- Jeanne, Louise, Couteau naît le 13 juillet 1901 à Paris 14e, à la maternité du 123 boulevard de Port-Royal, fille de Victorine Couteau, 23 ans, domestique, domiciliée au 5, rue Mazagran, et de « père non dénommé ». Mais elle grandit à Bagnoles-de-l’Orne (Orne) où elle va à l’école communale jusqu’au certificat d’études.Le 19 novembre 1923, à la mairie de Torchamps (Orne), elle se marie avec Marcel Valentin Pineau, né le 23 septembre 1901 à Thouaré (Loire-Inférieure / Loire-Atlantique), maréchal-ferrant. Début août 1931, Marcel Pineau déclare habiter à l’hôtel de la Gare à Mauves-sur-Loire (45). De fait, au printemps 1936, tous deux sont hôteliers dans le quartier du Port, aidés par une domestique.
En février 1937, Marcel Pineau déclare habiter à Nantes (45)…
Sous l’occupation, séparée de son mari et en instance de divorce, Jeanne Couteau-Pineau vit rue du Champ-de-Mars, dans le quartier de La Riche, à Tours (Indre-et-Loire), avec Louis Pisetta, né le 14 juillet 1905 à Albiano (Italie) ; il semble même qu’elle porte son patronyme….
Après l’armistice, Louis Pisetta est embauché au champ d’aviation de Parçay-Meslay, base militaire de Tours, réquisitionné par la Luftwaffe. Ayant repris de l’activité au sein du Parti communiste clandestin, le militant diffuse des tracts en français au sein du personnel du camp et en allemand auprès des troupes d’occupation.
Charlotte Delbo écrira : « Le jour, Jeanne Couteau est cuisinière, Louis Pisetta chauffeur. Le soir, ensemble ou chacun de son côté, ils mènent des activités de Résistance : coller des affiches, mettre des tracts sous les portes et dans les boîtes à lettres. Tous deux sont communistes. »
Un rapport de police daté du 20 avril 1954 rapportera : « À la suite de l’arrestation à Paris de dirigeants nationaux du Parti communiste clandestin, l’identité de certains responsables interrégionaux fut connue. C‘est ainsi que les Allemands recherchèrent alors activement dans notre ville le nommé Chartier André dit “Victor”, responsable interrégional du PC pour la Touraine, l’Anjou, l’Orléanais. L’enquête dirigée par la Gestapo amena l’arrestation de Monsieur Dumas Jules, 84 rue Georges Courteline, à qui Chartier avait confié sa carte de tabac et qui touchait ses rations à sa place. Chez Dumas, de nombreux tracts communistes furent saisis, et certains documents permirent l’arrestation d’une soixantaine de membres de l’organisation clandestine du PC reconstituée dans notre ville, parmi lesquels se trouvait Pisetta Louis. »
Le 4 août 1942, à 3 heures du matin, Louis Pisetta et Jeanne Couteau sont arrêtés à leur domicile par les autorités allemandes, alors qu’ils viennent juste de rentrer de leur activité clandestine nocturne (Ch. Delbo).
Jeanne Couteau est incarcérée à la Maison d’arrêt de Tours, rue Henri Martin.
À l’aube du 6 novembre 1942, elle est parmi les dix-sept prisonnières extraites de leurs cellules pour monter dans deux cars stationnant devant la prison. Dans l’un d’eux se trouve déjà Marcelle Laurillou, détenue depuis deux mois à l’école Jules Michelet de la ville, alors transformée en prison par l’occupant.
Les véhicules s’arrêtent rue de Nantes et les dix-huit détenues sont menées dans la gare de Tours par une porte annexe, échappant ainsi aux regards de la population. Sur le quai, des soldats allemands montent la garde devant le wagon à compartiments où elles doivent prendre place.
À midi, leur train s’arrête à la gare d’Austerlitz, à Paris. On les fait entrer dans une petite salle d’attente équipée de bancs, où des bénévoles de la Croix-Rouge distribuent à chacune un bol de bouillon “Kub” et une tranche de pain noir. Un agent de police française est là pour les accompagner aux toilettes.
Après une attente de plusieurs heures, les prisonnières – toujours encadrées par des soldats – doivent monter dans deux autobus de la STCRP (future RATP).
Dans la soirée, elles arrivent dans la brume au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.
À la Kommandantur du camp, derrière le portail d’entrée, Jeanne Couteau est enregistrée sous le matricule n° 1167. Puis les Tourangelles sont conduites en contrebas du fort. Les gardiens leur annoncent qu’il est trop tard pour les installer dans le bâtiment de caserne : elles seront enfermées dans une casemate pour la nuit. Il est également trop tard pour leur donner à manger : à cette heure, il n’y a plus rien aux cuisines. Mais d’autres prisonnières ayant appris leur arrivée obtiennent l’autorisation de leur apporter des biscuits extraits de leurs propres colis et de la tisane chaude, qui leur procurent surtout un réconfort moral. Dans ce local souterrain humide et glacé, elles ne parviennent pas à dormir.
Le lendemain, elles sont conduites au premier (?) étage du bâtiment. Exceptées trois militantes communistes qui sont intégrées aux premières internées, les Tourangelles rejoignent la chambrée du fond.
Au cours du mois de janvier, un photographe civil des Lilas est amené dans le périmètre de promenade pour y réaliser des portraits des détenu(e)s devant un drap blanc tendu sur les barbelés, chacun(e) étant identifié(e) par une réglette indiquant son matricule.
Selon le registre du camp, le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »). Le lendemain, Jeanne Couteau fait partie d’un deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent quelques détenues extraites d’autres lieux de détention (Fresnes et dépôt).
Toutes passent la nuit au camp, probablement dans un bâtiment du secteur C.
Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites en camions découverts à la gare de marchandises de Compiègne, sur la commune de Margny, où elles doivent grimper dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille.
Comme les autres déportés – avant, après -, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [1], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées par cinq sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Parvenues à une baraque d’accueil, une première moitié des déportées est emmenée vers la “désinfection” et l’enregistrement ; en l’occurrence essentiellement les occupantes de la chambrée “communiste” de Romainville, probablement en fonction de leur numéro d’enregistrement dans ce camp. L’autre groupe, incluant les Tourangelles, parmi lesquelles Jeanne Couteau, passe la nuit à attendre, assis sur les valises, adossé aux planches de la paroi.
Le lendemain, dans ma matinée, ce deuxième groupe reçoit la visite de Mala Zimetbaum, dite « Mala la Belge », détenue arrivée en septembre 1942 (matricule n° 19880) devenue interprète et coursière (Läuferin). Après s’être présentée, celle-ci leur conseille, entre autres : « Surtout n’allez jamais au Revier (hôpital [2]), c’est là le danger. Je vous conseille de tenir jusqu’à l’extrême limite de vos forces. (…) Perdez-vous dans la masse, passez le plus possible inaperçues. »
Jeanne Couteau est enregistrée sous le matricule n° 31772. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, les (dorénavant) “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart d’entre elles sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie de la police allemande : vues de trois-quart avec un couvre-chef (foulard), de face et de profil (la photo de Jeanne Couteau a été retrouvée).
Le 12 février, elles sont assignées au Block 26, entassées à mille avec des détenus polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes.
Ayant contracté le typhus, Jeanne Couteau est admise au Revier [2] de Birkenau.
Elle y succombe au début d’avril 1943.
Au printemps 1945, quand les déportés survivants sont rapatriés, sa famille apprend sa mort par Héléna Fournier, seule rescapée parmi les vingt Tourangelles du convoi.
Louis Pisetta est déporté depuis Compiègne le 17 janvier 1944 dans un transport de 1943 hommes. Deux jours plus tard, il est immatriculé au KL Buchenwald [1] sous le matricule n° 40588. Rescapé rapatrié en avril 1945, il est tellement faible qu’il ne peut reprendre le travail et subvenir à ses besoins. Il garde une santé très fragile jusqu’à sa mort en 1968.
Notes :
[1] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration) ; certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
[2] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.
Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 76.
Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression…, 1940-1945, éditions Tirésias, Paris 2004 ; concernant Louis Pisetta, tome 2, page 1430 (30.4.2004).
Le cahier de Mémoires d’Héléna Fournier, transcrit par sa petite-fille, Carole Toulousy-Michel.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 10-12-2021)
Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).