Rachel Lacordais naît le 1er mai 1899 à La Croix-de-Bléré (Indre-et-Loire – 37), fille de Joseph Lacordais, 39 ans, bûcheron, et d’Adèle Menou, 33 ans, son épouse, dont elle est le quatrième enfant ; avant elle sont nés Joseph, en 1885 à Saint-Denis-Hors, Léon vers 1888, Gabrielle, en 1890, Armand, en 1892, à La Croix, et Eugène, vers 1896.
En 1901, la famille est installée au lieu-dit l’Aître (des Coiseaux) à Saint-Denis-Hors, commune mitoyenne de la ville d’Amboise (37 – dénommée “Amboise-extra-muros” sous la Révolution) avant d’en devenir un quartier en 1946. Ses parents ont d’autres enfants : Désiré, né en 1901, Alphonse, né en 1903 à Tours, et Charlotte, née en 1905.
Le 23 janvier 1919, Rachel donne naissance à son premier enfant, Marcel Lacordais.
Au printemps 1921, Rachel habite chez ses parents avec son fils.
Le 17 décembre 1921, à la mairie de Saint-Denis-Hors, elle se marie avec Paul Deniau, né le 11 juin 1890 à Bourré, sur les rives du Cher (Loir-et-Cher), fils de vigneron et lui-même cultivateur dans cette commune.
Ils emménagent à Bléré début 1922, puis – en novembre de cette année -, s’installent à Bourré, où naissent deux enfants : Armand, en 1923, et Élise, en 1925.
En 1927, la famille est domiciliée à Mosnes (37), où naît un autre garçon, Joseph. En 1931, Paul Deniau est cantonnier pour le département.
Au printemps 1936, la famille habite impasse du Moulin à Amboise (37).
Sous l’Occupation, Rachel Deniau est devenu factrice des postes à Amboise, et son mari est ouvrier.
Rachel fait clandestinement passer des lettres en zone Sud et aide des prisonniers évadés à franchir la ligne de démarcation. Selon Charlotte Delbo, elle est dans une filière dont font partie sa tante, Germaine Jaunay, Marcelle Laurillou et Marie Gabb.
Mais la Sipo-SD (Gestapo) de Tours parvient à infiltrer plusieurs de ses agents parmi les personnes souhaitant passer en zone libre.
Ainsi, le 10 septembre 1942, un groupe de passeurs et de “voyageurs” – dont Marcelle Laurillou – est piégé lors du franchissement du Cher à Bourré. Ayant précédemment été repérée, la filière est démantelée.
Le lendemain, 11 septembre 1942, à 6 h 30 du matin, Rachel Deniau est arrêtée chez elle, à Amboise, par la Sipo-SD (Gestapo) de Tours. N’étant pas au courant de ses activités clandestines, son mari n’est pas arrêté.
Les personnes arrêtées sont toutes incarcérées dans l’école Jules Michelet de la ville, alors transformée en prison allemande (et devenue collège depuis).
Par la suite, Rachel Deniau est probablement transférée à la Maison d’arrêt de Tours (37), rue Henri Martin.
Le 5 novembre 1942, les hommes des arrestations de Bourré et d’Amboise sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Oise).
Le lendemain 6 novembre, à l’aube, Rachel Deniau est parmi les dix-sept prisonnières extraites de leurs cellules pour monter dans deux cars stationnant devant la prison. Dans l’un d’eux se trouve déjà Marcelle Laurillou, détenue depuis deux mois à l’école Michelet.
Les véhicules s’arrêtent rue de Nantes et les dix-huit détenues sont menées dans la gare de Tours par une porte annexe, échappant ainsi aux regards de la population. Sur le quai, des soldats allemands montent la garde devant le wagon à compartiments où elles doivent prendre place.
À midi, leur train s’arrête à la gare d’Austerlitz, à Paris. On les fait entrer dans une petite salle d’attente équipée de bancs, où des bénévoles de la Croix-Rouge distribuent à chacune un bol de bouillon “Kub” et une tranche de pain noir. Un agent de police française est là pour les accompagner aux toilettes.
Après une attente de plusieurs heures, les prisonnières – toujours encadrées par des soldats – doivent monter dans deux autobus de la STCRP (future RATP).
Dans la soirée, elles arrivent dans la brume au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas (Seine / Seine-Saint-Denis), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122.
À la Kommandantur du camp, derrière le portail d’entrée, Rachel Deniau est enregistrée sous le matricule n° 1168. Puis les Tourangelles sont conduites en contrebas du fort. Les gardiens leur annoncent qu’il est trop tard pour les installer dans le bâtiment de caserne : elles seront enfermées dans une casemate pour la nuit. Il est également trop tard pour leur donner à manger : à cette heure, il n’y a plus rien aux cuisines. Mais d’autres prisonnières ayant appris leur arrivée obtiennent l’autorisation de leur apporter des biscuits extraits de leurs propres colis et de la tisane chaude, qui leur procurent surtout un réconfort moral. Dans ce local souterrain humide et glacé, elles ne parviennent pas à dormir.
Le lendemain, elles sont conduites au premier (?) étage du bâtiment. Exceptées trois militantes communistes qui sont intégrées aux premières internées, les Tourangelles rejoignent la chambrée du fond.
Au cours du mois de janvier, un photographe civil des Lilas est amené dans le périmètre de promenade pour y réaliser des portraits des détenu(e)s devant un drap blanc tendu sur les barbelés, chacun(e) étant identifié(e) par une réglette indiquant son matricule.
Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 22.1 »). Le lendemain, Rachel Deniau fait partie du groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.
Le matin suivant, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Parmi eux, les hommes des arrestations de Bourré et d’Amboise [2].
Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).
En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen [1], tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir. Le train y stationne toute la nuit.
Le lendemain matin, après avoir été brutalement descendues et alignées par cinq sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.
Parvenues à une baraque d’accueil, une première moitié des déportées est emmenée vers la “désinfection” et l’enregistrement ; en l’occurrence essentiellement les occupantes de la chambrée “communiste” de Romainville, probablement en fonction de leur numéro d’enregistrement dans ce camp. L’autre groupe, incluant les Tourangelles, parmi lesquelles Rachel Deniau, passe la nuit à attendre, assis sur les valises, adossé aux planches de la paroi.
Le lendemain, dans ma matinée, ce deuxième groupe reçoit la visite de Mala Zimetbaum, dite « Mala la Belge », détenue arrivée en septembre 1942 (matricule n° 19880) devenue interprète et coursière (Läuferin). Après s’être présentée, celle-ci leur conseille, entre autres : « Surtout n’allez jamais au Revier (hôpital [2]), c’est là le danger. Je vous conseille de tenir jusqu’à l’extrême limite de vos forces. (…) Perdez-vous dans la masse, passez le plus possible inaperçues. »
Rachel Deniau est enregistrée sous le matricule 31773. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.
Pendant deux semaines, les “31000” sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail dans les Kommandos, mais pas de corvée.
Le 3 février, la plupart d’entre elles sont amenées à pied, par rang de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie policière allemande : vues de trois-quart, de face et de profil (sa photo a été retrouvée).
Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes où sont enfermées leurs compagnes prises à la “course” du 10 février (une sélection punitive). Les “31000” commencent à partir dans les Kommandos de travail.
Héléna Fournier, de Tours, racontera un épisode survenu au début de mars : « Un matin, en descendant de notre litière, je me suis évanouie. Rachel, d’Amboise, n’a eu que le temps de me rattraper dans ses bras. En ouvrant les yeux, je lui dis : « Je suis fichue ! ». Elle me dit : « Mais non, ce n’est rien, qu’une simple indisposition ». « Oui, mais si la guerre dure encore deux mois… ». Rachel dit sur un ton aigre-doux : « On dirait que tu te plais bien ici pour dire que ça va durer si longtemps ! » (…) Quelques jours après, le typhus l’obligeait à aller au Revier : je ne l’ai jamais revue. »
Rachel Deniau succombe au Revier le 10 avril 1943, d’après l’acte de décès établi par l’administration SS du camp (Sterbebücher).
En mai 1945, quand les déportés survivants sont rapatriés, sa famille apprend sa mort par Héléna Fournier, seule rescapée parmi les vingt Tourangelles du convoi.
Le 17 janvier 1952, dans le dossier établi pour la reconnaissance du titre de “déportée politique” à Rachel Deniau, le demandeur a complété la rubrique « Personnes impliquées dans la même affaire » par : « Mme Jaunay de Bléré (sa tante), les époux Thomas d’Amboise, Mme Mardelle (Marcelle Laurillou se faisait souvent appeler par son nom de jeune fille), tous décédés en déportation, également Madame Sergent, de Saint-Martin-le Beau, déportée décédée ».
Le nom de Rachel Deniau est inscrit sur la stèle aux Déportés érigée par la ville d’Amboise, avec ceux de Marcelle Laurillou, du couple Gabb, et des frères Henri et Jean Thomas.
Notes :
[1] KL : abréviation de Konzentrationslager (camp de concentration) ; certains historiens utilisent l’abréviation “KZ”.
[2] Revier, selon Charlotte Delbo : « abréviation de Krakenrevier, quartier des malades dans une enceinte militaire. Nous ne traduisons pas ce mot que les Français prononçaient révir, car ce n’est ni hôpital, ni ambulance, ni infirmerie. C’est un lieu infect où les malades pourrissaient sur trois étages. ». In Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 24.
Le terme officiel est pourtant “hôpital” ; en allemand Häftlingskrakenbau (HKB), hôpital des détenus ou Krakenbau (KB). Dans Si c’est un Homme, Primo Lévi utilise l’abréviation KB.
Sources :
Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), page 86.
Thérèse Gallo-Villa, D’Amboise à Bourré : la rafle du 10 septembre 1942. Un piège orchestré par la Gestapo, article sur le site TharvA (http://www.tharva.fr/violette-et-jean-levy), mai 2019.
Le cahier de Mémoires d’Héléna Fournier, transcrit par sa petite-fille, Carole Toulousy-Michel.
MÉMOIRE VIVE
(dernière modification, le 23-11-2021)
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