Le 4 août 1942, en pleine nuit, Yvette et Émile Marival sont arrêtés chez eux par la police allemande. Le même jour, François Marival (né le 16 novembre 1911), est également arrêté. Le SD (“Gestapo”) de Tours les désigne tous trois comme communistes. Ils sont conduits à la Maison d’arrêt de la rue Henri-Martin.
Le 3 novembre (date à vérifier…), les deux frères Marival sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise).
À l’aube du 6 novembre 1942, Yvette Marival est parmi les dix-sept prisonnières extraites de leurs cellules pour monter dans deux cars stationnant devant la prison. Dans l’un des deux se trouve déjà Marcelle Laurillou, détenue depuis deux mois à l’école prison Michelet.
Les véhicules s’arrêtent rue de Nantes et les dix-huit détenues sont menées dans la gare de Tours par une porte annexe, échappant ainsi aux regards de la population. Sur le quai, des soldats allemands montent la garde devant le wagon à compartiments où elles doivent prendre place.
À midi, leur train s’arrête à la gare d’Austerlitz, à Paris. On les fait entrer dans une petite salle d’attente équipée de bancs, où des bénévoles de la Croix-Rouge distribuent à chacune un bol de bouillon « Kub » et une tranche de pain noir. Un agent de police française est là pour les accompagner aux toilettes.
Après une attente de plusieurs heures, les prisonnières – toujours encadrées par des soldats – doivent monter dans deux autobus de la STCRP.
Dans la soirée, elles arrivent dans la brume au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.
À la Kommandantur du camp, derrière le portail d’entrée, Yvette Marival est enregistrée sous le matricule 1177. Puis les Tourangelles sont conduites en contrebas du fort. Les gardiens leur annoncent qu’il est trop tard pour les installer dans le bâtiment de caserne : elles seront enfermées dans une casemate de l’enceinte pour la nuit. Il est également trop tard pour leur donner à manger : à cette heure, il n’y a plus rien aux cuisines. Mais d’autres prisonnières ayant appris leur arrivée obtiennent l’autorisation de leur apporter des biscuits extraits de leurs propres colis et de la tisane chaude, qui leur procurent surtout un réconfort moral. Dans ce local souterrain humide et glacé, elles ne parviennent pas à dormir.
Le lendemain, elles sont conduites au premier (?) étage du bâtiment. En traversant la première chambrée, déjà surpeuplée, une jeune femme questionne chacune des arrivantes : « Pourquoi as-tu été arrêtée ? » Elle invite à intégrer ce groupe précédemment constitué celles qui se déclarent comme communistes : Yvette Marival, Élisabeth Le Port et Fabienne Landy. Les autres Tourangelles rejoignent la chambrée du fond.
Au cours du mois de janvier, un photographe civil des Lilas est amené dans le périmètre de promenade pour y réaliser des portraits des détenu(e)s devant un drap blanc tendu sur les barbelés, chacun(e) étant identifié(e) par une réglette indiquant son matricule.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille, dont le mari d’Yvette, Émile Marival, et le frère de celui-ci, François. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [3], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Parvenues à une baraque d’accueil, une première moitié des déportées est emmenée vers la “désinfection” et l’enregistrement ; en l’occurrence essentiellement les occupantes de la chambrée “communiste” de Romainville, probablement en fonction de leur numéro d’enregistrement dans ce camp. L’autre groupe, incluant les Tourangelles et dans lequel de trouve Yvette Marival, passe la nuit à attendre, assis sur les valises, adossé aux planches de la paroi.
Le lendemain, dans ma matinée, ce deuxième groupe reçoit la visite de Mala Zimetbaum, dite « Mala la Belge », détenue arrivée en septembre 1942 (matricule n° 19880) devenue interprète et coursière (Läuferin). Après s’être présentée, celle-ci leur conseille, entre autres : « Surtout n’allez jamais au Revier (hôpital), c’est là le danger. Je vous conseille de tenir jusqu’à l’extrême limite de vos forces. (…) Perdez-vous dans la masse, passez le plus possible inaperçue. »
Yvette Marival est peut-être enregistrée sous le matricule 31787, selon une correspondance établie avec le registre des interné·es du Fort de Romainville. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Yvette n’a pas été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Yvette Marival meurt à Birkenau le 7 mars 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher) ; quoique Charlotte Delbo ait écrit : « Elle est morte dans les tout premiers jours, au Block 14. Elle n’a pas été photographiée. On l’a trouvée morte, un matin. »
Un jour d’avril ou mai 1944, vers 12 h 30, sa famille a appris sa mort par la radio de Londres (par quelle filière d’information ?).
Une famille meurtrie
Émile Marival, le mari d’Yvette (matricule n° 57997 au KL Sachsenhausen), meurt également en déportation, le 23 avril 1943, ainsi que son beau-frère, François Marival, mort le 2 mars 1945 à Vaissengen.
Une belle-sœur arrêtée aussi a été relâchée après quelque temps : elle est morte ensuite de tuberculose.
Le 10 janvier 1947, Marie-Claude Vaillant-Couturier, alors députée à l’Assemblée nationale, signe une attestation par laquelle elle certifie qu’Yvette Marival est décédée au camp d’Auschwitz « environ » au mois de mars 1943. Le 29 mars suivant, Héléna Fournier, de Tours, seule rescapée parmi les Tourangelles, signe une attestation Delon laquelle sa compagne de déportation est « décédée suite de mauvais traitements au début de mars de la même année ».
Le 12 avril, sa mère, Angèle Champion, alors domiciliée au 12 rue Nioche à Tours, complète et signe un formulaire du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) en vue d’obtenir la régularisation de l’état civil d’un “non-rentré”…
Le 18 septembre, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des Anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) dresse l’acte de décès officiel d’Yvette Marival « sur la base des éléments d’information figurant au dossier du de cujus, qui nous a été présenté ce même jour » (certainement les témoignages de M.-C. Vaillant-Couturier et H. Fournier) et en fixant la date au mois de mars 1943.
Le 13 mars 1952, Angèle Champion – en qualité d’ascendante – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté·e Résistant·e à sa fille à titre posthume. Elle la désigne comme agent de liaison du Front National [1] de Touraine pour la distribution de matériel de propagande anti-allemand, arrêtée en même temps que son mari.
Le 14 mai 1952, les commissions départementale puis nationale (18 décembre 1953) des Déportés et internés de la Résistance (DIR) prononcent chacune un avis défavorable à cette demande, celle-ci basculant alors automatiquement vers un titre de déporté politique qui reçoit un avis favorable le 5 janvier 1954, notifié à Angèle Champion le 20 janvier.
Le 16 juin 1961, la commission nationale DIR rapporte le premier avis défavorable, probablement en raison d’une “jurisprudence” fournie par par l’“affaire de Saint-Pierre-des-Corps” (?) impliquant son mari (attestation FTPF par Louis Jaunay, validée par Monprofit, alias “Marceau”). Ainsi, Yvette Marival se voit finalement attribuer le titre de Déporté·e Résistant·e. Le 19 octobre, le ministère envoie la carte DR à sa mère.
Le 18 décembre, Marie-Anne Marival, née Rospars, mère d’Émile, veuve, domiciliée au 61 rue Bellanger, complète et signe un formulaire du ministère des ACVG en vue d’obtenir la régularisation de l’état civil d’un “non-rentré”…
Le 8 février 1947, l’officier de l’état civil alors en fonction au ministère des anciens combattants et victimes de guerre (ACVG) a dressé l’acte de décès officiel d’Émile Champion.
Le 22 octobre 1951, Marie-Anne Marival – en qualité d’ascendante – complète et signe un formulaire du ministère des ACVG pour demander l’attribution du titre de Déporté Résistant à son fils à titre posthume.
Mais elle décède avant d’avoir reçu la carte de déporté politique établie le 7 janvier 1954. Le 31 juillet 1961, la sœur d’Émile, épouse Le Bec, domiciliée au 59 rue du Canal à Tours, sollicite vainement l’obtention de cette carte auprès du ministère : n’étant ni conjointe, ni ascendante ou descendante, elle n’est pas légalement “ayant-cause”.
À une date restant à préciser est installée la place Velpeau à Tours (dans le côté square) une stèle dédiée aux « Habitants du quartier La Fuye-Velpeau disparus durant la Seconde Guerre Mondiale 1939-1945 », fusillés et déporté·e·s, parmi lesquels Yvette, Émile et François Marival…
Notes :
[1] O.S. : organisation spéciale armée du Parti communiste clandestin créée à partir de septembre 1940, à l’origine pour protéger les militant(e)s prenant la parole en public, les distributeurs de tracts et les colleurs d’affiches, elle est devenue le premier cadre de la résistance armée, préfigurant les Francs-Tireurs et Partisans.
[2] Le 23 octobre 1942, à Tours, sept membres de ce groupe sont condamnés à mort par le tribunal militaire allemand de la Felkommandantur 588 : Louis André, Lucien Arnoult, Maurice Beaufils, Gaston Bieret, Georges Bernard, Paul Desormeaux et Louis Girod. Ils sont fusillés quatre jours plus tard, le 27 octobre, au camp du Ruchard à Avon-les-Roches (37).
[3] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration). Certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 192.
Le cahier de Mémoires d’Héléna Fournier, transcrit en 2021 par sa petite-fille, Carole Toulousy-Michel.
Archives départementales d’Indre-et-Loire, Tours : MACVG 37, dossiers pour titres de résistance, de Ma à Qu (50 W 34).
Division des archives des victimes des conflits contemporains (DAVCC), ministère de la Défense, direction des patrimoines de la mémoire et des archives (DPMA), Caen : dossier individuel d’Yvette Marival (21 P 512-881), dossier individuel d’Émile Marival (21 P 512-879).
… une source restant à retrouver.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 16-04-2022)
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