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Auschwitz-I, le 3 février 1943
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Oswiecim, Pologne.
Collection Mémoire Vive. Droits réservés.

Élisabeth Dufour naît le 25 août 1914 à Lormont, dans la grande banlieue de Bordeaux (Gironde – 33) sur la rive droite de la Garonne, au sein d’une famille de cinq enfants. Son père est chauffeur aux Grands Moulins de Bordeaux. Elle va à l’école à Lormont jusqu’au certificat d’études.

À une date restant à préciser, elle se marie avec Albert Dupeyron, né le 29 avril 1910 à Bègles (Gironde). Au moment de leur arrestation, ils habitent impasse Canon à Bègles.

Ouvrier hautement qualifié, charpentier traceur, Albert participe à la construction des paquebots qui sortent des Chantiers de la Gironde à Lormont dans l’entre deux guerres et assurent la prospérité du port de Bordeaux par le transport de passagers et de marchandises vers l’Afrique.

Albert Dupeyron – Bébert – fait partie de ce noyau de militants farouchement partisans de l’unité syndicale, seule susceptible, selon eux, d’obtenir des améliorations sensibles des conditions de vie et de travail.

Il rejoint le Parti communiste dans les grands débats pour le Front populaire.

Lors de la mobilisation de 1939, il est requis à l’usine d’aviation de la SNCASO à Bègles-Birambis [1].

Il contribue à la réorganisation illégale du Parti Communiste, et dès l’entrée des Allemands à Bordeaux, à la constitution de groupes de l’organisation spéciale (O.S.) chargés de la protection des diffuseurs de propagande, du sabotage de la production et de la récupération d’armes.

Parallèlement, et sur instruction de l’organisation illégale, il participe à la direction du syndicat d’inspiration pétainiste pour avoir une couverture et intensifier les actions revendicatives.

Lorsqu’en 1941, la direction clandestine pense possible le déclenchement d’une grève avec pour prétexte l’insuffisance de nourriture à la cantine, c’est Albert qui est désigné pour engager le processus. Les tracts se multiplient : pas de pain, pas de viande, pas de travail… Les discussions vont bon train et, un jour, Albert monte sur la table à la cantine et harangue les ouvriers : la grève est votée à main levée. Dès lors sa position devient difficile, la police le suit pas à pas.

Il devient illégal afin de poursuivre son activité de résistant. La décision n’est pas simple, il a une femme, deux jeunes enfants ; que vont-ils devenir, même si l’organisation illégale veille sur eux ?

Envoyé en Charente, il participe à de nombreux sabotages (voir sa fiche allemande en note). En mai-juin 1942, il doit cambrioler un ferme du côté de Cherves avec René Michel, responsable inter-régional politique de l’organisation clandestine, et Ferdinand Vincent, mais l‘opération échoue. Début juillet, avec les mêmes, il participe à une opération de sabotage sur la voie ferrée près de Saintes, tandis qu’une autre équipe de trois hommes effectue une action identique sur la ligne Saintes-La Rochelle.

Le 27 juillet, Albert et Élisabeth Dupeyron participent à une réunion clandestine chez les Vallina, à Cognac, où ils rencontrent également le triangle de direction de la résistance communiste en Charente : Jean Barrière, René Michel et Yves Tasset [2]. Ensuite, ils se rendent chez les Guillon, dans leur ferme Les violettes à Sainte-Sévère, près de Jarnac (Charente – 16) pour y prendre des armes destinées aux FTP de Bordeaux ; ils y passeront la nuit.

Mais, le même jour, une note émanant des renseignements généraux indique : « M. Poinsot part ce soir à 23 heures pour les Charentes avec les autorités allemandes et six inspecteurs avec chiens. Ils se proposent d’effectuer une action simultanée à La Rochelle, Saintes, Cognac et d’autres localités, en vue d’arrêter des groupes terroristes. »

Le lendemain, à 5 heures du matin, les policiers et les Feldgendarmes cernent la ferme des Guillon, c’est l’arrestation.

Simultanément, d’autres soldats investissent la ferme des Pateau, sur la commune de Saint-André-de-Cognac.

Au même moment, les inspecteurs français et la Gestapo arrêtent chez elle toute la famille Vallina.

Enfin, un dernier groupe avec des inspecteurs français effectue une perquisition dans le café d’Anne Épaud à La Rochelle, en espérant y arrêter Yves Tasset. Celui-ci ne s’y trouve pas, mais ils tombent sur Ferdinand Vincent et un jeune résistant communiste, Lucien Dufès, qui est abattu par les Allemands en essayant de s’enfuir.

Avec la famille Guillon, les Dupeyron sont d’abord conduits à la prison de Cognac, puis, à la Kommandantur de la rue de Budos à Bordeaux.

Leurs enfants, neuf ans-et-demi et quatre ans-et-demi, sont recueillis par une des sœurs d’Élisabeth.

Celle-ci est emprisonnée à la caserne Boudet, rue de Pessac à Bordeaux, qui dispose d’une prison militaire utilisée comme annexe du Fort du Hâ.

Dans son rapport sur Albert Dupeyron, la police note : « Terroriste dangereux, auteur de plusieurs attentats en Charente. »

Le 21 septembre 1942, il est un des soixante-dix otages fusillés au camp militaire de Souge, commune de Martignas-sur-Jalle, avec Marcel Blateau, Alexandre Pateau, Lucien Vallina et d’autres époux de futures “31000”, arrêtés dans d’autres circonstances. Ces représailles massives touchent Bordeaux bien que les actions de la résistance armée qui les déclenchent aient essentiellement été menées à Paris ; comme la dernière, frappant le grand cinéma Rex réservé aux troupes d’occupation (Deutsches Soldatenkino) le 17 septembre à 21h55 et faisant deux morts et dix-neuf blessés. [3]

Le 16 octobre 1942, Élisabeth est parmi les 70 hommes et femmes – dont Ferdinand Vincent et 33 futures “31000” (les “Bordelaises” et les Charentaises) – transférés depuis le Fort du Hâ et la caserne Boudet de Bordeaux au camp allemand du Fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas [4] (Seine-Saint-Denis – 93), premier élément d’infrastructure du Frontstalag 122. Élisabeth Dupeyron y est enregistrée sous le matricule n° 953. Pendant trois semaines, les nouveaux arrivants sont isolés, sans avoir le droit d’écrire, puis ils rejoignent les autres internés (hommes et femmes étant séparés mais trouvant le moyen de communiquer). Le 7 novembre, Ferdinand Vincent est extrait du groupe et ses co-détenus commencent à s’interroger sur lui. Durant son séjour, Élisabeth Dupeyron parvient à confectionner deux poupées en chiffons pour ses enfants qu’elle réussit à leur faire parvenir dans une boîte à cigare (objets conservés au Musée des Amis du vieux Lormont).

Le 22 janvier 1943, cent premières femmes otages sont transférées en camions au camp de Royallieu à Compiègne (leurs fiches individuelles du Fort de Romainville indiquent « 22.1 Nach Compiègne uberstellt » : « transférée à Compiègne le 21.1 »).

Le lendemain, Élisabeth Dupeyron fait partie du deuxième groupe de cent-vingt-deux détenues du Fort qui les y rejoint, auquel s’ajoutent huit prisonnières extraites d’autres lieux de détention (sept de la maison d’arrêt de Fresnes et une du dépôt de la préfecture de police de Paris). À ce jour, aucun témoignage de rescapée du premier transfert n’a été publié concernant les deux nuits et la journée passées à Royallieu, et le récit éponyme de Charlotte Delbo ne commence qu’au jour de la déportation… Mais Betty Jégouzo confirme ce départ en deux convois séparés, partis un jour après l’autre du Fort de Romainville. Toutes passent la nuit du 23 janvier à Royallieu, probablement dans un bâtiment du secteur C du camp.

Le lendemain matin, 24 janvier, les deux-cent-trente femmes sont conduites à la gare de marchandises de Compiègne et montent dans les quatre derniers wagons (à bestiaux) d’un convoi dans lequel plus de 1450 détenus hommes ont été entassés la veille. Comme les autres déportés, la plupart d’entre elles jettent sur les voies des messages à destination de leurs proches, rédigés la veille ou à la hâte, dans l’entassement du wagon et les secousses des boggies (ces mots ne sont pas toujours parvenus à leur destinataire).

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En gare de Halle (Allemagne), le train se divise et les wagons des hommes sont dirigés sur le KL Sachsenhausen, tandis que les femmes arrivent en gare d’Auschwitz le 26 janvier au soir.

Le train y stationne toute la nuit. Le lendemain matin, après avoir été descendues et alignées sur un quai de débarquement de la gare de marchandises, elles sont conduites à pied au camp de femmes de Birkenau (B-Ia) où elles entrent en chantant La Marseillaise.

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Portail du secteur B-Ia du sous-camp de Birkenau (Auschwitz-II)
par lequel sont passés les “31000”
(accès depuis la rampe de la gare de marchandises
et le “camp-souche” d’Auschwitz-I…).
© Gilbert Lazaroo, février 2005.

Élisabeth Dupeyron y est enregistrée sous le matricule 31731. Le numéro de chacune est immédiatement tatoué sur son avant-bras gauche.

Pendant deux semaines, elles sont en quarantaine au Block n° 14, sans contact avec les autres détenues, donc provisoirement exemptées de travail.

Le 3 février, la plupart des “31000” sont amenées à pied, par rangs de cinq, à Auschwitz-I, le camp-souche où se trouve l’administration, pour y être photographiées selon les principes de l’anthropométrie : vues de trois-quart, de face et de profil (la photo d’immatriculation d’Élisabeth Dupeyron a été retrouvée).

Le 12 février, les “31000” sont assignées au Block 26, entassées à mille détenues avec des Polonaises. Les “soupiraux” de leur bâtiment de briques donnent sur la cour du Block 25, le “mouroir” du camp des femmes. Elles commencent à partir dans les Kommandos de travail.

Le 3 août 1943, Élisabeth Dupeyron est mise en quarantaine avec les autres “31000” survivantes. Pendant la quarantaine, peu d’entre elles succombent : exemptées de travail et d’appel, un peu mieux nourries, grâce aux colis, celles qui ont survécu aux premiers six mois de Birkenau reviennent à la vie.

Élisabeth contracte le typhus. Mais on ne garde pas de malades en quarantaine : elles sont envoyées au Revier de Birkenau, ou bien… Une boule dans la gorge empêche Élisabeth d’avaler toute nourriture. « Quand ils l’ont emportée à la chambre à gaz, elle vivait encore », dit une de ses compagnes.

Élisabeth Dupeyron meurt gazée à Birkenau le 15 novembre 1943, d’après le témoignage des rescapées (l’acte de décès du camp n’a pas été retrouvé).

Ses parents n’ont pas reçu d’avis de décès. C’est Félicienne Bierge, à son retour, qui a appris aux enfants la mort de leur mère.

Sources :

- Charlotte Delbo, Le convoi du 24 janvier, Les Éditions de Minuit, 1965 (réédition 1998), pages 102-103.
- René Terrisse, À la botte de l’Occupant. Itinéraires de cinq collaborateurs, Bordeaux, éditions Aubéron, 1998, chap. II, pp. 81-127 (surtout pp. 83 à 95).
- Commission d’Histoire du Comité du Souvenir des Fusillés de Souge.
- Caius, site FFI 33, La résistance en Gironde
- Serge Klarsfeld, Le livre des otages, Les éditeurs français réunis, Paris 1979, Les otages de Bordeaux (20.9.1942), pages 174 à 179, et 233 à 246, fiche allemande, page 239.

MÉMOIRE VIVE

(dernière modification, le 30-04-2010)

Cette notice biographique doit être considérée comme un document provisoire fondé sur les archives et témoignages connus à ce jour. Vous êtes invité à corriger les erreurs qui auraient pu s’y glisser et/ou à la compléter avec les informations dont vous disposez (en indiquant vos sources).

[1] Birambis/Birambits : nom d’un grand domaine existant au 18e siècle.

[2] Jean Barrière est arrêté le 8 novembre 1942 par des inspecteurs français, sur dénonciation, alors qu’il se rend un dimanche en fin de matinée à la gare de Saint-Michel, près d’Angoulême (Charente) pour y retirer un paquet de tracts.

Le 14 novembre, Yves Tasset est arrêté à la gare d’Angoulême après une fusillade suivie d’une chasse à l’homme ; c’est un cheminot qui finalement le maîtrise et le remet entre les mains des inspecteurs.

À l’aube du 19 novembre, René Michel échappe d’abord au piège tendu alors qu’il revient dans sa planque, chez André et Angèle Brun, charcutiers à Champniers. Blessé d’une balle dans la cuisse par les Allemands, traqué, il est finalement appréhendé deux jours plus tard par des policiers français chez les époux Cadier à Courcôme.

Condamnés à mort par le tribunal militaire de la Feldkommandantur d’Angoulême, René Michel et Jean Barrière sont fusillés le 5 mai 1943 dans la forêt de la Braconne avec quatre autres résistants.

Torturé à Bordeaux, puis transféré au Fort de Romainville le 16 septembre, Yves Tasset est déporté le 16 août 1943 vers les KL Mauthausen puis Buchenwald. Il rentrera de déportation et témoignera contre Poinsot et Vincent dès le 23 août 1945.

[3] La fusillade d’otages du 21 septembre 1942 : le 16 septembre 1942, la Sipo-Sd, qui a pris en charge de la politique des otages initiée par le haut commandement militaire, décide d’organiser des fusillades massives en représailles de plusieurs attentats organisés par la résistance armée contre les forces d’occupation depuis le 11 août précédent, date des dernières exécutions. Au moment de la décision, le nombre de « victimes expiatoires » (Sühnepersonen) est fixé à quatre-vingt-quatre selon un barème multipliant par deux le nombre des militaires allemands tués ou blessés lors de ces actions. La région parisienne ne disposant pas d’autant d’otages fusillables, il est décidé de prendre des hommes détenus à Bordeaux (deuxième grande ville de la zone occupée) soit pour les conduire au Fort de Romainville, camp d’otages, soit pour les exécuter au camp de Souge ; c’est la deuxième solution qui sera retenue pour des raisons de “sécurité”. Avant même les exécutions, le Docteur Horst Laube, responsable de la section II-Ju de la Sipo-SD en France, considère qu’il « ne serait pas recommandé de fusiller tout de suite tous les otages disponibles à Paris, afin qu’à l’avenir dans les cas imprévus, on puisse trouver à Paris des otages à tout moment » Dans la mesure où le principe en avait déjà été fixé, la fusillade de Souge n’est pas une conséquence directe de l’attentat du Rex, mais celui-ci augmente le nombre d’otages désignés et c’est surtout à Bordeaux que sera trouvé le complément. Le 18 septembre, Karl Oberg, chef supérieur des SS et de la police allemande en France depuis mai 1942, entérine les propositions : « J’ordonne en représailles l’exécution de 116 Français dont 70 à Bordeaux et 46 à Paris. » L’avis affiché précise : « …lesquels ont été trouvés coupables d’activités anti-allemandes ou communistes ».

Fiche allemande :

14. DUPEYRON Albert, 29.4.1910 Bègles, Bègles.

 

D. est un vieux communiste, vivait depuis 1942 dans l’illégalité, auteur de la destruction par explosif d’un pylône d’une ligne à haute tension commis le 30.4.1942 à Puilboreau, attentat ferroviaire à Chaniers commis dans la nuit du 4 au 5.7.1942, attentat ferroviaire près de Bussac commis dans la nuit du 5 au 6.7.1942, détention d’armes.

Selon la terminologie allemande, il est évident que « vieux communiste » veut dire « communiste de longue date ».

[4] Les Lilas : jusqu’à la loi du 10 juillet 1964, cette commune fait partie du département de la Seine (transfert administratif effectif en janvier 1968).