Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943. Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne. Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Photographiée à Auschwitz-I, le 3 février 1943.
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oświęcim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

SSylviane Jeanne Coupet naît le 15 août 1925 à Paris 6e, fille de Marcel Coupet, 24 ans, sergent au 5e régiment d’infanterie coloniale du Maroc, et de Madeleine Battais, née le 11 juillet 1899 à Paris 4e.

Elle va à l’école en Algérie, à Madagascar, en France, au hasard des garnisons où est affecté son père, sous-officier de l’armée coloniale (jusqu’au grade d’adjudant-chef en Indochine).

Le 29 juin 1926, à Paris 11e, sa tante, Marguerite Battais, épouse Fernand Stora, 35 ans, natif d’Alger, tailleur pour hommes. Au fil du temps, celui-ci obtient une grande réussite professionnelle et commerciale, ouvrant un magasin sur les grands boulevards, Jo et Jo, où s’habillent toutes les vedettes du music-hall des années 1930.

Leur couple n’ayant pas d’enfant, Marguerite s’attache à sa nièce Sylviane.

Avant guerre, Fernand Stora s’installe avec sa famille au 22 rue Lamarck (Paris 18e), dans un hôtel particulier d’un étage avec une façade en retrait de cette voie descendant la butte Montmartre.

Arrive l’Occupation et les lois antisémites…

Fernand Stora est juif : s’étant déclaré comme tel, il porte l’étoile jaune. Son magasin passe entre les mains d’un gérant aryen. Il attend que l’occupation prenne fin…

EtoileJauneLe père de Sylviane ayant été envoyé comme prisonnier de guerre en Allemagne, les Stora hébergent la mère de celle-ci, Madeleine, atteinte par la tuberculose. Elle y décède le 19 juin 1942, avant sa 42e année, et la jeune fille reste chez sa tante.

Puis le frère de Fernand Stora, Raoul, et le fils de celui-ci sont arrêtés comme juifs.

Fernand Stora a de l’argent. Il essaye de les faire sortir du camp de Drancy par quelque moyen et pour cela entre en rapports avec un certain Brunet, qui se vante d’être un agent double et d’avoir des relations dans les bureaux de l’avenue Foch (section des affaires juives de la “Gestapo“). Brunet demande 50 000 francs. Fernand Stora lui en donne 30 000 en acompte. Le temps passe. Ne voyant aucun résultat aux démarches que prétend faire Brunet, Il rompt avec l’entremetteur, ce qui entraîne une vengeance de celui-ci.
Des Feldgendarmes viennent chez les Stora, emportent argent et objets de valeur. Les Stora ne bougent pas : quand on porte l’étoile, il faut se tenir coi. Quelques jours plus tard, la scène se répète. Encore un cambriolage en règle par des Feldgendarmes. Cette fois Marguerite Stora se cabre. Ne peut-on se défendre ? Doit-on se laisser faire ? Jusqu’où cela ira-t-il ? Elle porte plainte au commissariat. Peu de temps après, elle est convoquée à la “Gestapo” : on lui fait des excuses. Les voleurs ont été attrapés, ils passeront en conseil de guerre. L’honneur de l’uniforme allemand… Madame Stora plaide pour eux : un vol ne mérite pas la mort.

En novembre 1942, des Allemands en uniforme se présentent de nouveau rue Lamarck. Cette fois, c’est trop. La jeune Sylviane (17 ans) les injurie. Ils la giflent. Ce n’est plus un cambriolage. Ils viennent arrêter Fernand Stora. Il n’est pas là ? Bien, ils reviendront. Mais en attendant ils emmènent Marguerite Stora et Sylviane, laissant la vieille mère de Monsieur Stora, infirme, qui ne peut quitter son fauteuil.
Quand Fernand Stora rentre chez lui, sa mère lui raconte ce qui s’est passé. Il prend vite un pardessus au porte-manteau et se réfugie dans une institution religieuse du voisinage. Dans la poche du vêtement, il trouve un billet griffonné : « On t’aura la prochaine fois ». Il ne reviendra dans sa maison qu’à la Libération.

Le 14 novembre 1942, Marguerite et Sylviane sont internées – seules ce jour-là – au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Sylviane y est enregistrée sous le matricule n° 1216, sa tante sous le n° 1217.

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées. Photo Mémoire Vive.

Le bâtiment A, vue vers l’intérieur du fort, du côté des cours de promenade clôturées.
Photo Mémoire Vive.

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne ; leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22,1 Nach Compiègne uberstellt » (transférée à Compiègne le 22.1).

Le lendemain, Marguerite et Sylviane font partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

TransportAquarelle
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [1], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.

Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000” (accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…). © Gilbert Lazaroo, février 2005.

Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II) par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Marguerite Stora y est enregistrée sous le matricule 31805, Sylviane Coupet sous le matricule 31804. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois quarts avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (les photos d’immatriculation de Marguerite et Sylviane ont été retrouvées ; celle de Marguerite a été identifiée par des rescapées à l’été 1947).

Auschwitz-I. Le Block 26, consacré à l’enregistrement des détenus et comportant le service photographique. © Mémoire Vive.

Auschwitz-I. Le Block 26, consacré à l’enregistrement des détenus et comportant le service photographique. © Mémoire Vive.

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26 de Birkenau, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive) [2].

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia de Birkenau ; perspective entre les châlits. La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues. Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir. Photo © Mémoire Vive.

Le Block 26, en briques, dans le sous-camp B-Ia de Birkenau ; perspective entre les châlits.
La partie inférieure, au ras du sol, est aussi une “couchette” où doivent s’entasser huit détenues.
Les plus jeunes montent à l’étage supérieur, où il est possible de s’assoir.
Photo © Mémoire Vive.

Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Admise au Revier [3], Marguerite Stora y meurt le 9 mars 1943, selon l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).

Selon des compagnes rescapées, Sylviane Coupet succombe en août suivant, après avoir passé plusieurs mois sur les planches du Revier. Elle a 17 ans.

Charlotte Delbo témoigne : « Je suis allée la voir avec “Carmen” (Jeanne Serre – 31637), quelques jours avant sa mort. Nous l’avons à peine reconnue. Squelettique, couverte de vermine, le teint marron, et dans ce visage foncé, ses yeux, des yeux d’un bleu intense. Elle toussait. La quinte finie, une bave sanguinolente restait sur ses lèvres. Carmen l’a embrassée et m’a dit : “Embrasse-la, toi aussi”. Je l’ai fait. »

Pour Sylviane, comme pour plusieurs autres, il n’y a pas d’avis de décès…

Le 24 avril 1948, son père se remarie à la mairie du 18e arrondissement.

Il décède à Nevers (Nièvre) le 13 juillet 1977.

Notes :

[1] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration) ; certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.

[2] « La course » par Charlotte Delbo : « Après l’appel du matin, qui avait duré comme tous les jours de 4 heures à 8 heures, les SS ont fait sortir en colonnes toutes les détenues, dix mille femmes, déjà transies par l’immobilité de l’appel. Il faisait -18. Un thermomètre, à l’entrée du camp, permettait de lire la température, au passage. Rangées en carrés, dans un champ situé de l’autre côté de la route, face à l’entrée du camp, les femmes sont restées debout immobiles jusqu’à la tombée du jour, sans recevoir ni boisson ni nourriture. Les SS, postés derrière des mitrailleuses, gardaient les bords du champ. Le commandant, Hoess, est venu à cheval faire le tour des carrés, vérifier leur alignement et, dès qu’il a surgi, tous les SS ont hurlé des ordres, incompréhensibles. Des femmes tombaient dans la neige et mouraient. Les autres, qui tapaient des pieds, se frottaient réciproquement le dos, battaient des bras pour ne pas geler, regardaient passer les camions chargés de cadavres et de vivantes qui sortaient du camp, où l’on vidait le Block 25, pour porter leur chargement au crématoire.

Vers 5 heures du soir, coup de sifflet. Ordre de rentrer. Les rangs se sont reformés sur cinq. “En arrivant à la porte, il faudra courir.” L’ordre se transmettait des premiers rangs. Oui, iI fallait courir. De chaque côté de la Lagerstrasse, en haie serrée, se tenaient tous les SS mâles et femelles, toutes les kapos, toutes les polizeis, tout ce qui portait brassard de grade. Armés de bâtons, de lanières, de cannes, de ceinturons, ils battaient toutes les femmes au passage. Il fallait courir jusqu’au bout du camp. Engourdies par le froid, titubantes de fatigue, il fallait courir sous les coups. Celles qui ne couraient pas assez vite, qui trébuchaient, qui tombaient, étaient tirées hors du rang, saisies au col par la poignée recourbée d’une canne, jetées de côté.
Quand la course a été finie, c’est-à-dire quand toutes les détenues sont entrées dans les Blocks, celles qui avaient été tirées de côté ont été emmenées au Block 25. Quatorze des nôtres ont été prises ce jour-là.

Au Block 25, on ne donnait presque rien à boire, presque rien à manger. On y mourait en quelques jours. Celles qui n’étaient pas mortes quand le “Kommando du ciel” (les prisonniers qui travaillaient au crématoire) venait vider le Block 25, partaient à la chambre à gaz dans les camions, avec les cadavres à verser au crématoire.
La course – c’est ainsi que nous avons appelé cette journée – a eu lieu le 10 février 1943, deux semaines exactement après notre arrivée à Birkenau. On a dit que c’était pour nous faire expier Stalingrad. » (Le convoi du 24 janvier, pp. 37-38)

[3] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. » In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24. Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus, ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 273.

MÉMOIRE VIVE

(dernière mise à jour, le 21-05-2024)

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